DE LA NATURE ET DE L'ORIGINE DE L'ESPRIT

DE NATURA ET ORIGINE MENTIS

INTRODUCTION

Je passe maintenant à l’explication des choses qui ont dû suivre nécessairement de l’essence de Dieu, autrement dit de l’essence de l’Être éternel et infini. Je ne traiterai pas de toutes cependant ; car nous avons démontré Proposition 16 de la Partie 1 qu’une infinité de choses devaient suivre de cette essence en une infinité de modes ; j’expliquerai seulement ce qui peut nous conduire comme par la main à la connaissance de l’esprit humain et de sa béatitude suprême.

DÉFINITIONS

1. Par corps j’entends un mode qui exprime l’essence de Dieu, en tant qu’on la considère comme chose étendue, d’une manière précise et déterminée ; voyez le Corollaire de la Proposition 25, p. I.

2. Je dis que cela appartient à l’essence d’une chose qu’il suffit qui soit donné, pour que la chose soit posée nécessairement, et qu’il suffit qui soit ôté, pour que la chose soit ôtée nécessairement ; ou encore ce sans quoi la chose ne peut ni être ni être conçue, et qui vice versa ne peut sans la chose être ni être conçu.

3. Par idée j’entends un concept de l’esprit que l’esprit forme pour ce qu’il est une chose pensante.

EXPLICATION

Je dis concept plutôt que perception parce que le mot de perception semble indiquer que l’esprit est passif à l’égard d’un objet, tandis que concept semble exprimer une action de l’esprit.

4. Par idée adéquate j’entends une idée qui, en tant qu’on la considère en elle-même, sans relation à l’objet, a toutes les propriétés ou dénominations intrinsèques d’une idée vraie.

EXPLICATION

Je dis intrinsèques pour exclure celle qui est extrinsèque, à savoir la convenance de l’idée avec son idéat.

5. La durée est une continuation indéfinie de l’existence.

EXPLICATION

Je dis indéfinie parce qu’elle ne peut jamais être déterminée par la nature même de la chose existante non plus que par sa cause efficiente, laquelle en effet pose nécessairement l’existence de la chose, mais ne l’ôte pas.

6. Par réalité et par perfection j’entends la même chose.

7. Par choses singulières j’entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée ; que si plusieurs individus concourent en une même action de telle sorte que tous soient cause en même temps d’un même effet, je les considère tous à cet égard comme une même chose singulière.

AXIOMES

1. L’essence de l’homme n’enveloppe pas l’existence nécessaire, c’est-à-dire il peut aussi bien se faire, suivant l’ordre de la Nature, que cet homme-ci ou celui-là existe, qu’il peut se faire qu’il n’existe pas.

2. L’homme pense.

3. Il n’y a de modes de penser, tels que l’amour, le désir, ou tout autre pouvant être désigné par le nom d’affect de l’esprit, qu’autant qu’est donnée dans le même individu une idée de la chose aimée, désirée, etc. Mais une idée peut être donnée sans que soit donné aucun autre mode de penser.

4. Nous sentons qu’un certain corps est affecté de beaucoup de manières.

5. Nous ne sentons ni ne percevons nulles choses singulières, sauf des corps et des modes de penser.

Voir les Postulats à la suite de la Proposition 13.

PROPOSITION I

La pensée est un attribut de Dieu, autrement dit Dieu est chose pensante.

DÉMONSTRATION

Les pensées singulières, c’est-à-dire cette pensée-ci ou celle-là, sont des modes qui expriment la nature de Dieu d’une manière précise et déterminée (Corollaire de la Proposition 25, p. I). Appartient donc à Dieu (Définition 5, p. I) un attribut dont toutes les pensées singulières enveloppent le concept, et par lequel aussi ces pensées se conçoivent. La Pensée est donc un des attributs infinis de Dieu, lequel exprime l’essence éternelle et infinie de Dieu (voir Définition 6, p. I), autrement dit Dieu est chose pensante. C.Q.F.D.

SCOLIE

Cette Proposition est encore évidente par cela que nous pouvons concevoir un être infini pensant. Plus en effet un être pensant peut penser de choses, plus nous concevons qu’il contient de réalité ou perfection, donc un être qui peut penser une infinité de choses en une infinité de modes, est nécessairement infini par la vertu du penser. Puis donc qu’ayant égard uniquement à la pensée, nous concevons un Être infini, la Pensée est nécessairement (Définitions 4 et 6, p. I) l’un des attributs infinis de Dieu, comme nous le voulions.

PROPOSITION II

L’étendue est un attribut de Dieu, autrement dit Dieu est chose étendue.

DÉMONSTRATION

Elle procède de la même façon que dans la démonstration de la proposition précédente.

PROPOSITION III

Il y a nécessairement en Dieu une idée tant de son essence que de tout ce qui suit nécessairement de son essence.

DÉMONSTRATION

Dieu en effet (Proposition 1) peut penser une infinité de choses en une infinité de modes ou (ce qui revient au même suivant la Proposition 16 de la p. I) former l’idée de son essence et de tout ce qui en suit nécessairement. Or tout ce qui est au pouvoir de Dieu, est nécessairement (Proposition 35, p. I) ; donc une telle idée est nécessairement donnée et (Proposition 15, p. I) ce ne peut être autre part qu’en Dieu. C.Q.F.D.

SCOLIE

Le vulgaire entend par puissance de Dieu une volonté libre et un droit s’étendant à tout ce qui est, et pour cette raison toutes choses sont communément considérées comme contingentes. Dieu, dit-on en effet, a le pouvoir de tout détruire et tout réduire au néant. On compare, en outre, très souvent la puissance de Dieu à celle des Rois. Mais nous avons réfuté cela dans les Corollaires 1 et 2 de la Proposition 32, partie 1, et, dans la Proposition 16, Partie I, nous avons montré que Dieu agit par la même nécessité par laquelle il se comprend lui-même ; c’est-à-dire, de même qu’il suit de la nécessité de la nature divine (comme tous l’admettent d’une seule voix) que Dieu se comprenne lui-même, il suit aussi avec la même nécessité que Dieu produise une infinité d’actions en une infinité de modes.

Ensuite, nous avons montré, Proposition 34 de la Partie I, que la puissance de Dieu n’est rien d’autre que l’essence agissante de Dieu ; il nous est donc aussi impossible de concevoir Dieu comme n’agissant pas que comme n’étant pas.

De plus, s’il me plaisait de poursuivre sur ce point, je pourrais encore montrer ici que cette puissance que le vulgaire attribue à Dieu par fiction, non seulement est celle d’un homme (ce qui fait voir que le vulgaire conçoit Dieu comme un homme ou pareil à un homme), mais enveloppe aussi l’impuissance. Je ne veux pas toutefois reprendre si souvent la même discussion. Je me contente de prier avec instance le lecteur d’examiner à plusieurs reprises ce qui est dit dans la première Partie sur ce sujet depuis la Proposition 16 jusqu’à la fin. Nul en effet ne pourra percevoir correctement ce que je veux dire, s’il ne prend bien garde à ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance humaine des rois ou leur droit.

PROPOSITION IV

L’idée de Dieu, de laquelle suivent une infinité de choses en une infinité de modes ne peut être qu’unique.

DÉMONSTRATION

L’entendement infini ne comprend rien sinon les attributs de Dieu et ses affections (Proposition 30, p. I).
Or Dieu est unique (Corollaire 1 de la Proposition 14, p. I).
Donc l’idée de Dieu de laquelle suivent une infinité de choses en une infinité de modes ne peut être qu’unique. C.Q.F.D.

PROPOSITION V

L’être formel des idées reconnaît pour cause Dieu, en tant seulement qu’il est considéré comme être pensant, non en tant qu’il s’explique par un autre attribut. C’est-à-dire les idées tant des attributs de Dieu que des choses singulières reconnaissent pour cause efficiente non les idéats eux-mêmes ou, en d’autres termes, les choses perçues, mais Dieu lui-même en tant qu’il est chose pensante.

DÉMONSTRATION

Cela est évident par la Proposition 3. Là en effet nous établissions que Dieu peut former une idée de son essence et de tout ce qui en suit nécessairement, en nous fondant seulement sur ce que Dieu est chose pensante et non sur ce qu’il serait l’objet de sa propre idée. C’est pourquoi l’être formel des idées reconnaît pour cause Dieu, en tant qu’il est chose pensante.

Mais voici une autre démonstration : l’être formel des idées est un mode du penser (comme il est connu de soi), c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 25, p. I) un mode qui exprime d’une manière précise la nature de Dieu en tant qu’il est chose pensante, et ainsi (Proposition 10, p. I) n’enveloppe le concept d’aucun autre attribut de Dieu, et conséquemment (Axiome 4, p. I) n’est l’effet d’aucun autre attribut, sinon de la pensée donc l’être formel des idées a pour cause Dieu en tant seulement qu’il est considéré comme chose pensante, etc. C.Q.F.D.

PROPOSITION VI

Les modes de chaque attribut ont pour cause Dieu en tant seulement qu’il est considéré sous l’attribut dont ils sont des modes et non en tant qu’il est considéré sous un autre attribut.

DÉMONSTRATION

Chaque attribut en effet est conçu par soi, en dehors de tout autre (Proposition 10, p. I). C’est pourquoi les modes de chaque attribut enveloppent le concept de leur attribut, mais non d’un autre ; et ainsi (Axiome 4, p. I) ont pour cause Dieu en tant seulement qu’il est considéré sous cet attribut dont ils sont des modes, et non en tant qu’il est considéré sous aucun autre. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là que l’être formel des choses qui ne sont pas des modes du penser ne suit pas de la nature divine par la raison qu’elle a d’abord connu les choses ; mais les choses qui sont les objets des idées suivent et sont conclues de leurs attributs propres de la même manière et avec la même nécessité que nous avons montré que les idées suivent de l’attribut de la Pensée.

PROPOSITION VII

L’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des choses.

DÉMONSTRATION

Cela est évident par l’Axiome 4, Partie I. Car l’idée de chaque chose causée dépend de la connaissance de la cause dont elle est l’effet.

COROLLAIRE

Il suit de là que la puissance de penser de Dieu est égale à sa puissance actuelle d’agir, c’est-à-dire tout ce qui suit formellement de la nature infinie de Dieu suit en Dieu objectivement dans le même ordre et avec la même connexion de l’idée de Dieu.

SCOLIE

Ici, avant de poursuivre, il nous faut nous rappeler ce que nous avons fait voir ci-dessus : que tout ce qui peut être perçu par un entendement infini comme constituant une essence de substance, appartient à une substance unique, et en conséquence que substance pensante et substance étendue, c’est une seule et même substance qui est comprise tantôt sous un attribut, tantôt sous l’autre. De même aussi un mode de l’étendue et l’idée de ce mode, c’est une seule et même chose, mais exprimée en deux manières ; c’est ce que quelques Hébreux semblent avoir vu comme à travers un nuage, à savoir ceux qui admettent que Dieu, l’entendement de Dieu et les choses comprises par lui, sont une seule et même chose. Par exemple, un cercle existant dans la Nature et l’idée du cercle existant, laquelle est aussi en Dieu, c’est une seule et même chose qui s’explique par des attributs différents ; et ainsi, que nous concevions la Nature sous l’attribut de l’Étendue ou sous l’attribut de la Pensée ou sous un autre quelconque, nous trouverons un seul et même ordre ou une seule et même connexion de causes, c’est-à-dire les mêmes choses suivant les unes des autres. Et si j’ai dit que Dieu est cause d’une idée, de celle d’un cercle par exemple, en tant seulement qu’il est chose pensante, comme du cercle en tant seulement qu’il est chose étendue, mon seul motif pour tenir ce langage a été qu’on ne peut percevoir l’être formel de l’idée du cercle que par le moyen d’un autre mode de penser, qui en est comme la cause prochaine, qu’on ne peut percevoir cet autre à son tour que par le moyen d’un autre encore et ainsi à l’infini ; de sorte que, aussi longtemps que les choses sont considérées comme des modes du penser nous devons expliquer l’ordre de la Nature entière, c’est-à-dire la connexion des causes par le seul attribut de la Pensée ; et en tant qu’elles sont considérées comme des modes de l’Étendue, l’ordre de la Nature entière doit être expliqué aussi par le seul attribut de l’Étendue, et je l’entends de même pour les autres attributs. C’est pourquoi Dieu est réellement, en tant qu’il est constitué par une infinité d’attributs, cause des choses comme elles sont en elles-mêmes ; et je ne puis présentement expliquer cela plus clairement.

PROPOSITION VIII

Les idées des choses singulières, autrement dit des modes, n’existant pas, doivent être comprises dans l’idée infinie de Dieu de la même façon que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des modes, sont contenues dans les attributs de Dieu.

DÉMONSTRATION

Cette proposition est évidente par la Proposition précédente ; mais elle se comprend plus clairement par le Scolie précédent.

COROLLAIRE

Il suit de là qu’aussi longtemps que des choses singulières n’existent pas, si ce n’est en tant que comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c’est-à-dire leurs idées n’existent pas, si ce n’est en tant qu’existe l’idée infinie de Dieu ; et, quand des choses singulières sont dites exister non seulement en tant que comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant qu’elles sont dites durer, leurs idées aussi envelopperont une existence par où elles sont dites durer.

