Atelier G : Des objets et des points de vue

Explicitement cet atelier aborde les malentendus et obstacles que suscitent chez les élèves le changement de statut des objets, supports d’apprentissage choisis par les enseignants. En écho, cela questionne la formation des enseignants permettant, autant que c’est possible, aux élèves de dépasser ces obstacles. Albums de jeunesse, marionnettes, kamishibaïs, objets culturels, visites de musée, écrits instrumentaux sont les supports proposés en maternelle et à l’école élémentaire.

Voici ci-dessous les résumés des communications de l’atelier.

G1 – De l’objet à l’instrument pour le développement du langage en maternelle : accompagnement nécessaire dans le développement de la compétence professionnelle de l’enseignant – Emilie Magnat, Université de Picardie Jules Verne, ESPE de l’académie d’Amiens, CERCLL ; Karima Olechny, Université de Picardie Jules Verne, ESPE de l’académie d’Amiens.

Les classes sont riches en objets divers et variés. Cependant, l’objet ne devient un instrument pour l’apprentissage que lorsqu’il est accompagné de schèmes d’utilisation, c’est-à-dire une fois que des fonctions lui ont été attribuées par le ou les utilisateurs (Rabardel, 1995 : 11). Ce qui est un instrument pour l’enseignant-concepteur-utilisateur, peut rester un objet pour un nouvel enseignant tant qu’il ne perçoit pas son potentiel et ses limites d’utilisation. La présente proposition de communication vise à rendre compte de l’importance des objets comme instruments pour le développement du langage chez des élèves de maternelle et du processus par lequel passent les fonctionnaires stagiaires (FS) pour développer leur compétence professionnelle.

Dans un premier temps, nous présenterons les modalités de travail et les différents instruments développés et testés par les FS dans le cadre des projets polyvalence et culturel à l’ESPE (album de jeunesse, images, butaïs et kamishibaïs, boites à histoires, jeux, marionnettes, objets en 2D et 3D). Suite à l’analyse didactique de supports d’apprentissage en groupe, les FS ont créé et/ou testé les instruments dans une école d’application avant de proposer un retour réflexif sur leur conception et l’expérience vécue.

Dans un deuxième temps, nous proposerons une analyse de l’expérience des FS lors des essais didactiques. Les premiers résultats mettent en évidence les difficultés quant à l’analyse didactique et l’identification des points de vigilance, ainsi que la nécessité d’un accompagnement tant par l’enseignant que par les pairs dans le développement de cette compétence professionnelle. L’utilisation réelle est parfois bien loin de l’utilisation envisagée à cause de mauvaises représentations de la situation d’enseignement-apprentissage. Les instruments conçus comme des aides peuvent en réalité s’avérer complexes et ne pas permettre le travail initialement prévu. Il apparaît également que, dans les situations d’activité collective instrumentée (Folcher & Rabardel, 2004) par des images et autres objets, les élèves envisagent eux-mêmes de nouveaux schèmes d’utilisation.

Enfin, nous proposerons une organisation temporelle de l’utilisation de ces instruments en justifiant leurs apparitions dans la séquence sur le langage selon 1) leurs caractéristiques ; 2) leurs intérêts pour le développement de la motivation, de l’étayage et de la mémorisation ; 3) leurs rôles tant pour le travail de l’oral que de l’écrit. Nous préciserons en quoi cette organisation peut être amenée à évoluer en raison de l’apparition de nouveaux schèmes pour ces objets. Nous suggèrerons également des pistes tant sur le plan de la recherche qu’en ce qui concerne la formation des professeurs des écoles.

G2 – Enseigner la lecture à partir de la littérature de jeunesse en classe de CP. Etude de la scolarisation d’un objet culturel – Samuel Pinto, Université de Paris 8, CIRCEFT-ESCOL, Université Reims Champagne-Ardenne.

