Gouverner à la frontière public / privé : modèles, savoirs, outils  

On mettra l’accent ici sur le rôle des acteurs non étatiques dans l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation des politiques et sur les modalités et facteurs rendant raison de leurs pratiques à la frontière des sphères du public et du privé. Ceci conduira à s’intéresser aux porteurs de médiations entre ces deux univers que sont, par exemple, les élus en tant qu’ils orientent l’action publique ; les experts d’État, consultants indépendants ou scientifiques intervenant dans la production de régulations sectorielles visant à protéger certains biens communs (environnement, santé, sécurité) ; les agents administratifs mettant en circulation des modèles, savoirs ou outils, qui peuvent être issus du secteur privé, d’autres secteurs ou d’autres aires nationales. Ces réflexions seront déclinées autour de deux pôles principaux, l’un axé autour de l’analyse des mécanismes, facteurs et processus déterminant ces interactions entre le public et le privé; l’autre, orienté vers l’accompagnement de certaines politiques sectorielles clés (environnement, éducation, santé) via l’évaluation et la recherche-action.

Actions publiques et logiques privées


Les recherches et équipes concernées ici se retrouvent autour d’un intérêt pour un certain nombre de politiques publiques sectorielles soumises à l’impératif d’agir en lien étroit avec les acteurs privés ou dans la sphère privée, qu’ils soient coproducteurs de l’action publique, bénéficiaires ou cibles de celle-ci.
Il peut s’agir des politiques d’emploi des personnes handicapées, dont la mise en oeuvre repose sur des modalités d’articulation (via des outils juridiques et des instruments de coopération) entre deux secteurs d’action publique aux objectifs différents, l’emploi et l’aide aux porteurs de handicaps. Ce questionnement se retrouve dans les travaux sur les politiques de sécurité, où peuvent être interrogées les transformations du champ correspondant en intégrant dans l’analyse des acteurs, qui sans être policiers, y occupent une position: établissements scolaires, bailleurs sociaux, transporteurs, travailleurs sociaux. Le gouvernement de la pauvreté peut être également un terrain fécond pour comprendre ces interactions particulières, par l’analyse des transferts de modèles entre contextes géographiques et culturels différenciés.
L’analyse des politiques environnementales ou de santé-environnement contribue de façon spécifique à cette réflexion en faisant intervenir la figure centrale de l’expert (écotoxicologue, biologiste, médecin, inspecteur sanitaire, etc.) qui définit le danger générique comme localisé au principe de l’action publique. Mieux comprendre cette dernière revient pour une grande part à éclairer les façons dont ces experts intègrent des logiques hétérogènes à la fois scientifiques, socio-économiques et politiques.
L’étude des pratiques d’érudits locaux et d’historiens amateurs réunis au sein de sociétés savantes montre de quelle façon, par la production de connaissances sur l’histoire locale, ils participent à des logiques de patrimonialisation donnant lieu à une reconnaissance officielle par les institutions, modifiant ainsi la valeur tant économique que symbolique des lieux et des constructions.


L’action publique face aux mutations sociétales (technologies, environnement, santé, démocratie)

Une autre façon d’aborder la question du gouvernement à la frontière entre le public et le privé est de s’interroger avec les acteurs eux-mêmes sur les pratiques publiques confrontées à des situations de mutations, globales ou locales, de différentes natures. Ce faisant la recherche vise à comprendre les logiques agissantes et les dynamiques à l’oeuvre pour accompagner l’adaptation de l’action publique à un monde en évolution.

Plusieurs projets relèveront de cette orientation, qui couvre plusieurs grands enjeux sociétaux actuels. La question de la transition énergétique en fait partie, puisqu’elle impacte tous les segments et acteurs du secteur de l’énergie, de la production à la consommation en passant par l’acheminement, le transport et la distribution. En outre, elle se traduit par une relocalisation des questions énergétiques à l’aune de leur inscription dans le territoire (raccordement, smart grids, nouveaux usages, rôle des collectivités, etc.). Mobilisant de façon prépondérante l’analyse et les outils du droit, un projet de Groupement d’intérêt
scientifique est prévu à partir de 2017, dédié à l’étude de cette transition énergétique dans le cadre régional des Hauts-de-France. Il aura vocation à réunir l’ensemble des acteurs de ce processus et accompagner leur évolution. Cette entreprise collective pourra aussi profiter d’une approche comparative avec un autre pays européen (Grèce), mettant l’accent sur les facteurs favorisant mais aussi les blocages s’opposant à la mise en place d’une telle transition énergétique.

La révolution numérique nécessite également une réflexion approfondie sur les pratiques publiques d’intégration de ses produits et innovations, dans le cadre notamment des politiques éducatives. Dans cette perspective, on pourra évaluer l’emploi des dispositifs numériques au sein de la communauté éducative, par exemple au travers de la généralisation des environnements numériques de travail, de la progression de la culture numérique chez les élèves, de l’évolution des attitudes des institutions et des individus face aux nouveaux dispositifs e-learning ou aux MOOC. Le projet « Communication, Savoirs et TIC » (COMSTIC) se centre notamment sur l’approche communicationnelle des usages des technologies numériques dans le champ de l’éducation. Il vise à étudier l’émergence de formes d’intermédiation, les jeux d’acteurs, leurs stratégies et les logiques qui animent leurs actions dans des dispositifs de formation et d’éducation.
L’objectif est de saisir les dynamiques et les enjeux des pratiques du numérique face à l’importance prise par la fonction d’intermédiation en éducation ces dernières années. Le numérique se révèle ainsi comme un objet scientifique faisant émerger des réalités multiformes et parfois contradictoires. Ce rapprochement entre éducation et technologies se présente comme une problématique complexe. C’est pourquoi, l’approche qui sera développée autour des TIC en éducation orientera les intérêts de recherche vers les acteurs, leurs logiques et leurs stratégies, en cherchant à rendre visibles les changements observés et les mutations engagées, à analyser les usages des outils et des environnements d’apprentissage, à repérer les processus d’innovation et à analyser les contraintes pédagogiques, économiques et politiques qui conditionnent le développement du numérique en éducation.

Dans le domaine de la santé, des orientations plus spécifiquement dirigées vers la recherche interventionnelle seront développées. Cette forme de recherche consiste en la co-production de connaissances en entre chercheurs et acteurs sociaux visant une réorientation des politiques vers une amélioration des conditions de vie des populations. Basé sur un terrain distant (un quartier de la capitale équatorienne, Quito) ce travail articulera enquête ethnographique et séminaires associant chercheurs et acteurs de terrain sur la question de la santé des populations.

Enfin, les politiques de participation citoyenne et l’enjeu démocratique lié offrent aussi un site de coopération fécond entre chercheurs et acteurs sociaux. Celle-ci pourra se déployer à l’occasion du PIA « De nouvelles opportunités pour les jeunes de Picardie maritime : devenir acteurs d’un projet de territoire fondé sur l’économie de proximité », qui entend mobiliser l’ensemble des politiques publiques sur un territoire circonscrit en faisant largement appel à l’implication citoyenne, ainsi que dans le cadre d’un projet associant un GIS (Participation Citoyenne), plusieurs chercheurs du CURAPP-ESS et du CERAPS (UMR 8026 CNRS / U. Lille 2), et des institutions sociales et habitants (Etouvie, Valenciennes, Lille) sur les formes non institutionnelles de la participation citoyenne (Chantiers chercheurs citoyens et initiatives citoyennes »).