SCOLIE

Si quelqu’un désire un exemple pour expliquer plus amplement ce point, je n’en pourrai certes donner aucun qui explique adéquatement la chose dont je parle ici, attendu qu’elle est unique ; je m’efforcerai cependant d’illustrer ce point comme il se peut faire : un cercle est, on le sait, d’une nature telle que les segments formés par toutes les lignes droites se coupant à l’intérieur donnent des rectangles équivalents ; dans le cercle sont donc contenues une infinité de rectangles équivalents ; toutefois, aucune d’elles ne peut être dite exister si ce n’est en tant que le cercle existe, et, de même, l’idée d’aucun de ces rectangles ne peut être dite exister, si ce n’est en tant qu’elle est comprise dans l’idée du cercle. Concevons cependant que de cette infinité de rectangles deux seulement existent, savoir D et E. Certes leurs idées existent alors non seulement en tant que comprises dans l’idée du cercle, mais aussi en tant qu’elles enveloppent l’existence de ces rectangles ; par où il arrive qu’elles se distinguent des autres idées des autres rectangles.

PROPOSITION IX

L’idée d’une chose singulière existant en acte a pour cause Dieu non en tant qu’il est infini, mais en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée d’une autre chose singulière existant en acte, idée de laquelle Dieu est aussi cause en tant qu’il est affecté d’une troisième, et ainsi à l’infini

DÉMONSTRATION

L’idée d’une chose singulière existant en acte est un mode singulier du penser et distinct des autres (Corollaire et Scolie de la Proposition 8) et ainsi a pour cause Dieu en tant seulement qu’il est considéré comme chose pensante (Proposition 6). Non cependant (Proposition 28, p. I) en tant qu’il est chose pensante absolument, mais en tant qu’il est considéré comme affecté d’un autre mode de penser ; et de ce dernier aussi 'Dieu est cause' en tant qu’il est affecté d’un autre, et ainsi à l’infini.
Or l’ordre et la connexion des idées (Proposition 7) est le même que l’ordre et la connexion des causes ; l’idée d’une certaine chose singulière a donc pour cause une autre idée, c’est-à-dire Dieu en tant qu’on le considère comme affecté d’une autre idée, et cette autre idée aussi a pour cause Dieu en tant qu’il est affecté d’une troisième, et ainsi à l’infini. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

De tout ce qui arrive dans l’objet singulier d’une idée quelconque, la connaissance est donnée en Dieu, en tant seulement qu’il a l’idée de cet objet.

DÉMONSTRATION

De tout ce qui arrive dans l’objet d’une idée quelconque, une idée est donnée en Dieu (Proposition 3) non en tant qu’il est infini, mais en tant qu’on le considère comme affecté d’une autre idée de chose singulière (Proposition précédente) ; mais (Proposition 7) l’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des choses ; la connaissance de ce qui arrive dans un objet singulier sera donc en Dieu, en tant seulement qu’il a l’idée de cet objet. C.Q.F.D.

PROPOSITION X

L’être de la substance n’appartient pas à l’essence de l’homme, autrement dit ce n’est pas une substance qui constitue la forme de l’homme.

DÉMONSTRATION

L’être de la substance en effet enveloppe l’existence nécessaire (Proposition 7, p. I). Si donc l’être de la substance appartient à l’essence de l’homme, alors, la substance étant donnée, l’homme serait nécessairement donné (Définition 2), et conséquemment l’homme existerait nécessairement, ce qui (Axiome 1) est absurde. Donc, etc. C.Q.F.D.

SCOLIE

Cette Proposition se démontre aussi à partir de la Proposition 5, Partie I, à savoir qu’il n’existe point deux substances de même nature. Or, puisque plusieurs hommes peuvent exister, ce qui constitue donc la forme de l’homme n’est point l’être de la substance.
Cette Proposition est encore rendue manifeste par les autres propriétés de la substance, à savoir que la substance est de sa nature infinie, immuable, indivisible, etc., comme chacun peut le voir aisément.

COROLLAIRE

Il suit de là que l’essence de l’homme est constituée par certaines modifications des attributs de Dieu. Car l’être de la substance (Proposition précédente) n’appartient pas à l’essence de l’homme. Elle est donc quelque chose (Proposition 15, p. I) qui est en Dieu, et qui sans Dieu ne peut ni être ni être conçu, autrement dit (Corollaire de la Proposition 25, p. I) une affection, autrement dit un mode qui exprime la nature de Dieu d’une manière certaine et déterminée.

SCOLIE

Tous doivent accorder assurément que rien ne peut être ni être conçu sans Dieu. Car tous reconnaissent que Dieu est la cause unique de toutes choses, tant de leur essence que de leur existence, c’est-à-dire Dieu n’est pas seulement cause des choses quant au devenir, comme on dit, mais, quant à l’être. La plupart disent toutefois : Appartient à l’essence d’une chose ce sans quoi la chose ne peut ni être ni être conçue ; ou bien donc ils croient que la nature de Dieu appartient à l’essence des choses créées, ou bien que les choses créées peuvent être ou être conçues sans Dieu, ou bien, ce qui est plus certain, ils ne s’accordent pas avec eux-mêmes. Et la cause en a été, je crois, qu’ils n’ont pas observé l’ordre requis pour philosopher. Au lieu de considérer avant tout la Nature divine, comme ils le devaient, puisqu’elle est antérieure tant dans la connaissance que par nature, ils ont cru que, dans l’ordre de la connaissance, elle était la dernière, et que les choses appelées objets des sens venaient avant toutes les autres. Il en est résulté que, tandis qu’ils considéraient les choses de la nature, il n’est rien à quoi ils aient moins pensé qu’à la nature divine, et, quand ils ont plus tard entrepris de considérer la nature divine, il n’est rien à quoi ils aient pu moins penser qu’à ces premières fictions, sur lesquelles ils avaient fondé la connaissance des choses de la nature, vu qu’elles ne pouvaient les aider en rien pour connaître la nature divine ; il n’y a donc pas à s’étonner qu’ils se soient un peu partout contredits. Mais je ne m’arrête pas à cela ; mon intention était ici seulement de donner la raison pour laquelle je n’ai pas dit : Appartient à l’essence d’une chose ce sans quoi elle ne peut ni être ni être conçue ; c’est parce que les choses singulières ne peuvent être ni être conçues sans Dieu, et cependant Dieu n’appartient pas à leur essence ; mais j’ai dit que cela constitue nécessairement l’essence d’une chose, qu’il suffit qui soit donné, pour que la chose soit posée, et qu’il suffit qui soit ôté, pour que la chose soit ôtée ; ou encore ce sans quoi la chose ne peut ni être, ni être conçue, et qui vice versa sans la chose ne peut ni être, ni être conçu.

PROPOSITION XI

Ce qui constitue en premier l’être actuel de l’esprit humain n’est rien d’autre que l’idée d’une chose singulière existant en acte.

DÉMONSTRATION

L’essence de l’homme (Corollaire de la Proposition précédente) est constituée par certains modes des attributs de Dieu ; savoir (Axiome 2) par des modes du penser ; de tous ces modes (Axiome 3) l’idée est de sa nature le premier et, quand elle est donnée, les autres modes (ceux auxquels l’idée est antérieure de sa nature) doivent se trouver dans cet individu (Axiome 4) ; ce qui constitue en premier l’être d’un esprit humain, est donc une idée. Non cependant l’idée d’une chose non existante. Car autrement cette idée (Corollaire de la Proposition 8) ne pourrait être dite exister ; ce sera donc l’idée d’une chose existant en acte. Non, toutefois, d’une chose infinie ; car une chose infinie (Propositions 21 et 23, p. I) doit toujours exister nécessairement. Or cela est absurde (Axiome 1) ; donc ce qui constitue en premier l’être actuel de l’esprit humain, est l’idée d’une chose singulière existant en acte. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là que l’esprit humain est une partie de l’entendement infini de Dieu ; et conséquemment, quand nous disons que l’esprit humain perçoit ceci ou cela, nous ne disons rien d’autre sinon que Dieu, non en tant qu’il est infini, mais en tant qu’il s’explique par la nature de l’esprit humain, ou constitue l’essence de l’esprit humain, a telle ou telle idée, et quand nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non en tant seulement qu’il constitue la nature de l’esprit humain, mais en tant qu’il a, en même temps que cet esprit humain, l’idée aussi d’une autre chose, alors nous disons que l’esprit humain perçoit une chose partiellement ou inadéquatement.

SCOLIE

Les lecteurs se trouveront ici empêchés sans doute, et beaucoup de choses leur viendront à l’esprit qui les arrêteront ; pour cette raison je les prie d’avancer à pas lents avec moi et de surseoir à leur jugement jusqu’à ce qu’ils aient tout lu.

PROPOSITION XII

Tout ce qui arrive dans l’objet de l’idée constituant l’esprit humain doit être perçu par cet esprit ; en d’autres termes, une idée en est nécessairement donnée en elle ; c’est-à-dire si l’objet de l’idée constituant l’esprit humain est un corps, rien ne pourra arriver dans ce corps qui ne soit perçu par l’esprit.

DÉMONSTRATION

De tout ce qui en effet arrive dans l’objet d’une idée quelconque, la connaissance est nécessairement donnée en Dieu (Corollaire de la Proposition 9), en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée de cet objet, c’est-à-dire (Proposition 11) en tant qu’il constitue l’esprit de quelque chose. De tout ce donc qui arrive dans l’objet de l’idée constituant l’esprit humain, la connaissance est donnée en Dieu, en tant qu’il constitue la nature de l’esprit humain, c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 11) la connaissance de cette chose sera nécessairement dans l’esprit, en d’autres termes l’esprit la perçoit. C.Q.F.D.

SCOLIE

Cette Proposition est rendue évidente encore et se comprend plus clairement par le Scolie de la Proposition 7 auquel on est prié de se reporter.

PROPOSITION XIII

L’objet de l’idée constituant l’esprit humain est le corps, c’est-à-dire un certain mode de l’étendue existant en acte, et rien d’autre.

DÉMONSTRATION

Si en effet le corps n’était pas l’objet de l’esprit humain, les idées des affections du corps ne seraient pas en Dieu (Corollaire de la Proposition 9) en tant qu’il constitue notre esprit, mais en tant qu’il constituerait l’esprit d’une autre chose, c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 11) que les idées des affections du corps ne seraient pas dans notre esprit.

Or (Axiome 4) nous avons les idées des affections du corps.

Donc l’objet de l’idée constituant l’esprit humain est le corps tel qu’il existe en acte (Proposition 11).

Ensuite, si outre le corps, il y avait un autre objet de l’esprit, comme (Proposition 36, p. I) il n’existe rien d’où ne suive quelque effet, il devrait y avoir nécessairement dans notre esprit (Proposition 12) une idée de cet effet ; or (Axiome 5) nulle idée n’en est donnée.

Donc l’objet de notre esprit est le corps existant et n’est rien d’autre.

COROLLAIRE

Il suit de là que l’homme consiste en esprit et en corps et que le corps humain existe conformément au sentiment que nous en avons.

SCOLIE

Par ce qui précède nous ne comprenons pas seulement que l’esprit humain est uni au corps, mais aussi ce qu’il faut entendre par l’union de l’esprit et du corps. Personne cependant ne pourra comprendre cette union adéquatement, c’est-à-dire distinctement, s’il ne connaît d’abord adéquatement la nature de notre corps. Car ce que nous avons montré jusqu’ici est tout à fait commun et n’appartient pas plus aux hommes qu’aux autres individus, lesquels sont tous animés, bien qu’à des degrés divers. Car d’une chose quelconque une idée est nécessairement donnée en Dieu, de laquelle Dieu est cause, de la même façon que <de> l’idée du corps humain, et ainsi l’on doit dire nécessairement de l’idée d’une chose quelconque ce que nous avons dit de l’idée du corps humain.

Nous ne pouvons nier cependant que les idées diffèrent entre elles comme les objets eux-mêmes, et que l’une l’emporte sur l’autre en excellence et contient plus de réalité dans la mesure où l’objet de l’une emporte sur l’objet de l’autre et contient plus de réalité ; pour cette raison, pour déterminer en quoi l’esprit humain diffère des autres et l’emporte sur elles, il nous est nécessaire de connaître la nature de son objet, comme nous l’avons dit, c’est-à-dire du corps humain. Je ne peux toutefois l’expliquer ici et cela n’est pas nécessaire pour ce que je veux démontrer. Je dis cependant en général que, plus un corps est apte comparativement aux autres à agir et à pâtir de plusieurs façons à la fois, plus l’esprit de ce corps est apte comparativement aux autres à percevoir plusieurs choses à la fois ; et, plus les actions d’un corps dépendent de lui seul, et moins il y a d’autres corps qui concourent avec lui dans l’action, plus l’esprit de ce corps est apte à comprendre distinctement. Par là nous pouvons connaître la supériorité d’un esprit sur les autres, et voir ensuite aussi la cause pour quoi nous n’avons de notre corps qu’une connaissance tout à fait confuse, et plusieurs autres choses que je déduirai ci-après de ce qui précède. Pour ce motif j’ai cru qu’il valait la peine de l’expliquer et démontrer plus soigneusement, et, pour cela, il est nécessaire de poser d’abord quelques prémisses au sujet de la nature des corps.

AXIOME I

Tous les corps se meuvent ou sont au repos.

AXIOME II

Chaque corps se meut tantôt plus lentement, tantôt plus vite.

LEMME I

Les corps se distinguent les uns des autres par rapport au mouvement et au repos, à la vitesse et à la lenteur, et non par rapport à la substance.

DÉMONSTRATION

Je suppose connue de soi la première partie de ce lemme. Quant à ce que les corps ne se distinguent pas par rapport à la substance, cela est évident, tant par la Proposition 5 que par la Proposition 8 de la Première Partie. Cela se voit encore plus clairement par ce qui a été dit dans le Scolie de la Proposition 15, Partie I.

