AXE 1 : INTENSIFICATION ÉCOLOGIQUE DES SYSTÈMES DE PRODUCTION

 

L’unité EDYSAN cible un nombre limité de composantes susceptibles de participer à l’intensification écologique des systèmes de production agricoles et forestiers : (i) la valorisation de la biodiversité domestique (plantes cultivées, aux échelles génétique, spécifique et paysagère) et sauvage ; (ii) la réduction de l’empreinte écologique laissée par les intrants énergétiques, les pesticides et les engrais ; (iii) la préservation de la fertilité des sols, notamment des points de vue de la biodiversité microbienne et de la teneur en matière organique ; (iv) la conservation et la restauration des infrastructures agro-écologiques au sein des paysages agricoles, en particulier de la sous-trame boisée. La finalité est de concevoir des agrosystèmes innovants au sein de territoires agricoles à haute valeur environnementale.

Figure 1 : Schéma de synthèse de l’axe « Intensification écologique des systèmes de production ». Le champ représente un écosystème simplifié, dominé par une espèce cultivée et soumis à un régime de perturbations défini par l’itinéraire technique cultural ; il participe au paysage agricole, qui est une mosaïque fluide de parcelles dominées par différentes plantes cultivées, formant des agrosystèmes au fonctionnement original. Ces agrosystèmes bénéficient de services écologiques (positifs ou négatifs) délivrés par les autres éléments du paysage et, notamment, des éléments boisés (bois, haies, ripisylves…) qui forment une métacommunauté forestière à l’échelle du paysage. Dans le présent projet scientifique, nous évaluons comment agir sur ces différents niveaux pour intensifier écologiquement les agrosystèmes au sein de territoires agricoles à haute valeur environnementale.

 

  1. DES AGROSYSTÈMES INNOVANTS…

Les agrosystèmes sont des systèmes de production à déterminisme essentiellement anthropique : l’homme intervient, non seulement en imposant l’espèce dominante (espèce cultivée), mais aussi en sélectionnant artificiellement les phénotypes/génotypes, qui sont susceptibles d’être les mieux adaptés aux contraintes environnementales, afin d’obtenir une productivité optimale. D’autre part, certaines composantes du changement global ou contingences socio-économiques, conduisent à une modification des pratiques agricoles. Ceci inclut (i) l’introduction de nouvelles espèces, souvent exotiques (e.g., graminées pérennes en C4 à vocation bioénergétique comme le miscanthus), ou de nouveaux génotypes d’espèces cultivées de longue date (e.g. colza érucique, tournesol stéarique), et (ii) des changements d’itinéraires techniques (e.g. travail simplifié ou non travail du sol, mise en place de couverts végétaux ou d’intercultures) destinés à rendre l’agriculture plus durable. Les impacts de ces nouveaux agrosystèmes sont souvent mal évalués avant leur implémentation à grande échelle ; quant aux effets sur le long terme, ils sont le plus souvent inconnus, notamment en raison de l’absence de méthode d’évaluation et/ou du manque de recul.

La pluridisciplinarité de l’unité rend possible la mise en œuvre d’analyses multi-critères des impacts à court, moyen et long termes des systèmes de production, afin d’en apprécier la durabilité. Dans ce volet applicatif du projet d’unité, nous visons la valorisation des recherches fondamentales explicitées ci-dessus dans le contexte d’une intensification écologique des systèmes de production et, notamment, de l’agriculture[1], la finalité restant de construire une agriculture (et une sylviculture) durable. Notre démarche procède de l’agro-écologie : il s’agit de s’inspirer du fonctionnement complexe des écosystèmes « naturels » pour contribuer à la conception et à la mise en œuvre d’une agriculture/sylviculture productive et durable, plus économe en intrants et moins nocive pour l’environnement, améliorer l’adéquation entre variétés cultivées et terrains de culture, mettre au point de nouvelles techniques de lutte contre les ravageurs. Les travaux de l’unité EDYSAN portent sur la caractérisation agrophysiologique des espèces cultivées, la caractérisation écophysiologique des interactions multitrophiques, la caractérisation écologique de la flore adventice, tout en explorant de nouvelles pistes, notamment sur la biodiversité fonctionnelle des communautés microbiennes du sol ; l’accent est mis sur :

– les plantes oléagineuses.

– les cultures pérennes à vocation bioénergétique.

– les techniques de cultures en semis direct sous couvert végétal (SDSCV).

