Vivre en forêt de Retz, enquête au cœur des archives de l’ONF


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Vivre en forêt, c’est le quotidien des gardes forestiers depuis plusieurs siècles. Les maisons forestières témoignent de ce mode de vie. Ce patrimoine bâti emblématique a une histoire mal connue et peu mise en lumière. Ces maisons, qu’elles soient occupées, reconverties ou encore détruites, sont représentatives de l’histoire du massif de Retz (Aisne) et de son évolution, du XVIIIe siècle à la fin du XXe siècle.

Les archives de l’Office National des Forêts (ONF) sont des sources de premier ordre pour la connaissance de ce patrimoine. Dispersées, ces archives sont conservées au sein même des bureaux de l’ONF (Direction ou Unité Territoriale) ou elles ont été déposées aux Archives Nationales ou départementales. Elles se divisent en deux types :

  • les sources manuscrites : elles sont en grande partie constituées de feuillets signalétiques qui rassemblent des éléments précieux pour la connaissance des maisons, du début du XIXe au milieu du XXe siècle. Quasiment chaque poste a un feuillet qui détaille, année par année, les types de réparations et les dépenses effectuées.
  • les sources iconographiques, avec des plans à l’aquarelle, des dessins techniques des maisons (comportant des coupes, des plans et des élévations) et enfin des séries de clichés en noir et blanc de l’extérieur des maisons.

La répartition de la documentation est très inégale. Certaines maisons sont très bien documentées. A l’inverse, d’autres semblent avoir « disparu », ne laissant que quelques traces dans le paysage comme par exemple la maison forestière de l’Air l’Oiseau.

L’ONF et l’Université de Picardie Jules Verne, avec le soutien de la DRAC des Hauts-de-France, ont développé un projet sur l’étude des maisons forestières en forêt de Retz. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la labellisation de la forêt de Retz, Forêt d’Exception®. Un des axes de la labellisation prévoit notamment de développer la valorisation du patrimoine culturel et historique de la forêt.

Vous pouvez découvrir en ligne la collection dédiée aux archives de l’ONF numérisées sur les maisons forestières.

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Les forêts domaniales font partie du domaine privé de l’État, et sont aujourd’hui gérées par l’Office National des Forêts. Les maisons forestières étaient et sont encore des logements de fonction permettant au personnel forestier d’assurer leur service. Logement du garde ou du brigadier, puis de l’agent ou du technicien en fonction des époques, elles sont situées en lisière ou au cœur des forêts domaniales. Implantées au plus proche des triages, elles permettent au personnel logé d’accomplir les tâches quotidiennes de gestion forestière. Construites du XIXe à la fin du XXe siècle, ces maisons racontent une histoire de la gestion forestière, témoignent de modes de vie pérennes en forêt, et constituent un héritage forestier qui reste encore à découvrir.


Toutes les maisons forestières n’ont pas exactement la même architecture. Des « modèles types » de maisons forestière ont bien été établis par l’administration et construits suivant les mêmes plans à différents endroits du territoire. Cependant, les matériaux utilisés pour ces constructions peuvent varier selon la région où elles sont implantées et de nombreuses maisons forestières sont uniques et ne correspondent à aucun modèle type. C’est le cas par exemple de l’ancienne Faisanderie du château de Villers-Cotterêts dans l’Aisne, qui a été construite en 1772, bien avant d’être utilisée comme maison forestière. Cependant, on trouve généralement une inscription sur la façade indiquant le nom du poste ou de la maison, et leur localisation en lisière ou en cœur de forêt peut aider à les identifier. On retrouve également dans l’architecture de ces maisons des similitudes :

  • un bâtiment central
  • des annexes servant à abriter des animaux (écurie, chenil, toit à porc) ou à ranger le matériel (hangar, grange)
  • des terres : un « terrain de culture » ou « terrain de service » qui permettait aux habitants de subvenir à leurs besoins.

Pourquoi loger du personnel en forêt et en lisière de forêt ? Le bois étant une ressource précieuse de matériaux et d’énergie, un des enjeux de la présence de personnel en forêt est de s’assurer de la propriété du bois et d’éviter les vols. L’exposition « L’histoire de la forêt de Retz à travers ses bornes » explique la complexité des structures de propriétés du massif et les outils mis en place pour en marquer l’espace (bornes, fossés, cartes…).