LEMME II

Tous les corps conviennent en certaines choses.

DÉMONSTRATION

Tous les corps conviennent d’abord en ceci qu’ils enveloppent le concept d’un seul et même attribut (Définition 1), ensuite en ce qu’ils peuvent se mouvoir tantôt plus lentement, tantôt plus vite et, absolument parlant, tantôt se mouvoir, tantôt être au repos.

LEMME III

Un corps en mouvement ou en repos a dû être déterminé au mouvement ou au repos par un autre corps qui a aussi été déterminé au mouvement ou au repos par un autre ; cet autre à son tour l’a été par un autre, et ainsi à l’infini.

DÉMONSTRATION

Les corps sont (Définition 1) des choses singulières qui (Lemme I) se distinguent les unes des autres par rapport au mouvement et au repos ; et ainsi chacun a dû être déterminé au mouvement et au repos par une autre chose singulière (Proposition 28, p. I), savoir (Proposition 6) par un autre corps qui (Axiome 1) lui-même se meut ou est au repos. Mais ce corps également (pour la même raison) n’a pu se mouvoir ni être en repos, s’il n’a pas été déterminé par un autre au mouvement ou en repos, et ce dernier à son tour (pour la même raison) par un autre, et ainsi à l’infini. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là qu’un corps en mouvement se meut jusqu’à ce qu’il soit déterminé par un autre à s’arrêter et qu’un corps en repos reste aussi en repos jusqu’à ce qu’il soit déterminé au mouvement par un autre. Cela aussi se connaît de soi. Quand je suppose, en effet, qu’un corps, soit par exemple A, est en repos et que je n’ai pas égard à d’autres corps qui seraient en mouvement, je ne pourrai rien dire du corps A, sinon qu’il est en repos. S’il arrive ensuite que le corps A soit en mouvement, cela n’a certainement pu provenir de ce qu’il était en repos, car il ne pouvait rien suivre de là, sinon que le corps A restât en repos. Si, au contraire, A est supposé en mouvement, chaque fois que nous aurons égard seulement à A, nous n’en pourrons rien affirmer sinon qu’il se meut. S’il arrive ensuite que A soit en repos, cela n’a certainement pu provenir du mouvement qu’il avait, car rien ne pouvait suivre du mouvement, sinon que A continuât de se mouvoir. Cette rencontre survient donc d’une chose qui n’était pas dans A, savoir d’une cause extérieure par laquelle A a été déterminé à s’arrêter.

AXIOME I

Toutes les manières dont un corps est affecté par un autre, suivent de la nature du corps affecté et en même temps de celle du corps qui l’affecte ; en sorte qu’un seul et même corps est mû de différentes manières en raison de la diversité des corps qui le meuvent, et qu’en retour différents corps sont mus de différentes manières par un seul et même corps.

AXIOME II

Quand un corps en mouvement en frappe un autre au repos qu’il ne peut mouvoir, il est réfléchi de façon à continuer de se mouvoir, et l’angle que fait, avec la surface du corps en repos frappé, la ligne du mouvement de réflexion sera égale à l’angle que fait avec cette même surface, la ligne du mouvement d’incidence.

Voilà pour ce qui concerne les corps les plus simples, ceux qui ne se distinguent entre eux que par le mouvement et le repos, la vitesse et la lenteur ; élevons-nous maintenant aux corps composés.

DÉFINITION

Quand quelques corps de même grandeur ou de grandeur différente subissent de la part des autres corps une pression qui les maintient appliqués les uns sur les autres ou, s’ils se meuvent avec le même degré ou des degrés différents de vitesse, les fait se communiquer les uns aux autres leur mouvement suivant un certain rapport, nous dirons que ces corps sont unis entre eux et que tous composent ensemble un même corps, c’est-à-dire un individu qui se distingue des autres par cette union de corps.

AXIOME III

Plus sont grandes ou petites les superficies suivant lesquelles les parties d’un individu, ou d’un corps composé, sont appliquées les unes sur les autres, plus difficilement ou facilement elles peuvent être contraintes à changer de situation et, en conséquence, plus facilement ou difficilement on peut faire que ce même individu revête une autre figure. Et, par suite, j’appellerai durs les corps dont les parties sont appliquées les unes sur les autres, suivant de grandes superficies, mous, ceux dont les parties sont appliquées les unes sur les autres suivant de petites superficies ; et fluides, ceux dont les parties se meuvent les unes parmi les autres.

LEMME IV

Si d’un corps, c’est-à-dire d’un individu composé de plusieurs corps, on suppose que certains corps se séparent et qu’en même temps d’autres en nombre égal et de même nature occupent leur place, l’individu retiendra sa nature telle qu’auparavant sans aucun changement dans sa forme.

DÉMONSTRATION

Les corps, en effet, ne se distinguent pas par rapport à la substance (Lemme 1), et ce qui constitue la forme d’un individu consiste (Définition précédente) en une union de corps ; or, en dépit d’un continuel changement de corps, cette forme (par hypothèse) est retenue ; l’individu donc retiendra sa nature telle qu’auparavant, tant par rapport à la substance que par rapport au mode. C.Q.F.D.

LEMME V

Si les parties qui composent un individu deviennent plus grandes ou plus petites, dans une proportion telle toutefois que toutes, à l’égard du mouvement et du repos, continuent de soutenir entre elles le même rapport qu’auparavant, l’individu retiendra également sa nature telle qu’auparavant sans aucun changement dans la forme.

DÉMONSTRATION

La démonstration est la même que celle du Lemme précédent.

LEMME VI

Si certains corps, composant un individu, sont contraints à détourner le mouvement qu’ils ont vers un certain côté, vers un autre côté, de telle façon, toutefois, qu’ils puissent continuer leurs mouvements et se les communiquer les uns aux autres suivant le même rapport qu’auparavant, l’individu conservera encore sa nature sans aucun changement dans la forme.

DÉMONSTRATION

Cela est évident de soi, car l’individu est supposé retenir tout ce qu’en le définissant nous avons dit constituer sa forme.

LEMME VII

Un individu ainsi composé retient encore sa nature, qu’il se meuve en totalité ou soit en repos, qu’il se meuve de tel côté ou de tel autre, pourvu que chaque partie conserve son mouvement et le communique aux autres comme avant.

DÉMONSTRATION

Cela est évident par la définition de l’individu ; voir avant le Lemme 4.

SCOLIE

Nous voyons donc par là dans quelle condition un individu composé peut être affecté de beaucoup de manières, tout en conservant néanmoins sa nature. Et nous avons jusqu’à présent conçu un individu qui n’est composé que des corps se distinguant entre eux par le mouvement et le repos, la vitesse et la lenteur, c’est-à-dire les plus simples. Si nous en concevons maintenant un autre, composé de plusieurs individus de nature différente, nous trouverons qu’il peut être affecté de plusieurs autres manières, tout en conservant sa nature. Puisque, en effet, chaque partie est composée de plusieurs corps, chacune pourra (Lemme précédent) sans aucun changement de sa nature se mouvoir tantôt plus lentement, tantôt plus vite, et en conséquence communiquer ses mouvements aux autres parties, tantôt plus lentement, tantôt plus vite. Si, de plus, nous concevons un troisième genre d’individus, composé de ces individus du deuxième, nous trouverons qu’il peut être affecté de beaucoup d’autres manières sans aucun changement dans sa forme. Et, continuant ainsi à l’Infini, nous concevrons facilement que la Nature entière est un seul individu dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières, sans aucun changement de l’individu total. Et j’aurais dû, si mon intention eût été de traiter expressément du corps, expliquer et démontrer cela plus longuement. Mais j’ai déjà dit que mon dessein est autre et que, si j’ai fait place ici à ces considérations, c’est seulement parce que j’en puis facilement déduire ce que j’ai résolu de démontrer.

POSTULATS

I. Le corps humain est composé d’un très grand nombre d’individus (de diverse nature) dont chacun est très composé.

II. Des individus dont le corps humain est composé, certains sont fluides, certains mous, certains enfin sont durs.

III. Les individus composant le corps humain sont affectés, et conséquemment le corps humain lui-même est affecté, d’un très grand nombre de manières par les corps extérieurs.

IV. Le corps humain a besoin, pour se conserver, d’un très grand nombre d’autres corps par lesquels il est continuellement comme régénéré.

V. Quand une partie fluide du corps humain est déterminée par un corps extérieur de façon à frapper souvent une partie molle, elle change la surface de celle-ci et lui imprime, pour ainsi dire, certaines traces du corps extérieur qui la pousse.

VI. Le corps humain peut mouvoir d’un très grand nombre de manières et disposer en un très grand nombre de manières les corps extérieurs.

PROPOSITION XIV

L’esprit humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses et d’autant plus que son corps peut être disposé d’un plus grand nombre de manières.

DÉMONSTRATION

Le corps humain, en effet (Postulats 3 et 6) est affecté par les corps extérieurs d’un très grand nombre de manières et est disposé de façon à affecter les corps extérieurs d’un très grand nombre de manières. Mais tout ce qui arrive dans le corps humain, l’esprit humain (Proposition 12) doit le percevoir ; l’esprit est donc apte à percevoir un très grand nombre de choses et d’autant plus, etc. C.Q.F.D.

PROPOSITION XV

L’idée qui constitue l’être formel de l’esprit humain n’est pas simple, mais composée d’un très grand nombre d’idées.

DÉMONSTRATION

L’idée qui constitue l’être formel de l’esprit humain est l’idée du corps (Proposition 13), lequel (Postulat 1) est composé d’un très grand nombre d’individus très composés. Or de chaque individu composant le corps, une idée est nécessairement donnée en Dieu (Corollaire de la Proposition 8) ; donc (Proposition 7) l’idée du corps humain est composée de ces très nombreuses idées des parties composantes. C.Q.F.D.

PROPOSITION XVI

de chaque manière dont le corps humain est affecté d’une manière quelconque par les corps extérieurs doit envelopper la nature du corps humain et en même temps celle du corps extérieur.

DÉMONSTRATION

Toutes les manières en effet dont un corps est affecté suivent de la nature du corps affecté et en même temps de celle du corps qui l’affecte (Axiome 1 à la suite du Corollaire du Lemme 3) ; donc leur idée (Axiome 4, p. I) enveloppera nécessairement la nature de l’un et l’autre corps ; et ainsi l’idée de chaque manière dont le corps humain est affecté par un corps extérieur enveloppe la nature du corps humain et celle du corps extérieur. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là : 1° que l’esprit humain perçoit, en même temps que la nature de son propre corps, celle d’un très grand nombre d’autres corps.

COROLLAIRE

Il suit : 2° que les idées des corps extérieurs que nous avons indiquent plutôt l’état de notre propre corps que la nature des corps extérieurs ; ce que j’ai expliqué par beaucoup d’exemples dans l’Appendice de la Première Partie.

PROPOSITION XVII

Si le corps humain est affecté d’une manière qui enveloppe la nature d’un corps extérieur, l’esprit humain considérera ce même corps extérieur comme existant en acte, ou comme lui étant présent, jusqu’à ce que le corps soit affecté d’un affect qui exclue l’existence ou la présence de ce même corps extérieur.

DÉMONSTRATION

Cela est évident, car, aussi longtemps que le corps humain est ainsi affecté, l’esprit humain (Proposition 12) considérera cette affection du corps, c’est-à-dire (Proposition précédente) aura l’idée d’une manière d’être actuellement donnée qui enveloppe la nature du corps extérieur ; c’est-à-dire une idée qui n’exclut pas, mais pose l’existence ou la présence de la nature du corps extérieur, et ainsi l’esprit (Corollaire 1 de la Proposition précédente) considérera le corps extérieur comme existant en acte, ou comme présent, jusqu’à ce que <le corps> soit affecté etc. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Si le corps humain a été affecté une fois par des corps extérieurs, l’esprit pourra considérer ces corps, bien qu’ils n’existent pas et ne soient pas présents, comme s’ils étaient présents.

DÉMONSTRATION

Lorsque des corps extérieurs déterminent les parties fluides du corps humain à venir frapper souvent contre les parties molles, les surfaces de ces dernières sont changées (Postulat 5) ; par là il arrive (voir Axiome 2 après le Corollaire du Lemme 3) que les parties fluides sont réfléchies d’une autre manière qu’elles n’avaient l’habitude auparavant et que, plus tard encore, venant par leur mouvement spontané à rencontrer les surfaces nouvelles, elles sont réfléchies de la même manière que quand elles ont été poussées contre ces surfaces par les corps extérieurs ; conséquemment, tandis qu’ainsi réfléchies elles continuent de se mouvoir, elles affecteront le corps humain de la même manière, dont l’esprit (Proposition 12) formera de nouveau la pensée ; c’est-à-dire que l’esprit (Proposition 17) considérera de nouveau le corps extérieur comme présent ; et cela toutes les fois que les parties fluides du corps humain viendront à rencontrer par leur mouvement spontané les mêmes surfaces. C’est pourquoi, bien que les corps extérieurs par lesquels le corps humain a été affecté une fois n’existent plus, l’esprit les considérera comme présents, autant de fois que cette action du corps se répétera. C.Q.F.D.