Cette proposition repose sur les résultats d’une recherche empirique sur l’apprentissage de la lecture à partir de la littérature de jeunesse au C.P. Nous porterons notre intérêt sur la scolarisation progressive des objets culturels que sont les albums de littérature de jeunesse et leur utilisation comme support d’apprentissage. L’utilisation des albums de jeunesse pour apprendre à lire aux élèves repose sur des attentes didactiques et pédagogiques qui sont notamment fondées sur des présupposés cognitifs et culturels liés au développement du «plaisir de lire» et à la ludicisation des supports et des modalités d’apprentissage.

Notre propos repose sur l’analyse de plusieurs corpus complémentaires : instructions officielles sur l’enseignement de la lecture; corpus d’albums de littérature de jeunesse (N= 40) ; observations de séances d’enseignement de la lecture en CP (N=30) ; entretiens avec des enseignants (N=8) et des concepteurs de manuels de lecture (N=4).

Dans les années 1970, la réforme de l’enseignement du français provoque un glissement paradigmatique concernant la lecture et son enseignement. Cette transformation des objectifs cognitifs et culturels entraîne une modification des manières d’enseigner et des supports sur lequel repose l’enseignement de la lecture. Parmi les nouveaux supports pouvant permettre l’entrée dans les apprentissages liés à la lecture apparaissent les albums de littérature de jeunesse. Auparavant l’école était particulièrement méfiante face aux lectures qu’elle ne pouvait pas contrôler, préférant des manuels et morceaux de textes choisis à des œuvres destinées à l’enfance (Chartier, 2007). L’importation des albums dans l’école a entraîné un basculement au niveau pédagogique et didactique entraînant un subtil tissage entre les logiques de divertissement et d’apprentissage (Chamboredon & Fabiani, 1977).

Nous analyserons d’abord les modifications liées à l’enseignement de la lecture aux travers des I.O et comment la lecture littéraire s’est peu à peu imposée à l’école. Ensuite nous interrogerons les intentions didactiques et pédagogiques des enseignants et des concepteurs des manuels de lecture utilisant la littérature de jeunesse. Enfin nous explorerons comment les enseignants apprennent à lire à leurs élèves avec de tels supports.

Les résultats de notre recherche montrent que l’association de l’apprentissage de la lecture et de la littérature de jeunesse correspond à une certaine définition de l’enfance, de la lecture et à une certaine conception des apprentissages qui ne sont pas universellement partagées. De même, il apparaît que les dispositifs pédagogiques et didactiques ne favorisent pas la construction et le développement des savoirs liés à la lecture et à la littérature chez tous les élèves (Bautier, Crinon, Delarue-Breton & Marin, 2012).

G3 – L’inégalité face à l’interprétation par les élèves des objets culturels à l’école – Julien Netter, UPEC (Université Paris Est Créteil).

L’ouverture culturelle de l’école,à l’œuvre depuis une quarantaine d’années, permet l’introduction dans le cadre scolaire d’objets originaux qui ne sont pas accessibles en classe. Cela offre la possibilité d’un enrichissement indéniable mais suppose que ces objets soient d’une manière ou d’une autre liés à l’activité scolaire quotidienne des élèves. À défaut de tels liens, leur fréquentation risque de demeurer accessoire, peu intégrée au travail d’apprentissage, ces objets originaux étant alors juxtaposés aux objets plus scolaires du curriculum (Bautier et Rayou, 2009). La communication visera à interroger la façon dont les élèves considèrent ces objets et les lient à leur activité scolaire quotidienne. Une large place est ainsi faite aux processus de catégorisation en situation (Sander, 2000), notamment appuyés sur les indices langagiers et manifestés par des indices langagiers.

L’exposé est appuyé sur une enquête sociologique de type ethnographique réalisée dans sept écoles primaires parisiennes socialement contrastées pendant un an et demie et ayant donné lieu à 468h d’observations. Le corpus présenté consistera notamment en quatre situations de sorties au musée avec quatre classes différentes, les analyses étant toutefois étayées par cinq autres situations de réalisation de projets culturels en dehors du cadre habituel de la classe. Chacune de ces situations est caractérisée par la présence d’objets particuliers, souvent une ou plusieurs œuvres originales.