Le personnel des Eaux et Forêts puis de l’Office national des Forêts effectue des actions de sylviculture. Surveillance des jeunes plants, gestion des pépinières, martelage (acte de désignation des arbres à abattre ou à préserver) etc…

Sur les feuillets signalétiques du XIXe, on peut voir que la forêt de Retz est organisée en cantonnement (nord et sud), eux-mêmes divisés en triages et brigades. Le territoire national est quant à lui divisé en « Conservations », et la forêt de Retz appartient à la septième conservation. On retrouve dans le personnel logé dans les maisons forestières différents grades et fonctions : gardes à cheval, gardes planteurs, gardes sédentaires, garde cantonnier, garde général, brigadiers, chefs de cantonnements, inspecteurs…

Les maisons forestières témoignent d’un mode de vie sédentaire en lisière et parfois en cœur de forêt. Peu de recherches existent sur le mode de vie des forestiers, mais le fonds d’archives de l’ONF permet de se rendre compte que toutes les maisons forestières de Retz possédaient des terrains de culture probablement destinés à la subsistance de leurs habitants : les forestiers et les autres membres de la famille.

En effet, les feuillets signalétiques du 19e siècle donnent beaucoup d’indices sur les terrains en culture entourant les maisons. Chaque maison possède un feuillet signalétique, avec une première page qui renseigne des informations sur le triage associé à la maison, le terrain en culture, et la maison en elle-même. Les pages centrales du feuillet répertorient les différents travaux effectués au cours des années, et on retrouve aussi au dos des feuillets un « plan des bâtiments et des terrains en culture ». La nature et la qualité des terrains y est notée : sableux, argileux, de bonne ou médiocre qualité, etc… et montrent bien l’importance d’avoir une terre cultivable entourant la maison.

Les « terrains en culture » pouvaient servir de jardins d’agréments, mais surtout de jardins potagers, de pâture ou de verger. On peut le voir dans la légende de ce plan à l’aquarelle de la maison forestière du Bois Hariez. On retrouve également dans les archives de l’ONF des commandes d’arbres fruitiers pour les vergers des maisons.

Plan du poste du Bois Hariez (AD de l'Aisne)
Plan à l’aquarelle du XIXe siècle de la maison forestière du Bois Hariez.
La maison est entourée de jardins d’agrément et de jardins potagers (en vert sur le plan).

Les terrains servaient aussi de pâture pour les animaux qui étaient nombreux à habiter les maisons forestières. Sur les plans du XIXe des maisons de la forêt de Retz, on observe de nombreuses annexes destinées à accueillir des animaux domestiques : écurie, chenils, toits à porcs, poulailler… Certains gardes étaient des gardes à cheval et les écuries étaient là pour assurer le service des forestiers. Peut-être trouvait-on aussi des chevaux de labour, pour effectuer des travaux forestiers ou domestiques. Cette culture de jardin et d’élevage ne semble pas avoir complètement disparue au XXe siècle, car on peut encore voir sur les photographies des années 70 des poules, vaches et chiens, et des potagers entourant les maisons. De plus un grand nombre des forestières et des forestiers logés actuellement sur le massif de Retz continuent d’entretenir en partie leurs terrains.

Dans la forêt de Retz, les maisons forestières n’étaient pas toujours implantées à proximité d’une source, d’une fontaine ou d’un cours d’eau car le massif est pauvre en rus et en nappes phréatiques. Cette situation a conduit à la construction de puits ou de citernes à la fin du XIXe siècle permettant d’avoir un accès à l’eau pour les tâches domestiques quotidiennes : abreuver les animaux, arroser les cultures, laver ses vêtements, etc…

Sur le feuillet signalétique de la maison forestière des Cornillards, on peut lire l’observation suivante : « Le garde forestier est forcé d’aller chercher de l’eau à environ 600m des chez lui à une fontaine qui taris par les temps de pluie ou la fonte des neiges pour ne couler que par les temps secs ». Cette phrase est rayée, et il est inscrit à côté : « une citerne a été construite en 1869 ». Une citerne a aussi été créée à la maison forestière de la Croix Morel et cette construction est documentée par un plan conservé aux Archives départementales de l’Aisne.

A l’heure actuelle, l’étude en cours a permis d’identifier environ 42 maisons forestières réparties dans la forêt de Retz, toutes périodes confondues. Elles ne sont pas toutes documentées de la même façon. Cependant, on note que la plupart date du XIXe siècle.

Carte des maisons forestières de la forêt de Retz (Aisne)

Les plus anciennes maisons forestières se trouvaient à proximité du mur du grand parc de chasse.

Plusieurs maisons forestières du massif de Retz se situent sur le tracé du mur du grand parc de chasse.

Vue aérienne du château de Villers-Cotterêts avec les limites des différents parcs
Vue aérienne du château de Villers-Cotterêts avec les limites des différents parcs

En effet, les maisons forestières de la forêt de Retz les plus anciennes, datées d’avant la deuxième moitié du XVIIIe, apparaissent sur un plan du grand parc de chasse construit en 1770. Il s’agit des maisons de la Faisanderie (1772), du Rond de la Reine, de la Maison Neuve, de la Ramée, de la Fontaine du Prince, des Cornillards et de la Croix de Dampleux.

