Atelier D : Facettes d’un même objet

Points de vue et regards sur un ou plusieurs objets questionnent aussi bien leur réception par les élèves que les pratiques pédagogiques concernées. La chaise entre usage quotidien et production artistique, apprendre les sciences à partir de littérature de jeunesse, la branche de chocolat objet complexe, la chanson support d’apprentissages temporels, fleurs et fruits des exemples variés pour construire des concepts. Ces objets abordés sous des angles différents font voler en éclats les découpages disciplinaires traditionnels et peuvent être facteurs de blocages ou d’incompréhension pour les élèves ou les étudiants.

Voici ci-dessous les résumés et enregistrements ou diaporama des communications de l’atelier.

D1 – Objets et/ou dispositions ? Processus de médiations et blocages dans l’enseignement des arts plastiques – Sylvain Fabre, Université de Paris 8, CIRCEFT-ESCOL.

La communication voudrait interroger comment la prise en compte des objets peut enrichir la compréhension des processus d’enseignement-apprentissage en aidant à la description des situations et des interactions entre actions d’enseignement et dynamiques subjectives des élèves. Elle prend pour départ les discussions portant sur l’intérêt de la manipulation comme voie d’accès aux savoirs, face à une critique qui insisterait davantage sur l’importance du sens donné aux situations de manipulation et à l’exigence de secondarisation pour un usage cognitif de ces objets qui les rendent « objets pour apprendre ». Entre choses matérielles et dispositions, nous voudrions explorer l’hypothèse selon laquelle la diversité des objets (matériels, langagiers, voire conceptuels et symboliques) aide à articuler les plans et à affiner les possibilités de médiations et les risques de blocage qui apparaissent. Si l’on considère qu’un objet peut se dissocier en une pluralité d’objets (les propriétés sensibles d’un artefact par exemple), et que les objets s’associent en des réseaux (notion qu’il faudrait comparer à celle de système), le repérage des dynamiques d’association et de dissociation peut aider à comprendre comment les élèves circulent entre les mondes scolaire, professionnel ou encore familial.La réflexion s’appuiera sur l’analyse d’une situation de production plastique menée par une intervenante dans le cadre des Classes à Horaires Aménagés Arts Plastiques (CHAAP). L’étude des CHAAP a fait l’objet d’une thèse (reprise dans Fabre,2017) reposant sur une observation participante au long cours de quatre classes de 6° et 5°,ainsi que des entretiens avec les élèves et les différents formateurs impliqués dans le dispositif.En demandant de modifier une chaise pour lui donner des qualités «artistiques», l’intervenante vise à une première expérience des pouvoirs de l’art expérimentés sur un objet quotidien. Entre qualités plastiques et symbole du quotidien, la chaise oscille entre trivialité et marqueur d’un humour propre au domaine artistique.Les élèves sont donc confrontés à la difficulté de considérer la chaise comme «objet pour apprendre» les valeurs et les moyens artistiques.La séancepeut se comprendre comme conflit entre dispositions et contexte, mais aussi comme appel à mobilisation d’une pluralité d’objets qui permettent ou non de construire des objets nouveaux et de circuler entre les mondes évoqués. On interrogera alors certaines représentations de la discipline concernant la production et on considérera l’apport d’une analyse en termes d’«objets à et pour apprendre»à un approfondissement de ses principes didactiques.En retour, on interrogera l’extension et les usages de la notion d’objet dans sa pluralité, et son intérêt pour identifier la matérialité des supports et des vecteurs de la pensée, ainsi que les possibilités de médiation qu’ils offrent.

D2 – Des objets didactiques pour questionner les sciences à l’école primaire : les albums de littérature de jeunesse – Catherine Brugière, Université Claude Bernard Lyon 1, S2HEP, ESPE de l’Académie de Lyon ; Frédéric Charles, Université Claude Bernard Lyon 1, S2HEP, ESPE de l’Académie de Lyon.

Dans cette communication, nous témoignons du fonctionnement d’un groupe de recherche collaborative (Desgagné, 1997) qui questionne les sciences à partir d’albums de littérature de jeunesse. Très présents physiquement dans les classes des écoles primaires, ces albums peuvent se situer dans des espaces dédiés en maternelle, dans des bibliothèques en élémentaire, ou bien encore faire l’objet d’emprunts et de lectures organisées dans des médiathèques régulièrement visitées par les élèves. Les enseignants intègrent volontiers ces objets dans leurs pratiques : non seulement les albums de littérature de jeunesse appartiennent à la culture scolaire, mais ils sont également devenus une possibilité pédagogique à explorer à l’école primaire depuis qu’elle s’est imposée en 2002 dans les programmes officiels.