Dans un premier temps, une situation de visite au musée permettra de montrer comment des élèves identifient un objet d’étude puis s’appuient sur les disciplines scolaires pour donner sens à cet objet (Schneuwly, 2004). Ils recherchent ainsi quel bénéfice scolaire la découverte de ce nouvel objet peut leur apporter et ont des réponses parfois divergentes. Une seconde partie du propos devrait amener à se demander ce qui se passe lorsque les enfants ne parviennent pas à mobiliser une discipline pour interpréter l’objet fréquenté. L’observation de tels enfants amène à relativiser l’idée selon laquelle l’ouverture culturelle de l’école serait en soi un outil privilégié pour lutter contre les inégalités scolaires, idée souvent invoquée pour la justifier (Morel, 2006 ; Barrère et Mairesse, 2015). Certaines conditions semblent en effet s’imposer pour qu’elle puisse accéder à un tel statut. Dès lors, la communication interrogera dans un troisième temps l’effet des pratiques d’encadrement sur les interprétations des élèves, en s’attachant à montrer qu’il faut aux encadrants accompagner le passage d’une lecture thématique à une lecture disciplinaire de ces objets.

G4 – Les contenus des visites scolaires dans les musées et centres de culture scientifique : places et statuts des objets – Alain Sénécail, Université de Lille, Haute école pédagogique du canton de Vaud.

Par leur mission d’éducation, l’école et le musée ont au moins un point commun. Cependant, les modes d’exposition, d’organisation, de transmission et d’appropriation des contenus semblent différents d’un espace à un autre, notamment dans leurs relations aux objets. En 1992, Michel Van-Praët et Bruno Poucet mettent en avant la notion d’objet authentique dans la mise en discours du Musée et insistent sur la mise en espace de celui-ci (p. 26). Ainsi, le visiteur devient lecteur d’un savoir scientifique transposé pour le Musée et exposé dans une mise en scène de ces objets (J. Eidelman et M. Van Praët, 2000). En cela, c’est par son déplacement dans l’exposition que le visiteur peut sélectionner des contenus et « reconstruire un plan du discours qui lui est personnel » (C. Cohen-Azria, 2012, p.98) et qu’il s’approprie la « langue de l’exposition scientifique » (J. Davallon, 1989).

Quid de cette visite lorsqu’elle se déroule sur le temps scolaire ? Y poursuit-on les mêmes objectifs d’apprentissages ? En didactique, la visite scolaire a longtemps été pensée dans une dichotomie forte entre l’école et le musée, en ce que les contenus de l’un étaient en opposition à l’autre ou en ce qu’ils étaient supplémentaires. Dans mon travail de thèse, je propose de reconsidérer la visite scolaire comme une situation spécifique caractérisée par des contenus issus de la transformation des objets de savoirs scolaires et muséaux (cf. C. Cohen-Azria et A. Dias-Chiaruttini, 2015). Quels sont alors ces contenus ? Comment les caractériser ? Quels statuts leur sont accordés ?

Pour répondre à ces questions, l’un des moyens est d’analyser la place et le statut des objets (matériels ou non) mis en jeu dans les situations de visites. Pour ce faire, je propose, dans un premier temps, de revenir sur l’état de la question dans la littérature théorique tout en proposant de nouvelles réflexions. Dans un second temps, en m’inspirant des travaux de la théorie de l’action conjointe en didactique sur l’analyse des pratiques (Sensevy, Mercier & al., 2007; Marlot, 2014) et sur les travaux de Joël Bisault autour des statuts des objets (i.e Bisault & Rebiffé, 2011), je proposerais une méthodologie originale d’analyse des discours aux échelles macro-, méso- et microscopique. Il s’agit alors pour moi d’analyser des moments de visites ordinaires, sans dispositifs particuliers et circonscrits par le lieu d’exposition. Ce point sera illustré par des exemples d’analyse de verbatims de la visite scolaire d’une classe de CE2 au musée d’histoire naturelle de Lille. Exemples qui montrent comment les objets peuvent passer d’un statut d’objet muséal à celui d’objet d’investigation scientifique. Ainsi, cette réflexion me semble en cohérence avec l’axe 1de ce colloque « Les objets en classe : entre pratiques et apprentissages, quelles attentes et quels apports ? » en ce qu’elle interroge les apports de l’extrascolaire en termes de relations objets-apprentissages sur un temps scolaire ; celui de la visite.