Ces maisons anciennes dont l’architecture témoignent du passé royal de la forêt ne correspondent pas à des modèles types de maisons forestières mais plutôt d’une architecture typique de la forêt de Retz.

Plan du poste de la maison Neuve (AD de l'Aisne)
Plan du poste de la maison Neuve
Plan et élévation du poste de la Maison Neuve
Poste de la maison Neuve

La majorité des maisons forestières de Retz ne correspondent pas aux modèles types dressés par l’administration. C’est néanmoins le cas des postes de Pré Gueux et du Virlet, encore habités aujourd’hui. Sur le feuillet signalétique de ces deux maisons on peut lire qu’elles correspondent au « type n°3 – Nouveau modèle ». La ressemblance entre ces deux maisons est frappante, tant dans la structure que dans le détail des façades, bien qu’aujourd’hui l’une d’entre elles ait été légèrement modifiée par des travaux récents.

Nous avons trouvé dans les archives de l’ONF, conservées à l’Unité territoriale de Compiègne, le plan et l’élévation de la maison forestière du Virlet (ci-dessous), avec en titre la phrase suivante : « Maison de garde (type n°3) à construire dans la forêt domaniale de Retz au Canton de Virlet ». Le nom du Canton et celui de la forêt n’ont pas la même typographie que le reste du document, et semblent avoir été renseignés a posteriori alors même qu’on retrouve aux archives nationales une élévation tout à fait semblable mais vierge, sans le nom de la forêt et du Canton. Ces plans des modèles types étaient sûrement pensés pour être répliqués dans différentes forêts domaniales. En effet, cette élévation des archives nationales correspond bien à l’architecture de nos deux maisons de la forêt de Retz !

Élévation de la Maison forestière du Virlet (Type n°3)
Élévation de la maison forestière du Virlet (type n°3)

Sur ces deux documents on peut voir que le « type 3 » comporte un bâtiment central avec une cuisine, une chambre et un escalier menant au premier étage où l’on trouve une seconde chambre et un grenier. Deux annexes de mêmes dimensions (étable et grange) se trouvent de part et d’autre de ce bâtiment. La façade frappe par sa symétrie et par les détails de briques entourant les portes en chêne et les croisées, et ornant le pied de la maison.

La maison forestière de Borny est une des seules autres maisons du massif qui correspond à un modèle type le « modèle 1876 série 3 n°2. ».

Les différents modèles types et leur répartition dans les forêts domaniales sont encore méconnus, mais il semblerait qu’ils aient entre autres joué un rôle au moment de la reconstruction après-guerre. En effet, aux Archives nationales (site de Pierrefitte-sur-Seine) un dossier concerne les modèles types de 1864, 1872, 1874, 1887, 1919 (19771615/33) et l’on y trouve, entre autres, un rapport concernant la reconstruction des maisons forestières détruites au cours des hostilités. Le but du rapport est d’adopter un type pour la reconstruction des maisons forestières après-guerre parmi trois types déjà existants : A. type 1875 ; B. type Melun 1887 ; C. type 1864 II.

Les maisons forestières du massif de Retz sont également très liées à la vénerie et plus largement aux pratiques de chasse. Plusieurs maisons forestières ont servi de rendez-vous de chasse comme par exemple celle du Rond Capitaine ou du Bois Hariez, au point que l’usage du bâtiment du Rond Capitaine était exclusivement dédié à la chasse.

Maison forestière disparue au carrefour du Rond Capitaine
Carrefour du Rond Capitaine où se trouvait l’ancien pavillon de chasse

La maison du Rond Capitaine est inventoriée en 1849 à côté des maisons forestières, elle possède un feuillet signalétique et a fait l’objet du même suivi régulier. Cependant le feuillet et l’élévation de la maison nous renseignent sur son statut particulier. Tout d’abord la maison n’est pas nommée comme telle : elle est désignée comme « Pavillon de chasse de la Croix Morel » sur l’élévation, et comme « Pavillon du Rond capitaine » sur le feuillet. On observe également que les travaux de  construction de la maison ont été effectués par l’adjudicataire de chasse à ses frais, selon un plan soumis préalablement à l’agent forestier local. Le pavillon présente donc une architecture très différente d’autres maisons. D’une superficie très petite, il ne comporte pas de chambre ou de four permettant d’y vivre, mais simplement une écurie au rez-de-chaussée et une pièce avec une cheminée au premier étage.

Aujourd’hui des usages de chasse dans les maisons forestières existent encore : la maison forestière du Buchet est louée pour servir de relais de chasse. Il reste à savoir s’il s’agit d’une particularité du massif de Retz, ou si ces usages multiples existent dans d’autres forêts.