SCOLIE

Nous voyons ainsi comment il se peut faire que nous considérions ce qui n’est pas comme s’il était présent, ce qui arrive souvent. Et il est possible que cela provienne d’autres causes, mais il me suffit d’en avoir montré une seule par laquelle je pusse expliquer la chose comme si je l’eusse démontrée par sa vraie cause ; je ne crois cependant pas m’être beaucoup écarté de la vraie, puisque tous les postulats que j’ai admis ici, ne contiennent à peu près rien qui ne soit établi par l’expérience, de laquelle il ne nous est plus permis de douter après que nous avons montré que le corps humain existe conformément au sentiment que nous en avons (voir Corollaire après la Proposition 13). En outre (par le Corollaire précédent et le Corollaire 2 de la Proposition 16), nous comprenons clairement quelle différence il y a entre l’idée de Pierre, par exemple, qui constitue l’essence de l’esprit de Pierre lui-même et l’idée du même Pierre qui est dans un autre homme, disons Paul. La première en effet explique directement l’essence du corps de Pierre, et elle n’enveloppe l’existence qu’aussi longtemps que Pierre existe ; la seconde indique plutôt l’état du corps de Paul que la nature de Pierre, et, par suite, tant que dure cet état du corps de Paul, l’esprit de Paul considèrera Pierre comme s’il lui était présent, même s’il n’existe plus.

Pour conserver maintenant les mots en usage, nous appellerons images des choses les affections du corps humain dont les idées nous représentent les choses extérieures comme nous étant présentes, même si elles ne reproduisent pas les figures des choses. Et, quand l’esprit contemple les corps sous ce rapport, nous dirons qu’elle imagine. Et ici, pour commencer d’indiquer ce qu’est l’erreur, je voudrais faire observer que les imaginations de l’esprit considérées en elles-mêmes ne contiennent aucune erreur ; autrement dit, que l’esprit n’est pas dans l’erreur, parce qu’il imagine ; mais seulement en tant qu’il est considéré comme privé d’une idée qui exclue l’existence de ces choses qu’il imagine comme lui étant présentes. Si en effet l’esprit, durant qu’il imagine comme lui étant présentes des choses n’existant pas, savait en même temps que ces choses n’existent pas en réalité, il attribuerait certes cette puissance d’imaginer à une vertu de sa nature, non à un vice ; surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, c’est-à-dire (Définition 7, p. I) si cette faculté d’imaginer de l’esprit était libre.

PROPOSITION XVIII

Si le corps humain a été affecté une fois par deux ou plusieurs corps simultanément, quand l’esprit imaginera plus tard l’un d’eux, aussitôt il se souviendra aussi des autres.

DÉMONSTRATION

L’esprit (Corollaire précédent) imagine un corps pour cette raison que le corps humain est affecté et disposé par les traces d’un corps extérieur de la même manière qu’il a été affecté, quand certaines de ses parties ont reçu une impulsion de ce corps extérieur lui-même ; mais (par hypothèse) le corps a été alors disposé de telle sorte que l’esprit imaginât deux corps en même temps ; il imaginera donc aussi maintenant les deux corps en même temps, et quand l’esprit imaginera l’un des deux, aussitôt il se souviendra aussi de l’autre. C.Q.F.D.

SCOLIE

Nous comprenons clairement par là ce qu’est la Mémoire. Elle n’est rien d’autre en effet qu’un certain enchaînement d’idées, enveloppant la nature de choses extérieures au corps humain, qui se fait dans l’esprit suivant l’ordre et l’enchaînement des affections du corps humain.

Je dis : 1° que c’est un enchaînement de ces idées seulement qui enveloppent la nature de choses extérieures au corps humain, non d’idées qui expliquent la nature de ces mêmes choses, car ce sont, en réalité (Proposition 16), des idées des affections du corps humain, lesquelles enveloppent tant la nature de celui-ci que celle des corps extérieurs.

Je dis : 2° que cet enchaînement se fait suivant l’ordre et l’enchaînement des affections du corps humain pour le distinguer de l’enchaînement d’idées qui se fait suivant l’ordre de l’entendement, enchaînement en vertu duquel l’esprit perçoit les choses par leurs premières causes et qui est le même en tous les hommes.

Et en outre nous comprenons clairement par là pourquoi l’esprit, de la pensée d’une chose, passe aussitôt à la pensée d’une autre qui n’a aucune ressemblance avec la première, comme par exemple un Romain, de la pensée du mot pomum, tombe aussitôt dans la pensée d’un fruit qui n’a aucune ressemblance avec ce son articulé, ni rien de commun, sinon que le corps de cet homme a été souvent affecté par les deux, c’est-à-dire que cet homme a souvent entendu le mot pomum, tandis qu’il voyait le fruit, et ainsi chacun tombera d’une pensée dans une autre, suivant que l’habitude a en chacun ordonné dans le corps les images des choses. En effet un soldat, par exemple, ayant vu sur le sable les traces d’un cheval, tombera aussitôt de la pensée d’un cheval dans celle d’un cavalier, et de là dans la pensée de la guerre, etc. Un paysan, au contraire, tombera de la pensée d’un cheval dans celle d’une charrue, d’un champ, etc. ; et ainsi chacun, suivant qu’il a accoutumé de joindre et d’enchaîner les images des choses de telle ou telle manière, tombera d’une même pensée dans telle ou telle autre.

PROPOSITION XIX

L’esprit humain ne connaît le corps humain lui-même et ne sait qu’il existe que par les idées des affections dont le corps est affecté.

DÉMONSTRATION

L’esprit humain, en effet, est l’idée même, autrement dit la connaissance du corps humain (Proposition 13) qui est en Dieu (Proposition 9) en tant qu’on le considère comme affecté d’une autre idée de chose singulière ; ou encore, puisque (Postulat 4) le corps humain a besoin d’un très grand nombre de corps, par lesquels il est continuellement comme régénéré, et que l’ordre et la connexion des idées est le même (Proposition 7) que l’ordre et la connexion des causes, cette idée sera en Dieu en tant qu’on le considère comme affecté des idées d’un très grand nombre de choses singulières. Dieu donc a l’idée du corps humain ou connaît le corps humain, en tant qu’il est affecté d’un très grand nombre d’autres idées et non en tant qu’il constitue la nature de l’esprit humain, c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 11) que l’esprit humain ne connaît pas le corps humain. Mais les idées des affections du corps sont en Dieu en tant qu’il constitue la nature de l’esprit humain, autrement dit, l’esprit perçoit ces affections (Proposition 12), et conséquemment il perçoit le corps humain lui-même (Proposition 6) et le perçoit comme existant en acte (Proposition 17) ; dans cette mesure donc seulement l’esprit humain perçoit le corps humain lui-même. C.Q.F.D.

PROPOSITION XX

De l’esprit humain aussi une idée ou connaissance est donnée en Dieu, laquelle suit en Dieu de la même manière et se rapporte à Dieu de la même manière que l’idée ou connaissance du corps humain.

DÉMONSTRATION

La pensée est un attribut de Dieu (Proposition 1), et ainsi (Proposition 3), tant de lui-même que de toutes ses affections et conséquemment aussi de l’esprit humain (Proposition 11), une idée doit être donnée en Dieu. Ensuite il ne suit pas que cette idée ou connaissance de l’esprit est donnée en Dieu en tant qu’il est infini, mais en tant qu’il est affecté d’une autre idée de chose singulière (Proposition 9). Mais l’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des causes (Proposition 7) ; cette idée ou connaissance de l’esprit suit donc en Dieu et se rapporte à Dieu de la même manière que l’idée ou connaissance du corps. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXI

Cette idée de l’esprit est unie à l’esprit de la même manière que l’esprit lui-même est uni au corps.

DÉMONSTRATION

Nous avons montré que l’esprit est uni au corps du fait que le corps est l’objet de l’esprit (voir Propositions 12 et 13), et par suite l’idée de l’esprit doit être unie avec son objet pour la même raison, c’est-à-dire doit être unie avec l’esprit lui-même de la même manière que l’esprit lui-même est uni au corps. C.Q.F.D.

SCOLIE

Cette proposition se comprend beaucoup plus clairement par ce qui est dit dans le Scolie de la Proposition 7 ; là, en effet, nous avons montré que l’idée du corps et le corps, c’est-à-dire (Proposition 13) l’esprit et le corps, sont un seul et même individu qui est conçu tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l’Étendue ; c’est pourquoi l’idée de l’esprit et l’esprit lui-même sont une seule et même chose qui est conçue sous un seul et même attribut, savoir la Pensée. Il suit, dis-je, avec la même nécessité de la même puissance de penser que l’idée de l’esprit et l’esprit lui-même sont données en Dieu. Car, en réalité, l’idée de l’esprit, c’est-à-dire l’idée de l’idée, n’est rien d’autre que la forme de l’idée, en tant que celle-ci est considérée comme un mode du penser sans relation avec l’objet ; sitôt, en effet que quelqu’un sait quelque chose, il sait, par cela même, qu’il le sait, et il sait en même temps qu’il sait qu’il sait, et ainsi à l’infini. Mais de cela il sera question plus tard.

PROPOSITION XXII

L’esprit humain perçoit non seulement les affections du corps, mais aussi les idées de ces affections.

DÉMONSTRATION

Les idées des idées des affections suivent en Dieu de la même manière et se rapportent à Dieu de la même manière que les idées mêmes des affections ; cela se démontre comme la Proposition 20 ci-dessus. Or les idées des affections du corps sont dans l’esprit humain (Proposition 12), c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 11) en Dieu en tant qu’il constitue l’essence de l’esprit humain : donc les idées de ces idées seront en Dieu en tant qu’il a la connaissance ou l’idée de l’esprit humain, c’est-à-dire (Proposition 21) qu’elles seront dans l’esprit humain lui-même qui, pour cette raison, ne perçoit pas seulement les affections du corps, mais aussi les idées de ces affections. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXIII

L’esprit ne se connaît pas lui-même, si ce n’est en tant qu’il perçoit les idées des affections du corps.

DÉMONSTRATION

L’idée de l’esprit ou sa connaissance suit en Dieu (Proposition 20) de la même manière et se rapporte à Dieu de la même manière que l’idée ou connaissance du corps. Puisque maintenant (Proposition 19) l’esprit humain ne connaît pas le corps humain lui-même ; c’est-à-dire, puisque (Corollaire de la Proposition 11) la connaissance du corps humain ne se rapporte pas à Dieu en tant qu’il constitue la nature de l’esprit humain, la connaissance de l’esprit ne se rapporte donc pas à Dieu en tant qu’il constitue l’essence de l’esprit humain ; et ainsi (Corollaire de la Proposition 11) dans cette mesure l’esprit humain ne se connaît pas lui-même.

Ensuite, les idées des affections dont le corps est affecté enveloppent la nature du corps humain lui-même (Proposition 16), c’est-à-dire (Proposition 13) conviennent avec la nature de l’esprit ; donc la connaissance de ces idées enveloppera nécessairement la connaissance de l’esprit ; mais (Proposition précédente) la connaissance de ces idées est dans l’esprit humain lui-même ; donc l’esprit humain dans cette mesure seulement se connaît lui-même. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXIV

L’esprit humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate des parties composant le corps humain.

DÉMONSTRATION

Les parties composant le corps humain n’appartiennent à l’essence du corps lui-même qu’en tant qu’elles se communiquent leurs mouvements les unes aux autres suivant un certain rapport (voir la Définition qui suit le Corollaire du Lemme 3) et non en tant qu’on peut les considérer comme des individus, en dehors de leur relation au corps humain. Les parties du corps humain sont en effet (Postulat 1) des individus très composés dont les parties (Lemme 4) peuvent être séparées du corps humain et communiquer leurs mouvements (voir Axiome<s 1 et> 2 à la suite du Lemme 3) à d’autres corps suivant un autre rapport, bien que le corps conserve entièrement sa nature et sa forme ; en conséquence, l’idée ou la connaissance d’une partie quelconque sera en Dieu (Proposition 3), et cela (Proposition 9) en tant qu’on le considère comme affecté d’une autre idée de chose singulière, laquelle chose singulière est antérieure à la partie elle-même suivant l’ordre de la Nature (Proposition 7). On peut en dire tout autant d’une partie quelconque de l’individu même qui entre dans la composition du corps humain ; la connaissance d’une partie quelconque entrant dans la composition du corps humain est donc en Dieu en tant qu’il est affecté d’un très grand nombre d’idées de choses, et non en tant qu’il a seulement l’idée du corps humain, c’est-à-dire (Proposition 13) l’idée qui constitue la nature de l’esprit humain ; et, en conséquence, l’esprit humain ( Corollaire de la Proposition 11) n’enveloppe pas la connaissance adéquate des parties composant le corps humain. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXV

L’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur.

DÉMONSTRATION

Nous avons montré que l’idée d’une affection du corps humain enveloppe la nature du corps extérieur (voir Proposition 16) en tant que le corps extérieur détermine d’une certaine manière précise le corps humain lui-même. Mais, en tant que le corps extérieur est un individu qui ne se rapporte pas au corps humain, l’idée ou la connaissance en est en Dieu (Proposition 9) en tant qu’on considère Dieu comme affecté de l’idée d’une autre chose, laquelle (Proposition 7) est antérieure par nature au corps extérieur lui-même. La connaissance adéquate du corps extérieur n’est donc pas en Dieu en tant qu’il a l’idée de l’affection du corps humain, autrement dit l’idée de l’affection du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXVI

L’esprit humain ne perçoit aucun corps extérieur comme existant en acte, si ce n’est par les idées des affections de son propre corps.