G5 – Changement de statut des objets : place, rôle et spécificités des écrits instrumentaux – Elisabeth Plé, Université de Reims, Champagne-Ardenne, CEREP ; Laurence Dedieu, ESPE de Reims, URCA, CEREP.

Depuis plusieurs années maintenant, les programmes de l’école maternelle française invitent les enseignants à faire « utiliser, fabriquer, manipuler des objets » par les élèves à travers le domaine « explorer le monde des objets, de la matière et du vivant ». Si les activités d’éducation scientifique et techniques mettant en jeu des objets sont plus nombreuses, nous avons constaté que bien souvent les pratiques enseignantes survalorisent le « faire » au détriment de « l’apprendre »…L’ « apprendre » nécessite distanciation et objectivation au moyen du langage. Quand cette mise à distance est pratiquée elle l’est souvent à l’oral, les écrits des élèves étant là pour attester d’une évolution de la représentation de l’objet au cours de l’apprentissage (Bisault, 2005).

Nous nous sommes donc posé la question de la place et du rôle des « écrits instrumentaux » (Schneeberger, Vérin, 2009) et de leurs spécificités quand les élèves ne maitrisent pas l’écrit alphabétique. Comment par exemple, l’écrit peut-il amener l’élève de grande section à passer du « miroir pour me voir » au « miroir pour voir les objets que je ne vois pas directement » ? Comment l’écrit peut-il modifier le rapport au monde d’un élève de moyenne section faisant se déplacer des objets avec du vent ? Comment l’élaboration d’un code commun, produit d’une communauté scientifique discursive scolaire (Jaubert & Rebière, 2012 ; Plé, 2016) pour représenter l’action du vent et le déplacement de l’objet, peut-il modifier le questionnement de l’enfant sur son environnement ? La question de l’usage de ces écrits a également été posée avec des enfants de 3 ans manipulant des objets (bouteilles et boites) munis de moyens de fermeture divers.

L’ensemble de ces travaux a été conduit à travers une recherche collaborative mobilisant cinq enseignantes d’école maternelle et une chercheure en didactique des sciences. Chacune des séances de classe a été l’objet d’une élaboration collective puis d’une analyse enseignante/chercheure avant d’envisager la suivante. Les différentes séquences ont été filmées et nous avons recueilli les écrits produits par les élèves. Les écrits ont été analysés du point de vue de leur capacité à la distanciation et l’objectivation en lien avec la médiation enseignante et le discours oral qui est porté dessus.

Pour compléter cette étude, nous avons procédé à une enquête sous forme de 10 entretiens d’enseignants de maternelle. Au cours de ces entretiens, les enseignants sont interrogés sur leurs pratiques habituelles concernant l’écrit dans les activités scientifiques, puis ils visionnent un film présentant des usages d’écrits instrumentaux pour faire évoluer le rapport au monde des élèves (les 3 exemples précédemment cités). Ces entretiens révèlent que les enseignants accordent spontanément deux fonctions principales à l’écrit: « garder trace » et « mesurer les progrès des élèves ». En découvrant les activités élaborées avec les enseignantes engagées dans le groupe de recherche, beaucoup mettent en avant la difficulté à mettre en place ce genre d’activités à cause des faibles capacités de leurs élèves à produire des dessins (Chang, 2012).