 

  1. …AUX TERRITOIRES AGRICOLES À HAUTE VALEUR ENVIRONNEMENTALE

Les territoires dédiés aux grandes cultures sont dominés par des paysages de champs ouverts (openfield), qui sont parmi les plus artificialisés qui soient et, pour cette raison, sont souvent perçus comme des « déserts écologiques », tant l’intensification de l’agriculture associée à la « révolution verte » de l’après-guerre a investi dans l’éradication de toute espèce végétale –autre que le cultivar–, animale, ou fongique, des champs cultivés. D’un point de vue écologique, les territoires de grandes cultures représentent un paysage insolite : une mosaïque fluide d’écosystèmes artificiels (champs cultivés ou « agrosystèmes »), entrecoupée de rares éléments linéaires (haies, talus, chemins) ou ponctuels (bosquets, jachères), fortement anthropisés. La tendance actuelle, confirmée par les récentes lois « Grenelle », est à la réhabilitation de la « biodiversité ordinaire » et à l’« écologie de la réconciliation » (reconciliation ecology sensu Rosenzweig[2] : la science de l’invention, de la mise en œuvre et du maintien de nouveaux habitats permettant de conserver la diversité des espèces là où l’homme vit, travaille et joue), en promouvant des pratiques et des aménagements plus respectueux de la biodiversité, tout en maintenant -voire en renforçant- la capacité de production des agrosystèmes. Dans ce contexte, les éléments paysagers connexes aux champs (talus, bandes enherbées, haies, bois, etc.) ne sont plus seulement considérés comme des zones de non production, mais comme des infrastructures agro-écologiques, c’est-à-dire des habitats semi-naturels potentiellement nécessaires à l’homéostasie et à la résilience des espaces de production[3].

Les travaux de l’unité EDYSAN portent essentiellement sur le rôle de la sous-trame boisée dans le fonctionnement des paysages agricoles. Cette sous-trame boisée, qui inclut forêts, bois, bosquets, haies, ripisylves, etc., délivre de nombreux services écosystémiques et aménités tant en termes de paysage, de protection des sols et de l’eau, de stockage de carbone, d’habitats pour des animaux auxiliaires (ou ravageurs) de l’agriculture. De plus, elle joue un rôle majeur dans le maintien de la connectivité écologique au sein des paysages ruraux, particulièrement cruciale en contexte de réchauffement climatique. Bien qu’il soit un lieu commun de dire que la France n’a jamais été autant boisée qu’aujourd’hui, la surface forestière est restée beaucoup plus stable en zone de plaine qu’en zone de montagne. Surtout, là où la surface forestière est restée à peu près constante, comme dans le nord de la France, la surface de forêt ancienne (i.e. forêt ayant continuellement existé depuis plusieurs siècles[4]), elle, a fortement régressé, en lien avec un important taux de changement d’usage des terres : les bois et forêts anciens ont continué à être déboisés, tandis que d’anciennes terres agricoles se sont reboisées[5]. Or, ce sont précisément les boisements les plus anciens qui présentent la plus forte biodiversité végétale[6] et qui, par conséquent, sont susceptibles de fournir une plus grande gamme de services écosystémiques[7]. De plus, la fragmentation de la surface boisée n’a cessé de croître depuis la fin du XVIIIe siècle, donnant lieu à une multitude de fragments forestiers aujourd’hui inclus dans des paysages souvent intensément cultivés ou urbanisés et où les possibilités de migration inter-fragments en réponse au réchauffement climatique se trouvent considérablement réduites[8]. Les travaux de l’unité EDYSAN portent en particulier sur :

– l’adaptation locale de la niche écologique des espèces,

– la dispersion des espèces forestières au sein de matrices agricoles,

– l’existence de refuges climatiques pour les espèces forestières dans les plaines agricoles

– l’efficacité des insectes auxiliaires dépendant de la sous-trame boisée sur le contrôle des ravageurs et des adventices des cultures.

 

 

[1] Griffon M. (2010) Pour des agricultures écologiquement intensives. Editions de l’Aube.

[2] Rosenzweig ML (2003) Win-win ecology: how the earth’s species can survive in the midst of human enterprise. Oxford University Press.

[3] Ministère de l’Écologie (2012), Infrastructures agro-écologiques, 7 février 2012 (mis à jour le 14 mai 2013).

[4] Il convient en effet de ne pas confondre « forêt ancienne » (à opposer à « forêt récente », qui désigne une forêt établie sur une ancienne terre agricole) avec « vieille forêt », qui désigne des forêts dont les peuplements ligneux sont âgés et qui répondent à certains critères de naturalité (à opposer à « jeune forêt »). Une forêt ancienne peut être composée de peuplements jeunes (cas de la plupart des forêts domaniales qui sont gérées en forêt de production).

[5] Jamoneau A et al. Journal of Ecology 2011; 99: 1152-1161.

[6] Hermy M & Verheyen K. Ecological Research 2007; 22: 361–371.

[7] Gamfeldt L et al. Nature Communications 2013 ; 4 : 1340 doi : 10.1038/ncomms2328. Hooper DU et al. Nature 2012 ; 486 : 105–108.

[8] Jamoneau A et al. 2012 ; Ecography 35: 124-133.