DÉMONSTRATION

Si le corps humain n’a été affecté en aucune manière par quelque corps extérieur, l’idée non plus du corps humain (Proposition 7), c’est-à-dire (Proposition 13) l’esprit humain non plus n’a été affecté en aucune manière de l’idée de l’existence de ce corps ; en d’autres termes, il ne perçoit en aucune manière l’existence de ce corps extérieur. Mais, en tant que le corps humain est affecté en quelque manière par quelque corps extérieur, il perçoit dans cette mesure (Proposition 16 avec s<es> Corollaire<s> <1 et 2>) le corps extérieur. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

tant que l’esprit humain imagine un corps extérieur, il n’en a pas la connaissance adéquate.

DÉMONSTRATION

Quand l’esprit humain considère des corps extérieurs par les idées des affections de son propre corps, nous disons qu’il imagine (voir le Scolie de la Proposition 17) ; et l’esprit ne peut par d’autre raison imaginer les corps extérieurs comme existant en acte (Proposition précédente). Par suite (Proposition 25), en tant que l’esprit imagine les corps extérieurs, il n’en a pas la connaissance adéquate. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXVII

L’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps humain lui-même.

DÉMONSTRATION

Toute idée d’une affection quelconque du corps humain enveloppe la nature du corps humain, en tant qu’on considère ce corps humain lui-même comme affecté de quelque manière certaine (voir Proposition 16). Mais en tant que le corps humain est un individu qui peut être affecté de beaucoup d’autres manières, son idée, etc. Voir la Démonstration de la Proposition 25.

PROPOSITION XXVIII

Les idées des affections du corps humain, considérées dans leur rapport avec l’esprit humain seulement, ne sont pas claires et distinctes mais confuses.

DÉMONSTRATION

Les idées des affections du corps humain enveloppent en effet (Proposition 16) la nature tant des corps extérieurs que celle du corps humain lui-même, et doivent envelopper non seulement la nature du corps humain, mais aussi celle de ses parties ; car les affections sont les manières (Postulat 3) dont les parties du corps humain, et conséquemment le corps tout entier sont affectés. Mais (Propositions 24 et 25) la connaissance adéquate des corps extérieurs, de même aussi que celle des parties composant le corps humain, est en Dieu en tant qu’on le considère non comme affecté de l’esprit humain, mais comme affecté d’autres idées. Les idées de ces affections, en tant qu’elles sont rapportées à l’esprit humain seul, sont donc comme des conséquences sans leurs prémisses, c’est-à-dire (comme il est connu de soi) des idées confuses. C.Q.F.D.

SCOLIE

On démontre de la même façon que l’idée qui constitue la nature de l’esprit humain n’est pas, considérée en elle seule, claire et distincte ; de même que l’idée de l’esprit humain, et les idées des idées des affections du corps humain, en tant qu’elles sont rapportées à l’esprit seul, ne sont pas non plus claires et distinctes, ce que chacun peut voir aisément.

PROPOSITION XXIX

L’idée de l’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate de l’esprit humain.

DÉMONSTRATION

L’idée d’une affection du corps humain en effet (Proposition 27) n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps lui-même, en d’autres termes n’en exprime pas adéquatement la nature ; c’est-à-dire qu’elle ne convient pas adéquatement avec la nature de l’esprit (Proposition 13) ; par suite (Axiome 6, p. I), l’idée de cette idée n’exprime pas adéquatement la nature de l’esprit humain, autrement dit n’en enveloppe pas la connaissance adéquate. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là que l’esprit humain, toutes les fois qu’elle perçoit les choses suivant l’ordre commun de la Nature, n’a ni d’elle-même, ni de son propre corps, ni des corps extérieurs, une connaissance adéquate, mais seulement une connaissance confuse et mutilée. L’esprit en effet ne se connaît lui-même qu’en tant qu’il perçoit les idées des affections du corps (Proposition 23).

Or il ne perçoit pas son propre corps (Proposition 19), sinon par ces idées mêmes des affections du corps, par lesquelles seulement il perçoit les corps extérieurs (Proposition 26) ; et donc, en tant qu’il a ces idées, il n’a ni de lui-même (Proposition 29), ni de son propre corps (Proposition 27), ni des corps extérieurs (Proposition 25), une connaissance adéquate, mais seulement (Proposition 28 avec son Scolie) une connaissance mutilée et confuse. C.Q.F.D.

SCOLIE

Je dis expressément que l’esprit n’a ni de lui-même, ni de son propre corps, ni des corps extérieurs, une connaissance adéquate, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu’il perçoit les choses suivant l’ordre commun de la Nature ; c’est-à-dire toutes les fois qu’il est déterminé du dehors, par la rencontre fortuite des choses, à considérer ceci ou cela, et non toutes les fois qu’il est déterminé du dedans, à savoir, parce qu’il considère à la fois plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; toutes les fois en effet qu’il est disposé du dedans de telle ou telle manière, alors il considère les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai plus bas.

PROPOSITION XXX

Nous ne pouvons avoir de la durée de notre corps aucune connaissance, si ce n’est extrêmement inadéquate.

DÉMONSTRATION

La durée de notre corps ne dépend pas de son essence (Axiome 1) ; elle ne dépend pas non plus de la nature de Dieu prise absolument (Proposition 21, p. I). Mais (Proposition 28, p. I) il est déterminé à exister et à produire des effets par des causes telles qu’elles ont été elles-mêmes déterminées par d’autres à exister et à produire des effets d’une manière précise et déterminée ; ces dernières, à leur tour, l’ont été par d’autres, et ainsi à l’infini. La durée de notre corps donc dépend de l’ordre commun de la Nature et de la constitution des choses. Quant à la raison suivant laquelle les choses sont constituées, la connaissance adéquate en est en Dieu en tant qu’il a les idées de toutes ces choses, et non en tant qu’il a l’idée du corps humain seulement (Corollaire de la Proposition 9) ; la connaissance de la durée de notre corps est donc extrêmement inadéquate en Dieu, en tant qu’on le considère seulement comme constituant la nature de l’esprit humain, c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 11) que cette connaissance est dans notre esprit extrêmement inadéquate. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXXI

Nous ne pouvons avoir de la durée des choses singulières qui sont hors de nous aucune connaissance, si ce n’est extrêmement inadéquate.

DÉMONSTRATION

Chaque chose singulière en effet, de même que le corps humain, doit être déterminée par une autre chose singulière à exister et à produire des effets selon une raison certaine et déterminée ; cette autre à son tour l’est par une autre, et ainsi à l’infini (Proposition 28, p. I). Or, comme nous avons démontré dans la proposition précédente, par cette propriété commune des choses singulières, que nous n’avons de la durée de notre propre corps qu’une connaissance extrêmement inadéquate, il faudra donc au sujet de la durée des choses singulières conclure de même, à savoir que nous ne pouvons en avoir qu’une connaissance extrêmement inadéquate. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là que toutes les choses particulières sont contingentes et corruptibles. Car nous ne pouvons avoir (Proposition précédente) de leur durée aucune connaissance adéquate, et c’est là ce qu’il nous faut entendre par la contingence des choses et la possibilité de leur corruption (voir Scolie 1 de la Proposition 33, p. I). Car, sauf cela (Proposition 29, p. I), il n’y a rien de contingent.

PROPOSITION XXXII

Toutes les idées, en tant qu’elles sont rapportées à Dieu, sont vraies.

DÉMONSTRATION

Toutes les idées en effet qui sont en Dieu conviennent entièrement avec leurs idéats (Corollaire de la Proposition 7) et, par suite, elles sont toutes vraies (Axiome 6, p. I). C.Q.F.D.

PROPOSITION XXXIII

Il n’y a dans les idées rien de positif pour quoi elles sont dites fausses.

DÉMONSTRATION

Si vous le niez, concevez, si possible, un mode positif de penser qui constitue la forme de l’erreur, c’est-à-dire de la fausseté. Ce mode de penser ne peut être en Dieu (Proposition précédente) et hors de Dieu il ne peut non plus ni être ni être conçu (Proposition 15, p. I). Il ne peut donc rien y avoir de positif dans les idées pour quoi elles sont dites fausses.

PROPOSITION XXXIV

Toute idée qui en nous est absolue, c’est-à-dire adéquate et parfaite, est vraie.

DÉMONSTRATION

Quand nous disons qu’une idée adéquate et parfaite est donnée en nous, nous ne disons rien d’autre (Corollaire de la Proposition 11), sinon qu’une idée adéquate et parfaite est donnée en Dieu en tant qu’il constitue l’essence de notre esprit, et conséquemment (Proposition 32) nous ne disons rien d’autre, sinon qu’une telle idée est vraie. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXXV

La fausseté consiste dans une privation de connaissance qu’enveloppent les idées inadéquates, c’est-à-dire mutilées et confuses.

DÉMONSTRATION

Il n’y a rien dans les idées de positif qui constitue la forme de la fausseté (Proposition 33) ; mais la fausseté ne peut consister dans une privation absolue de connaissance (car ce sont les esprits, non les corps, que l’on dit errer et se tromper) et pas davantage dans une ignorance absolue ; car ignorer et être dans l’erreur sont choses distinctes ; elle consiste donc dans une privation de connaissance que la connaissance inadéquate des choses, c’est-à-dire les idées inadéquates et confuses, enveloppent. C.Q.F.D.

SCOLIE

J’ai expliqué dans le Scolie de la Proposition 17 pour quelle raison l’erreur consiste dans une privation de connaissance ; mais, pour l’expliquer plus amplement, je donnerai un exemple : les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ; cette idée donc de leur liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune cause de leurs actions. Pour ce qu’ils disent en effet : que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots, dont ils n’ont aucune idée. Car tous ignorent ce que peut être la volonté et comment elle peut mouvoir le corps ; pour ceux qui ont plus de prétention <et> forgent un siège ou une demeure de l’esprit, ils excitent habituellement le rire ou la nausée. De même, quand nous regardons le soleil, nous imaginons qu’il est distant de nous d’environ deux cents pieds, erreur qui ne consiste pas dans cette seule imagination, mais en ce que, tandis que nous l’imaginons ainsi, nous ignorons sa vraie distance et la cause de cette imagination. Plus tard, en effet, tout en sachant que le soleil est distant de plus de 600 fois le diamètre terrestre, nous ne laisserons pas néanmoins d’imaginer qu’il est près de nous ; car nous n’imaginons pas le soleil aussi proche parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce qu’une affection de notre corps enveloppe l’essence du soleil, en tant que le corps lui-même est affecté par cet astre.

PROPOSITION XXXVI

Les idées inadéquates et confuses s’enchaînent avec la même nécessité que les idées adéquates, c’est-à-dire claires et distinctes.

DÉMONSTRATION

Toutes les idées sont en Dieu (Proposition 15, p. I) et, en tant qu’elles sont rapportées à Dieu, elles sont vraies (Proposition 32) et (Corollaire de la Proposition 7) adéquates ; par suite, il n’existe point d’idées qui soient inadéquates et confuses, si ce n’est en tant qu’on les rapporte à l’esprit singulier de quelqu’un (voir à ce sujet Propositions 24 et 28) ; et, par suite, toutes les idées tant adéquates qu’inadéquates s’enchaînent (Corollaire de la Proposition 6) avec la même nécessité. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXXVII

Ce qui est commun à toutes choses (voir à ce sujet le Lemme 2 ci-dessus) et se trouve également dans la partie et dans le tout ne constitue l’essence d’aucune chose singulière.

DÉMONSTRATION

Si vous le niez, concevez, si possible, que cela constitue l’essence de quelque chose singulière, par exemple celle de B. Cela donc ne pourra (Définition 2) sans B exister ni être conçu ; or cela est contre l’hypothèse ; cela donc n’appartient pas à l’essence de B ni ne constitue l’essence d’une autre chose singulière. C.Q.F.D.

PROPOSITION XXXVIII

Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans la partie et dans le tout ne peut être conçu qu’adéquatement.

DÉMONSTRATION

Soit A quelque chose qui est commun à tous les corps et se trouve également dans la partie et dans le tout d’un corps quelconque. Je dis que A ne peut être conçu qu’adéquatement. L’idée de A en effet (Corollaire de la Proposition 7) sera nécessairement adéquate en Dieu, aussi bien en tant qu’il a l’idée du corps humain qu’en tant qu’il a les idées des affections de ce corps, et ces idées (Propositions 16, 25 et 27) enveloppent en partie la nature tant du corps humain que des corps extérieurs, c’est-à-dire (Propositions 12 et 13) cette idée de A sera nécessairement adéquate en Dieu en tant qu’il constitue l’esprit humain, en d’autres termes qu’il a les idées qui sont dans l’esprit humain ; l’esprit donc (Corollaire de la Proposition 11) perçoit nécessairement A adéquatement, et cela aussi bien en tant qu’il se perçoit lui-même, qu’en tant qu’il perçoit son propre corps ou un corps extérieur quelconque, et A ne peut être conçu d’une autre manière. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là qu’il y a certaines idées ou notions qui sont communes à tous les hommes, car (Lemme 2) tous les corps conviennent en certaines choses qui (Proposition précédente) doivent être perçues par tous adéquatement, c’est-à-dire clairement et distinctement.

PROPOSITION XXXIX

Ce qui est commun et propre au corps humain et à certains corps extérieurs, par lesquels le corps humain a coutume d’être affecté, et qui est également dans chacune de leur partie et dans le tout, l’idée aussi en sera dans l’esprit adéquate.