Plus précisément, la place centrale accordée aux images dans les albums est propice à l’éducation scientifique et technologique,donnant aux enfants la possibilité de questionner des objets du réel qui leur sont parfois familiers, parfois complètement étrangers. Dès lors, les potentialités des albums documentaires (Auger et Jacobi, 2003) et des albums de fiction, qualifiés de « réaliste » par Bruguière et Triquet (2012), font l’objet de recherches en didactique des sciences. Nous proposons dans cette communication de questionner en quoi ces objets didactiques -des albums de jeunesse de fiction réaliste-permettent de faire entrer des élèves dans un questionnement scientifique. Trois questions seront traitées successivement, témoignant de l’activité d’un groupe de recherche LéA (Lieu d’Éducation associé à l’Institut Français de l’Éducation) :

  • La première s’appuiera sur les travaux de Bruguière et Triquet (2014). Ces chercheurs questionnent comment une lecture interprétative de album de fiction La Promesse (Willis et Ross, 2005) permet de déstabiliser des obstacles liés au concept de métamorphose chez des élèves du début de l’élémentaire (7-8 ans), et cela, grâce à une réflexion centrée sur la dimension problématique de l’intrigue ;
  • La deuxième, adossée aux travaux de Soudani et al. (2014) interrogera en quoi le récit de fiction de l’album Plouf ! (Corentin, 1991) génère un questionnement épistémologique pouvant conduire des élèves d’élémentaire (6-7 ans) à modéliser le fonctionnement d’une poulie ;
  • La troisième questionnera la manière dont des enfants de grande section de maternelle comprennent la mise en images et en récit de la notion de relations alimentaires dans l’album Le Tigre mange-t-il de l’herbe ? (Hyeon-Jeong et Se-Yeon, 2014).

De ces objets didactiques « pour apprendre » et questionner les sciences, nous ouvrirons sur une discussion relative à l’activité de ce groupe de recherche qui envisage également ces albums comme des « objets à apprendre » dans le sens où l’utilisation envisagée par le LéA est innovante et qu’elle confère à ses membres chercheurs une expertise de formateurs.

D3 – La branche de chocolat : un objet complexe – Alain Pache, Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud ; Patrick Roy, Haute Ecole Pédagogique du canton de Fribourg.

Penser la complexité est, aujourd’hui peut-être encore plus qu’hier, une compétence fondamentale (Hertig, 2015). En effet, la pensée de la complexité permet d’appréhender les grands problèmes auxquels sont et seront confrontées les sociétés humaines, en évitant les impasses des explications simplistes fondées sur le raisonnement causal linéaire (ibid.).

Une équipe interdisciplinaire appartenant au LirEDD (Laboratoire international de recherche sur l’éducation en vue du développement durable) a travaillé, entre 2012 et 2015, avec 15 enseignants partenaires du canton de Vaud. Sur la base des enregistrements vidéo réalisés et des entretiens en focus groups, nous avons constaté qu’une partie importante des élèves du degré secondaire 1 (12 à 15 ans) mobilisent des éléments de la pensée complexe, en particulier des relations de causalité linéaire entre deux ou plusieurs éléments, plus rarement des chaînes de causalités multiples. Dans les entretiens, les élèves sont par ailleurs capables de mobiliser diverses échelles spatiales et temporelles, des boucles de rétroactions ou des tensions dialogiques. En revanche, en ce qui concerne l’identification des acteurs engagés dans une situation telle que celle qui a été soumise aux élèves, on constate une prédominance des acteurs indifférenciés (« les gens », « on », « ils »). Le passage à l’action et les conditions de l’action sont également largement absents du discours des élèves (Pache, Hertig & Curnier, 2016).

Pour ce qui est des enseignants partenaires, ils réduisent généralement la complexité au multiple, si bien que l’on constate une dilution des savoirs disciplinaires dans des procédures de recherche, de comparaison et d’organisation de l’information de type transversales, au détriment d’une mise en évidence explicite des outils de pensée de la complexité. C’est la raison pour laquelle, la deuxième phase de la recherche, entre 2018 et 2021, souhaite mettre l’accent sur la problématisation, la notion d’outil de pensée et les outils de visualisation de la complexité. A partir d’un objet du quotidien, la branche de chocolat, il s’agira de faire émerger les principales questions controversées liées à la thématique du chocolat. Puis, en adoptant la perspective du détour et du retour (Audigier, Fink, Freudiger & Haeberli, 2011), l’équipe de recherche proposera différents contenus d’enseignement basés sur une matrice interdisciplinaire réalisée préalablement (Gremaud & Roy, 2017).