DÉMONSTRATION

Soit A ce qui est commun et propre au corps humain et à certains corps extérieurs, et qui se trouve également dans le corps humain et dans ces mêmes corps extérieurs et est enfin également dans la partie de l’un quelconque des corps extérieurs, et dans le tout. Une idée adéquate de A lui-même sera donnée en Dieu (Corollaire de la Proposition 7), aussi bien en tant qu’il a l’idée du corps humain qu’en tant qu’il a les idées des corps extérieurs supposés. Supposons maintenant que le corps humain soit affecté par un corps extérieur par ce qu’il a de commun avec lui, c’est-à-dire par A ; l’idée de cette affection enveloppera la propriété A (Proposition 16) et, par suite (Corollaire de la Proposition 7), l’idée de cette affection, en tant qu’elle enveloppe la propriété A, sera adéquate en Dieu en tant qu’il est affecté de l’idée du corps humain ; c’est-à-dire (Proposition 13) en tant qu’il constitue la nature de l’esprit humain ; et ainsi (Corollaire de la Proposition 11) cette idée est aussi dans l’esprit humain adéquate. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là que l’esprit est d’autant plus apte à percevoir adéquatement plus de choses, que son corps a plus de choses communes avec les autres corps.

PROPOSITION XL

Toutes les idées qui suivent dans l’esprit des idées qui sont en lui adéquates, sont adéquates aussi.

DÉMONSTRATION

Cela est évident. Quand nous disons, en effet, qu’une idée suit dans l’esprit humain d’idées qui sont en elle adéquates, nous ne disons rien d’autre (Corollaire de la Proposition 11), sinon que dans l’entendement divin lui-même une idée est donnée, de laquelle Dieu est cause, non en tant qu’il est infini, ou en tant qu’il est affecté des idées d’un très grand nombre de choses singulières, mais en tant qu’il constitue l’essence de l’esprit humain seulement.

SCOLIE I

J’ai expliqué par ce qui précède la cause des Notions appelées Communes et qui sont les principes de notre raisonnement. Mais il y a d’autres causes de certains axiomes ou de certaines notions qu’il importerait d’expliquer par cette méthode que nous suivons ; on établirait ainsi quelles notions sont utiles par-dessus les autres, et quelles ne sont presque d’aucun usage ; quelles, en outre, sont communes et quelles claires et distinctes pour ceux-là seulement qui sont libres de préjugés ; quelles, enfin, sont mal fondées.

On établirait, de plus, d’où les notions appelées secondes, et conséquemment les axiomes qui se fondent sur elles, tirent leur origine, ainsi que d’autres choses ayant trait à ces sujets, sur lesquelles j’ai autrefois médité. Comme, toutefois, j’ai réservé ces observations pour un autre Traité, et aussi pour ne pas causer d’ennui par une prolixité excessive sur ce sujet, j’ai résolu ici de surseoir à cette exposition. Afin néanmoins de ne rien omettre qu’il ne soit nécessaire de savoir, j’ajouterai quelques mots sur les causes d’où sont provenus les termes appelés Transcendantaux, tels que Être, Chose, Quelque chose. Ces termes naissent de ce que le corps humain, étant limité, est capable seulement de former distinctement en lui-même un certain nombre d’images à la fois (j’ai expliqué ce qu’est l’image dans le Scolie de la Proposition 17) ; si ce nombre est dépassé, ces images commencent à se confondre ; et, si le nombre des images distinctes, que le corps est capable de former à la fois en lui-même, est dépassé de beaucoup, toutes se confondront entièrement entre elles. Puisqu’il en est ainsi, il est évident, par le Corollaire de la Proposition 17 et par la Proposition 18, que l’esprit humain pourra imaginer distinctement à la fois autant de corps qu’il y a d’images pouvant être formées à la fois dans son propre corps. Mais quand les images se confondent entièrement dans le corps, l’esprit aussi imaginera tous les corps confusément, sans nulle distinction, et les comprendra en quelque sorte sous un même attribut, à savoir sous l’attribut de l’Être, de la Chose, etc. Cela peut aussi se déduire de ce que les images ne sont pas toujours également vives, et d’autres causes analogues, qu’il n’est pas besoin d’expliquer ici, car, pour le but que nous nous proposons, il suffit d’en considérer une seule. Toutes en effet reviennent à ceci que ces termes signifient des idées au plus haut degré confuses. De causes semblables sont nées aussi ces notions que l’on nomme universelles, telles : Homme, Cheval, Chien, etc. À savoir, parce que tant d’images, disons par exemple d’hommes, sont formées à la fois dans le corps humain, que sa puissance d’imaginer se trouve dépassée ; elle ne l’est pas complètement à la vérité, mais assez pour que l’esprit ne puisse imaginer ni les petites différences des êtres singuliers (telles la couleur, la taille de chacun), ni leur nombre déterminé, et imagine distinctement cela seul en quoi tous, en tant que le corps est affecté par eux, conviennent ; car c’est par cela que le corps a été affecté le plus, à savoir par chaque être singulier ; et c’est cela que l’esprit exprime par le nom d’Homme, et qu’il affirme d’une infinité d’êtres singuliers. Car, nous l’avons dit, il ne peut imaginer le nombre déterminé des êtres singuliers. Mais on doit noter que ces notions ne sont pas formées par tous de la même manière ; elles varient chez chacun en raison de la chose par laquelle le corps a été plus souvent affecté et que l’esprit imagine ou se rappelle le plus facilement. Ceux qui, par exemple, ont plus souvent considéré avec étonnement la stature des hommes, entendront sous le nom d’Homme un animal de stature droite ; pour ceux qui ont accoutumé de considérer autre chose, ils formeront des hommes une autre image commune, savoir : l’homme est un animal doué du rire ; un animal à deux pieds sans plumes ; un animal raisonnable ; et ainsi pour les autres objets, chacun formera, suivant la disposition de son corps, des images universelles des choses. Il n’est donc pas étonnant qu’entre les philosophes, qui ont voulu expliquer les choses naturelles par les seules images des choses, tant de controverses se soient élevées.

SCOLIE II

Par tout ce qui a été dit ci-dessus il apparaît clairement que nous avons nombre de perceptions et formons des notions universelles :

1° des objets singuliers qui nous sont représentés par les sens d’une manière tronquée, confuse et sans ordre pour l’entendement (voir Corollaire de la Proposition 29) ; pour cette raison j’ai accoutumé d’appeler de telles perceptions connaissance par expérience vague ;

2° des signes, par exemple de ce que, entendant ou lisant certains mots, nous nous rappelons des choses et en formons certaines idées semblables à celles par lesquelles nous imaginons les choses (voir Scolie de la Proposition 18). J’appellerai par la suite l’un et l’autre modes de considérer les choses, connaissance du premier genre, opinion ou imagination ;

3° enfin, de ce que nous avons des notions communes et des idées adéquates des propriétés des choses (voir Corollaire de la Proposition 38, Proposition 39 avec son Corollaire et Proposition 40) ; et j’appellerai ce mode raison et connaissance du deuxième genre.

Outre ces deux genres de connaissance, il y en a encore un troisième, comme je le montrerai dans la suite, que nous appellerons science intuitive. Et ce genre de connaissance procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses.

J’expliquerai tout cela par l’exemple d’une chose unique. On donne, par exemple, trois nombres pour en obtenir un quatrième qui soit au troisième comme le second au premier. Des marchands n’hésiteront pas à multiplier le second par le troisième et à diviser le produit par le premier, parce qu’ils n’ont pas encore laissé tomber dans l’oubli ce qu’ils ont appris de leurs maîtres sans nulle démonstration, ou parce qu’ils ont expérimenté ce procédé souvent dans le cas de nombres très simples, ou par la force de la démonstration de la proposition 19, livre VII d’Euclide, c’est-à-dire par la propriété commune des nombres proportionnels. Mais pour les nombres les plus simples aucun de ces moyens n’est nécessaire. Étant donné, par exemple, les nombres 1, 2, 3, il n’est personne qui ne voie que le quatrième proportionnel est 6, et cela beaucoup plus clairement, parce que du rapport même, que nous voyons d’un seul regard qu’a le premier avec le second, nous concluons le quatrième.

PROPOSITION XLI

La connaissance du premier genre est l’unique cause de la fausseté ; celle du deuxième et du troisième est nécessairement vraie.

DÉMONSTRATION

Nous avons dit dans le précédent scolie qu’à la connaissance du premier genre appartiennent toutes les idées qui sont inadéquates et confuses, et, par suite (Proposition 35), cette connaissance est l’unique cause de la fausseté. D’autre part, nous avons dit qu’à la connaissance du deuxième genre et du troisième appartiennent les idées qui sont adéquates ; en conséquence, cette connaissance (Proposition 34) est nécessairement vraie. C.Q.F.D.

PROPOSITION XLII

La connaissance du deuxième genre et du troisième, non celle du premier genre, nous enseigne à distinguer le vrai du faux.

DÉMONSTRATION

Cette proposition est évidente par elle-même. Qui sait distinguer, en effet, entre le vrai et le faux, doit avoir du vrai et du faux une idée adéquate, c’est-à-dire (Scolie 2 de la Proposition 40) connaître le vrai et le faux par le deuxième genre de connaissance ou le troisième.

PROPOSITION XLIII

Qui a une idée vraie sait en même temps qu’il a une idée vraie et ne peut douter de la vérité de la chose.

DÉMONSTRATION

L’idée vraie en nous est celle qui est adéquate en Dieu en tant qu’il s’explique par la nature de l’esprit humain (Corollaire de la Proposition 11). Supposons donc qu’une idée adéquate A soit donnée en Dieu, en tant qu’il s’explique par la nature de l’esprit humain. De cette idée doit être nécessairement donnée aussi en Dieu une idée qui se rapporte à Dieu de la même manière que l’idée A (Proposition 20 dont la Démonstration est universelle). Mais l’idée A est supposée se rapporter à Dieu en tant qu’il s’explique par la nature de l’esprit humain ; donc l’idée de l’idée A doit aussi se rapporter à Dieu de la même manière, c’est-à-dire (même Corollaire de la Proposition 11) que cette idée adéquate de l’idée A sera dans l’esprit même qui a l’idée adéquate A ; qui donc a une idée adéquate, c’est-à-dire (Proposition 34) qui connaît une chose vraiment, doit en même temps avoir de sa connaissance une idée adéquate, c’est-à-dire (comme il est évident de soi) qu’il doit en même temps en être certain. C.Q.F.D.

SCOLIE

J’ai expliqué, dans le Scolie de la Proposition 21 de cette Partie, ce qu’est l’idée de l’idée ; mais il faut observer que la Proposition précédente est suffisamment manifeste par elle-même. Car nul, ayant une idée vraie, n’ignore que l’idée vraie enveloppe la plus haute certitude ; avoir une idée vraie, en effet, ne signifie rien, sinon connaître une chose parfaitement ou le mieux possible ; et certes personne ne peut en douter, à moins de croire que l’idée est quelque chose de muet comme une peinture sur un tableau et non un mode de penser, savoir l’acte même de comprendre et, je le demande, qui peut savoir qu’il comprend une chose, s’il ne comprend auparavant la chose ? c’est-à-dire qui peut savoir qu’il est certain d’une chose, s’il n’est auparavant certain de cette chose ? Ensuite, que peut-il y avoir de plus clair et de plus certain que l’idée vraie, qui soit norme de vérité ? Certes, comme la lumière se manifeste elle-même et les ténèbres, la vérité est norme d’elle-même et du faux.

Et par là je crois avoir répondu aux questions suivantes, savoir : si une idée vraie, en tant qu’elle est dite seulement convenir avec son idéat, se distingue d’une fausse, une idée vraie ne contient donc aucune réalité ou perfection de plus qu’une fausse (puisqu’elles se distinguent seulement par une dénomination extrinsèque), et conséquemment aussi un homme qui a des idées vraies ne l’emporte en rien sur celui qui en a seulement de fausses. Ensuite, d’où vient que les hommes ont des idées fausses ? Et, enfin, d’où quelqu’un peut-il savoir avec certitude qu’il a des idées qui conviennent avec leurs idéats <?>

À ces questions, dis-je, je pense avoir déjà répondu. Quant à la différence, en effet, qui est entre l’idée vraie et la fausse, il est établi par la Proposition 35 qu’il y a entre elles deux la même relation qu’entre l’être et le non être. J’ai montré, d’autre part, très clairement les causes de la fausseté depuis la Proposition 19 jusqu’à la Proposition 35 avec son Scolie. Par là apparaît aussi quelle différence est entre un homme qui a des idées vraies et un homme qui n’en a que de fausses. Quant à la dernière question enfin : d’où un homme peut savoir qu’il a une idée qui convient avec son idéat, je viens de montrer suffisamment et surabondamment que cela provient uniquement de ce qu’il a une idée qui convient avec son idéat, c’est-à-dire de ce que la vérité est norme d’elle-même. Ajoutez que notre esprit, en tant qu’il perçoit les choses vraiment, est une partie de l’entendement infini de Dieu (Corollaire de la Proposition 11) et que les idées claires et distinctes de l’esprit sont aussi nécessairement vraies que les idées de Dieu.

PROPOSITION XLIV

Il est de la nature de la Raison de considérer les choses non comme contingentes, mais comme nécessaires.

DÉMONSTRATION

Il est de la nature de la Raison de percevoir les choses vraiment (Proposition 41), savoir (Axiome 6, p. I) comme elles sont en elles-mêmes, c’est-à-dire (Proposition 29, p. I) non comme contingentes, mais comme nécessaires. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Il suit de là qu’il dépend de la seule imagination que nous considérions les choses, tant relativement au passé que relativement au futur, comme contingentes.

SCOLIE

J’expliquerai ici brièvement comment cela se produit. Nous avons montré ci-dessus (Proposition 17 avec son Corollaire) que l’esprit imagine toujours les choses comme lui étant présentes, bien qu’elles n’existent pas, à moins qu’il ne se rencontre des causes qui excluent leur existence présente.

Ensuite, nous avons montré (Proposition 18) que si le corps humain a été une fois affecté simultanément par deux corps extérieurs, sitôt que l’esprit plus tard imaginera l’un des deux, il se souviendra aussi de l’autre, c’est-à-dire qu’il les considérera comme lui étant présents l’un et l’autre, à moins qu’il ne se rencontre des causes qui excluent leur existence présente.

Nul ne doute en outre que nous n’imaginions aussi le temps, et cela parce que nous imaginons des corps se mouvant les uns plus lentement ou plus vite que les autres, ou avec une vitesse égale. Supposons donc un enfant qui hier une première fois aura vu le matin Pierre, à midi Paul, et le soir Siméon, et aujourd’hui de nouveau a vu Pierre le matin. Il est évident, d’après la Proposition 18, que, sitôt qu’il voit la lumière du matin, il imaginera sur-le-champ le soleil parcourant la même partie du ciel qu’il aura vue la veille ; en d’autres termes, imaginera le jour entier et simultanément Pierre avec le matin, Paul à midi et Siméon avec le soir, c’est-à-dire qu’il imaginera l’existence de Paul et de Siméon avec une relation au temps futur ; au contraire, s’il voit Siméon le soir, il rapportera Paul et Pierre au temps passé, les imaginant en même temps que le passé ; et cette imagination sera constante d’autant plus qu’il les aura vus plus souvent dans le même ordre. S’il arrive une fois qu’un autre soir, à la place de Siméon, il voie Jacob, alors au matin suivant il imaginera en même temps que le soir tantôt Siméon, tantôt Jacob, mais non tous les deux ensemble. Car on suppose qu’il a vu, le soir, l’un des deux seulement et non les deux à la fois. Son imagination sera donc flottante, et il imaginera, en même temps que le soir futur, tantôt l’un, tantôt l’autre, c’est-à-dire considérera l’un et l’autre non comme devant être de façon certaine, mais comme des futurs contingents. Et ce flottement de l’imagination sera le même si les choses imaginées sont des choses que nous considérons avec une relation au temps passé ou au présent ; et, conséquemment, nous imaginerons comme contingentes les choses rapportées tant au temps présent qu’au passé et au futur.

COROLLAIRE

Il est de la nature de la Raison de percevoir les choses sous une certaine espèce d’éternité.

DÉMONSTRATION

Il est de la nature de la Raison en effet de considérer les choses comme nécessaires et non comme contingentes (Proposition précédente). Et elle perçoit cette nécessité des choses vraiment (Proposition 41), c’est-à-dire comme elle est en elle-même (Axiome 6, p. I). Mais (Proposition 16, p. I) cette nécessité des choses est la nécessité même de la nature éternelle de Dieu. Il est donc de la nature de la Raison de considérer les choses sous cette espèce d’éternité.

Ajoutez que les principes de la Raison sont des notions (Proposition 38) qui expliquent ce qui est commun à toutes choses, et (Proposition 37) n’expliquent l’essence d’aucune chose singulière, et qui en conséquence doivent être conçues sans aucune relation au temps, mais sous une certaine espèce d’éternité. C.Q.F.D.

PROPOSITION XLV

Chaque idée d’un corps quelconque, ou d’une chose singulière existant en acte, enveloppe nécessairement l’essence éternelle et infinie de Dieu.

DÉMONSTRATION

L’idée d’une chose singulière existant en acte enveloppe nécessairement tant l’essence que l’existence de la chose elle-même (Corollaire de la Proposition 8 de cette Partie). Or, les choses singulières ne peuvent être conçues sans Dieu (Proposition 15, p. I) ; mais, puisque (Proposition 6) elles ont Dieu pour cause en tant qu’on le considère sous l’attribut dont les choses elles-mêmes sont des modes, leurs idées doivent nécessairement (Axiome 4, p. I) envelopper le concept de leur attribut, c’est-à-dire (Définition 6, p. I) l’essence éternelle et infinie de Dieu. C.Q.F.D.

SCOLIE

Je n’entends pas ici par existence la durée, c’est-à-dire l’existence en tant qu’elle est conçue abstraitement et comme une certaine espèce de quantité. Je parle, en effet, de la nature même de l’existence, laquelle est attribuée aux choses singulières pour cette raison qu’une infinité de choses suivent de la nécessité éternelle de Dieu en une infinité de modes (voir Proposition 16, p. I). Je parle, dis-je, de l’existence même des choses singulières en tant qu’elles sont en Dieu. Car, bien que chacune soit déterminée à exister d’une manière précise par une autre chose singulière, la force cependant par laquelle chacune persévère dans l’existence, suit de la nécessité éternelle de la nature de Dieu. Sur ce point voir Corollaire de la Proposition 24, p. I.

PROPOSITION XLVI

La connaissance de l’essence éternelle et infinie de Dieu qu’enveloppe chaque idée est adéquate et parfaite.

DÉMONSTRATION

La démonstration de la Proposition précédente est universelle, et que l’on considère une chose comme une partie ou comme un tout, son idée, que ce soit celle du tout ou celle de la partie, enveloppera (Proposition précédente) l’essence éternelle et infinie de Dieu. Donc, ce qui donne la connaissance de l’essence éternelle et infinie de Dieu est commun à toutes choses et est également dans la partie et dans le tout, et par suite (Proposition 38) cette connaissance sera adéquate. C.Q.F.D.

PROPOSITION XLVII

L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.

DÉMONSTRATION

L’esprit humain a des idées (Proposition 22) par lesquelles (Proposition 23) il se perçoit lui-même et son propre corps (Proposition 19), et (Corollaire 1 de la Proposition 16 et Proposition 17) les corps extérieurs comme existant en acte ; par suite, il a (Propositions 45 et 46) une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu. C.Q.F.D.

SCOLIE

Nous voyons par là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont connues de tous. Or, puisque tout est en Dieu et se conçoit par Dieu, il s’ensuit que nous pouvons déduire de cette connaissance un très grand nombre de conséquences que nous pouvons connaître adéquatement, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé dans le Scolie 2 de la Proposition 40 et de l’excellence et de l’utilité duquel il y aura lieu pour nous de parler dans la Cinquième Partie. Que si d’ailleurs les hommes n’ont pas une connaissance également claire de Dieu et des notions communes, cela provient de ce qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils imaginent les corps, et ont joint le nom de Dieu aux images des choses qu’ils ont l’habitude de voir, et cela, les hommes ne peuvent guère l’éviter, affectés comme ils le sont continuellement par les corps extérieurs. Et, assurément, la plupart des erreurs consistent en cela seul que nous n’appliquons pas correctement les noms aux choses. Quand quelqu’un dit en effet que les lignes menées du centre du cercle à la circonférence sont inégales, certes il entend, au moins alors, par cercle autre chose que ne font les Mathématiciens. De même, quand les hommes commettent une erreur dans un calcul, ils ont dans la pensée d’autres nombres que ceux qu’ils ont sur le papier. C’est pourquoi certes, si l’on a égard à leur pensée, ils ne commettent point d’erreur ; ils semblent en commettre une cependant, parce que nous croyons qu’ils ont dans la pensée les nombres qui sont sur le papier. S’il n’en était pas ainsi, nous ne croirions pas qu’ils commettent aucune erreur, de même qu’ayant entendu quelqu’un crier naguère que sa maison s’était envolée sur la poule du voisin, je n’ai pas cru qu’il fût dans l’erreur, parce que sa pensée me semblait assez claire. Et de là naissent la plupart des controverses, à savoir de ce que les hommes n’expriment pas correctement leur pensée ou de ce qu’ils interprètent mal la pensée d’autrui. Car en réalité, tandis qu’ils se contredisent le plus, ils pensent la même chose ou des choses différentes, de sorte que ce qu’ils pensent être des erreurs ou des absurdités en autrui, n’en est pas.

PROPOSITION XLVIII

Il n’y a dans l’esprit aucune volonté absolue ou libre ; mais l’esprit est déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, et ainsi à l’infini.

DÉMONSTRATION

L’esprit est un mode précis et déterminé du penser (Proposition 11) et par suite (Corollaire 2 de la Proposition 17, p. I) ne peut être cause libre de ses actions, autrement dit, ne peut avoir une faculté absolue de vouloir et de ne pas vouloir ; mais il doit être déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause (Proposition 28, p. I), laquelle est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, etc. C.Q.F.D.

SCOLIE

On démontre de la même manière qu’il n’y a dans l’esprit aucune faculté absolue de comprendre, de désirer, d’aimer, etc. D’où suit que ces facultés et autres semblables ou bien sont de pures fictions ou ne sont rien que des êtres métaphysiques, c’est-à-dire des universaux, que nous avons coutume de former des êtres particuliers. De sorte que l’entendement et la volonté sont avec telle et telle idée, ou telle et telle volition, dans le même rapport que la pierréité avec telle ou telle pierre, ou que l’homme avec Pierre et Paul.

Quant à la cause pour quoi les hommes croient qu’ils sont libres, nous l’avons expliquée dans l’Appendice de la Première Partie. Mais, avant de poursuivre, il convient de noter ici que j’entends par volonté la faculté d’affirmer et de nier, non le désir ; j’entends, dis-je, la faculté par où l’esprit affirme ou nie quelle chose est vraie ou fausse, mais non le désir par où l’esprit appète les choses ou les a en aversion. Et, après avoir démontré que ces facultés sont des notions universelles, qui ne se distinguent pas des choses singulières desquelles nous les formons, il faut maintenant rechercher si les volitions elles-mêmes sont quelque chose en dehors des idées mêmes des choses. Il faut, dis-je, rechercher s’il est donné dans l’esprit une autre affirmation ou une autre négation que celle qu’enveloppe l’idée, en tant qu’elle est idée ; et à ce sujet l’on verra la Proposition suivante, et aussi la Définition 3, p. II, pour que la pensée ne tombe pas parmi les peintures. Car je n’entends point par idées des images telles qu’il s’en forme au fond de l’œil et, si l’on veut, au milieu du cerveau, mais des concepts de la pensée.

PROPOSITION XLIX

Il n’y a dans l’esprit aucune volition, c’est-à-dire aucune affirmation et aucune négation, en dehors de celle qu’enveloppe l’idée en tant qu’elle est idée.

DÉMONSTRATION

Il n’y a dans l’esprit (Proposition précédente) aucune faculté absolue de vouloir et de non-vouloir, mais seulement des volitions singulières, à savoir telle et telle affirmation et telle et telle négation. Concevons donc quelque volition singulière, soit un mode de penser par lequel l’esprit affirme que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits. Cette affirmation enveloppe le concept ou l’idée du triangle, c’est-à-dire ne peut être conçue sans l’idée du triangle. Car c’est tout un de dire que A doit envelopper le concept de B ou que A ne peut se concevoir sans B.

De plus, cette affirmation (Axiome 3) ne peut être non plus sans l’idée du triangle. Cette affirmation donc ne peut sans l’idée du triangle ni être ni être conçue. En outre, cette idée du triangle doit envelopper cette même affirmation, à savoir que ses trois angles sont égaux à deux droits. Donc, inversement, cette idée du triangle ne peut ni être ni être conçue sans cette affirmation, et ainsi (Définition 2) cette affirmation appartient à l’essence de l’idée du triangle et n’est rien d’autre que celle-ci. Et ce que nous avons dit de cette volition (puisque nous l’avons choisie à notre gré), on devra le dire aussi d’une volition quelconque, à savoir qu’elle n’est rien en dehors de l’idée. C.Q.F.D.

COROLLAIRE

La volonté et l’entendement sont une seule et même chose.

DÉMONSTRATION

La volonté et l’entendement ne sont rien en dehors des volitions et des idées singulières (Proposition 48 avec son Scolie). Or une volition singulière et une idée singulière sont une seule et même chose (Proposition précédente) ; donc la volonté et l’entendement sont une seule et même chose. C.Q.F.D.

SCOLIE

Par là nous avons supprimé la cause qui est communément attribuée à l’erreur. Précédemment, d’ailleurs, nous avons montré que la fausseté consiste dans la seule privation qu’enveloppent les idées mutilées et confuses. C’est pourquoi l’idée fausse, en tant qu’elle est fausse, n’enveloppe pas la certitude. Quand donc nous disons qu’un homme trouve le repos dans le faux et ne conçoit pas de doute à son sujet, nous ne disons pas pour cela qu’il est certain, mais seulement qu’il ne doute pas, ou qu’il trouve le repos dans des idées fausses, parce qu’il n’existe point de causes pouvant faire que son imagination soit flottante. Voir à ce sujet le Scolie de la Proposition 44. Si fortement donc qu’on voudra supposer qu’un homme adhère au faux, nous ne dirons jamais qu’il est certain. Car par certitude nous entendons quelque chose de positif (voir Proposition 43 et son Scolie) et non la privation de doute. Et par privation de certitude nous entendons la fausseté.

Mais, pour expliquer plus amplement la Proposition précédente, il reste quelques avertissements à donner. Il reste ensuite à répondre aux objections qui peuvent être opposées à cette doctrine qui est la nôtre, et enfin, pour écarter tout scrupule, j’ai cru qu’il valait la peine d’indiquer certains avantages pratiques de cette doctrine. Je dis certains avantages, car les principaux se comprendront mieux par ce que nous dirons dans la Cinquième Partie.