Dans cette communication, nous présenterons la problématique, le dispositif méthodologique de cette recherche collaborative orientée par la conception (Sanchez & Monod-Ansaldi, 2014) ainsi que les principaux résultats recueillis en automne 2018 et au printemps 2019.

D4 – Utiliser une chanson comme objet-médiateur de l’apprentissage des repères temporels – Christine Croset-Rumpf, Haute Ecole Pédagogique de Lausanne.

S’appuyant sur une recherche effectuée dans les premiers degrés de la scolarité (élèves de 4 à 6 ans), cette présentation s’intéresse à l’objet-chanson : très fréquemment pratiquée tant par les enseignants que par les élèves dans ces degrés, ses possibilités de médiateur d’apprentissage restent peu conscientisées, et donc sous-utilisées. Ici, une chanson-à-gestes sert de support au traitement d’un objet de savoir présenté comme déterminant pour les apprentissages futurs du jeune élève, à savoir l’appropriation des repères temporels (Suchaut, 2008). L’enseignante cherche à amener ses élèves à structurer le flux oral par des moyens (notamment l’usage de signes, dans une perspective vygotskienne) qui s’apparentent au processus de l’entrée dans l’écrit : à l’issue de plusieurs séances de chant en mouvement, les élèves inventent une forme de code alternatif qui leur servira de proto-partition. À partir d’un objet oral (la chanson), on produit un objet graphique. Ce faisant, on multiplie les interactions et le recours à divers modes sensoriels : nous faisons l’hypothèse qu’il est pertinent de prendre en compte la forme de sensorialité propre au jeune enfant, chez qui la transmodalité domine encore. Ici, les sens proprioceptifs se conjuguent aux sens auditif et visuel pour permettre le traitement de l’objet de savoir temporel. Les questions sont :

  • quels indices qui montrent que le traitement de cet ”objet-chanson”permet aux élèves de s’approprier des outils psychologiques de repérage temporel ?
  • quelles habiletés cognitives (Anderson et Krathwohl, 2001) sont-elles présentes dans les tâches et interactions ?

Les données récoltées comprennent : les enregistrements vidéo de la séquence (six séances de mise en œuvre en grand groupe et une séance d’évaluation avec deux sous-groupes d’élèves), la transcription des interactions verbales entre l’enseignante et les élèves, et les productions graphiques des élèves.

Liens vers un ouvrage pédagogique en rapport avec la communication : https://www.editionslep.ch/amuse-bouches-les-saisons

D5 – La reproduction des plantes à fleurs : entre réalité des objets, des images et des discours – Catherine Boyer, Université de Lille 3, CIREL-Théodile.

A partir des concepts de fleur et de fruit, nous nous interrogerons sur le rapport entre les objets (fleur, fruit) les mots qu’ils véhiculent et les définitions données. Quelles sont les fleurs, les fruits utilisés en classes (dans les manuels et dans les objets manipulables), évoquées et pour construire quelles compétences ? Le concept de reproduction des plantes à fleurs est compliqué et les mots qui les sous-tendent sont particulièrement dépendant des objets et des modalités de pensée (Boyer 2000, Bosdeveix et Al 2014).

Pour répondre à notre question nous nous baserons sur des situations de classe en primaire et en Licence 2 et 3 de l’université de Lille sur ces mêmes notions. Quels sont les objets supports d’apprentissages (quelles plantes ? quelles images de plantes…) ? Qu’apportent les différents éléments d’écriture en sciences (dessin, schéma, diagramme floral, cycle de reproduction) ? Comment passent-ils de l’objet réel à « l’écrit » et sous quelle forme ? qu’en pensent les étudiants, leurs difficultés, leurs réussites ? Quels apprentissages entre les mots et les dessins ou les photos et/ou les objets réels ?

Le corpus comprend les supports utilisés, des productions d’élèves, des interactions langagières et des entretiens d’étudiants. L’analyse croisée entre la nature des images (Jacobi, 1985), la lecture d’objet réel (fleur, fruit) et les termes utilisés dans les interaction et entretiens seront mis en lien avec les conceptualisations construites ou en cours de construction. Nous montrerons que ce concept si souvent travaillés en classe conduit une partie des étudiants d’université souhaitant devenir de futurs enseignants, à construire des conceptualisations différentes selon les objets évoqués proches de celles des élèves de primaire. Ces conceptualisations sont dépendantes du niveau d’abstraction des discours attendus (Vygotski, 1985). Et pose donc le problème de l’évaluation de connaissances.