Je commence donc par le premier point et j’avertis les lecteurs qu’ils aient à distinguer soigneusement entre une idée, autrement dit un concept de l’esprit, et les images des choses que nous imaginons. Il est nécessaire ensuite qu’ils distinguent entre les idées et les Mots par lesquels nous désignons les choses. Parce que, en effet, beaucoup d’hommes ou bien confondent entièrement ces trois choses : les images, les mots et les idées, ou bien ne les distinguent pas avec assez de soin, ou enfin avec assez de prudence, ils ont ignoré complètement cette doctrine de la volonté, dont la connaissance est tout à fait indispensable tant pour la spéculation que pour la sage ordonnance de la vie.

Ceux qui, en effet, font consister les idées dans les images qui se forment en nous par la rencontre des corps, se persuadent que les idées des choses à la ressemblance desquelles nous ne pouvons former aucune image, ne sont pas des idées, mais seulement des fictions que nous forgeons par le libre arbitre de la volonté ; ils regardent donc les idées comme des peintures muettes sur un tableau et, l’esprit occupé par ce préjugé, ne voient pas qu’une idée, en tant qu’elle est idée, enveloppe une affirmation ou une négation.

Ensuite, ceux qui confondent les mots avec l’idée ou avec l’affirmation elle-même qu’enveloppe l’idée, pensent qu’ils peuvent vouloir contrairement à leur sentiment quand c’est en paroles seulement qu’ils affirment ou nient quelque chose contrairement à leur sentiment.

Mais celui-là pourra facilement se dépouiller de ces préjugés, qui porte attention à la nature de la Pensée, laquelle n’enveloppe aucunement le concept de l’Étendue, et il comprendra ainsi clairement que l’idée (puisqu’elle est un mode de penser) ne consiste ni dans l’image de quelque chose ni dans des mots. L’essence des mots, en effet, et des images est constituée par les seuls mouvements corporels, qui n’enveloppent en aucune façon le concept de la pensée.

Ces brefs avertissements à ce sujet suffiront ; je passe donc aux objections sus-visées.

La première est qu’on croit établi que la volonté s’étend plus loin que l’entendement et qu’elle est ainsi différente de lui. Quant à la raison pour quoi l’on pense que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, c’est qu’on dit savoir d’expérience qu’on n’a pas besoin d’une faculté d’assentir, c’est-à-dire d’affirmer et de nier, plus grande que celle que nous avons, pour assentir à une infinité de choses que nous ne percevons pas, tandis qu’on aurait besoin d’une faculté plus grande de comprendre. La volonté se distingue donc de l’entendement en ce qu’il est fini, tandis qu’elle est infinie.

Deuxièmement on peut nous objecter que, s’il est une chose qui semble clairement enseignée par l’expérience, c’est que nous pouvons suspendre notre jugement, de façon à ne pas assentir aux choses perçues par nous ; et cela est encore confirmé par ce fait que nul n’est dit se tromper en tant qu’il perçoit quelque chose, mais seulement en tant qu’il donne ou refuse son assentiment. Celui qui, par exemple, forge un cheval ailé, n’accorde pas pour cela qu’il existe un cheval ailé, c’est-à-dire qu’il ne se trompe pas pour cela, à moins qu’il n’accorde en même temps qu’il existe un cheval ailé ; l’expérience ne semble donc rien enseigner plus clairement, sinon que la volonté, c’est-à-dire la faculté d’assentir, est libre et distincte de la faculté de connaître.

Troisièmement on peut objecter qu’une affirmation ne semble pas contenir plus de réalité qu’une autre ; c’est-à-dire nous ne semblons pas avoir besoin d’une puissance plus grande pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, que pour affirmer que quelque chose qui est faux, est vrai ; tandis qu’au contraire nous percevons qu’une idée a plus de réalité ou de perfection qu’une autre ; autant les objets l’emportent les uns sur les autres, autant aussi leurs idées sont plus parfaites les unes que les autres ; par là encore une différence semble être établie entre la volonté et l’entendement.

Quatrièmement on peut objecter que, si l’homme n’opère point par la liberté de sa volonté, qu’arrivera-t-il s’il se trouve en équilibre comme l’ânesse de Buridan ? Périra-t-il de faim et de soif ? Si je l’accorde, je paraîtrai concevoir une ânesse ou une statue d’homme, et non un homme ; si je le nie, c’est donc qu’il se déterminera lui-même et, conséquemment, a la faculté d’aller et de faire tout ce qu’il veut.

Peut-être y a-t-il encore d’autres objections possibles ; comme, toutefois, je ne suis pas tenu d’insérer ici les rêveries que chacun peut faire, je ne prendrai soin de répondre qu’à ces quatre objections, et je le ferai le plus brièvement possible.

À l’égard de la première, j’accorde que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, si par entendement on entend seulement les idées claires et distinctes ; mais je nie que la volonté s’étende plus loin que les perceptions, autrement dit la faculté de concevoir, et en vérité je ne vois pas pourquoi la faculté de vouloir doit être dite infinie, plutôt que celle de sentir ; tout comme, en effet, par la même faculté de vouloir, nous pouvons affirmer une infinité de choses (l’une après l’autre toutefois, car nous n’en pouvons affirmer à la fois une infinité), nous pouvons aussi, par la même faculté de sentir, sentir ou percevoir une infinité de corps (l’un après l’autre bien entendu). Dira-t-on qu’il y a une infinité de choses que nous ne pouvons percevoir ? Je réplique : ces choses-là, nous ne pouvons les saisir par aucune pensée et conséquemment par aucune faculté de vouloir. Mais, insistera-t-on, si Dieu voulait faire que nous les perçussions aussi, il devrait nous donner, certes, une plus grande faculté de percevoir, mais non une plus grande faculté de vouloir que celle qu’il nous a donnée. Ce qui revient à dire : si Dieu voulait faire que nous comprenions une infinité d’autres êtres, il serait nécessaire, certes, qu’il nous donnât un entendement plus grand que celui qu’il nous a donné, afin d’embrasser cette infinité, mais non une idée plus générale de l’être. Car nous avons montré que la volonté est un être universel, en d’autres termes une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions singulières, c’est-à-dire ce qui est commun à toutes ces volitions. Puis donc que l’on croit que cette idée commune ou universelle de toutes les volitions est une faculté, il n’y a pas le moins du monde à s’étonner que l’on dise que cette faculté s’étend à l’infini au delà des limites de l’entendement. L’universel en effet se dit également d’un et de plusieurs individus comme d’une infinité.

À la deuxième objection je réponds en niant que nous ayons un libre pouvoir de suspendre le jugement. Quand nous disons en effet que quelqu’un suspend son jugement, nous ne disons rien d’autre sinon qu’il voit qu’il ne perçoit pas la chose adéquatement. La suspension du jugement est donc en réalité une perception, et non une libre volonté. Pour le faire comprendre clairement concevons un enfant qui imagine un cheval et ne perçoit rien d’autre. Puisque cette imagination enveloppe l’existence du cheval (Corollaire de la Proposition 17) et que l’enfant ne perçoit rien qui exclue l’existence du cheval, il considérera nécessairement le cheval comme présent et ne pourra douter de son existence, encore qu’il n’en soit pas certain. Nous faisons l’expérience de cela tous les jours dans le sommeil, et je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui croie, durant qu’il rêve, avoir le libre pouvoir de suspendre son jugement sur ce qu’il rêve et de faire qu’il ne rêve pas ce qu’il rêve qu’il voit ; et néanmoins il arrive que, même dans le sommeil, nous suspendions notre jugement, c’est à savoir quand nous rêvons que nous rêvons.

J’accorde maintenant que nul ne se trompe en tant qu’il perçoit, c’est-à-dire que les imaginations de l’esprit considérées en elles-mêmes n’enveloppent aucune sorte d’erreur (voir Scolie de la Proposition 17) ; mais je nie qu’un homme n’affirme rien en tant qu’il perçoit. Qu’est-ce donc en effet que percevoir un cheval ailé sinon affirmer d’un cheval des ailes ? Si l’esprit, en dehors du cheval ailé, ne percevait rien d’autre, il le considérerait comme présent, et n’aurait aucun motif de douter de son existence et aucune faculté de ne pas assentir, à moins que l’imagination du cheval ailé ne soit jointe à une idée excluant l’existence de ce même cheval, ou que l’esprit ne perçoive que l’idée qu’il a du cheval est inadéquate, et alors ou bien il niera nécessairement l’existence de ce cheval, ou bien il en doutera nécessairement.

Par là je pense avoir répondu aussi à la troisième objection : à savoir que la volonté est quelque chose d’universel qui se prédique de toutes les idées et signifie seulement ce qui est commun à toutes ; à savoir une affirmation dont par conséquent l’essence adéquate, en tant qu’elle est ainsi conçue abstraitement, doit être en chaque idée, et, sous ce rapport seulement, la même dans toutes ; mais non en tant qu’on la considère comme constituant l’essence de l’idée, car dans cette mesure les affirmations singulières diffèrent entre elles tout autant que les idées elles-mêmes. Par exemple, l’affirmation qu’enveloppe l’idée du cercle diffère de celle qu’enveloppe l’idée du triangle autant que l’idée du cercle de l’idée du triangle.

Ensuite, je nie absolument que nous ayons besoin d’une égale puissance de penser pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, que pour affirmer que ce qui est faux est vrai. Car ces deux affirmations, si on a égard à la pensée, sont dans le même rapport l’une avec l’autre que l’être et le non-être ; il n’y a en effet dans les idées rien de positif qui constitue la forme de la fausseté (voir Proposition 35 avec son Scolie et le Scolie de la Proposition 47). Il convient donc de noter ici avant tout que nous nous trompons facilement quand nous confondons les notions universelles avec les singulières, les êtres de raison et les abstractions avec les réalités.

Quant à la quatrième objection enfin, j’accorde parfaitement qu’un homme placé dans un tel équilibre (c’est-à-dire ne percevant rien d’autre que la faim et la soif, tel aliment et telle boisson à égale distance de lui) périra de faim et de soif. Me demande-t-on si un tel homme ne doit pas être estimé un âne plutôt qu’un homme ? Je dis que je n’en sais rien ; pas plus que je ne sais en quelle estime l’on doit tenir un homme qui se pend, les enfants, les sots, les fous, etc.

Il ne reste plus qu’à indiquer combien la connaissance de cette doctrine est utile dans la vie, ce que nous verrons aisément d’après ce qui suit.

1° en ce qu’elle nous apprend que nous agissons par le seul geste de Dieu et participons de la nature divine et cela d’autant plus que nous faisons des actions plus parfaites et comprenons Dieu davantage et encore davantage. Cette doctrine donc, outre qu’elle rend l’âme tranquille à tous égards, a ceci encore qu’elle nous enseigne en quoi consiste notre plus haute félicité ou béatitude, à savoir dans la seule connaissance de Dieu, par où nous sommes induits à faire seulement les actions que conseillent l’amour et la piété. Par où nous comprenons clairement combien sont éloignés de l’appréciation vraie de la vertu ceux qui, pour leur vertu et leurs actions les meilleures, attendent de Dieu une suprême récompense comme pour la suprême servitude, comme si la vertu même et le service de Dieu n’étaient pas la félicité même et la suprême liberté ;

2° en tant qu’elle enseigne comment nous devons nous comporter à l’égard des choses de fortune, c’est-à-dire qui ne sont pas en notre pouvoir, en d’autres termes à l’égard des choses qui ne suivent pas de notre nature ; à savoir : attendre et supporter, avec une âme égale, l’une et l’autre faces de la fortune, toutes choses suivant du décret éternel de Dieu avec la même nécessité qu’il suit de l’essence du triangle, que ses trois angles sont égaux à deux droits ;

3° cette doctrine est utile à la vie sociale en tant qu’elle enseigne à n’avoir en haine, à ne mépriser personne, à ne tourner personne en dérision, à n’avoir de colère contre personne, à ne porter envie à personne. En tant qu’elle enseigne encore à chacun à être content de ce qu’il a, et à aider son prochain non par une pitié de femme, par partialité, ni par superstition, mais sous la seule conduite de la raison, selon bien entendu que le temps et la conjoncture le demandent, ainsi que je le montrerai dans la Quatrième Partie ;

4° enfin cette doctrine est utile encore grandement à la société commune en ce qu’elle enseigne de quelle façon les citoyens doivent être gouvernés et dirigés, et cela non pour qu’ils soient esclaves, mais pour qu’ils fassent librement les actions les meilleures.

J’ai achevé par là ce que j’avais résolu de traiter dans ce Scolie, et je mets fin ici à cette Deuxième Partie, dans laquelle je crois avoir expliqué la nature de l’esprit humain et ses propriétés assez amplement et, autant que la difficulté de la matière le permet, assez clairement ; dans laquelle je crois aussi avoir donné un exposé duquel se peuvent tirer beaucoup de belles conclusions, utiles au plus haut point et nécessaires à connaître, ainsi qu’il sera établi en partie dans ce qui va suivre.

PRAEFATIO

Transeo jam ad ea explicanda, quae ex Dei, sive Entis aeterni, & infiniti essentia necessario debuerunt sequi. Non quidem omnia; infinita enim infinitis modis ex ipsa debere sequi Prop. 16 Part. 1 demonstravimus: sed ea solummodo, quae nos ad Mentis humanae, ejusque summae beatitudinis cognitionem, quasi manu, ducere possunt.

DEFINITIONES

1. Per corpus intelligo modum, qui Dei essentiam, quatenus, ut res extensa, consideratur, certo, & determinato modo exprimit; vide Coroll. Prop. 25 p. 1.

2. Ad essentiam alicujus rei id pertinere dico, quo dato res necessario ponitur, & quo sublato res necessario tollitur; vel id, sine quo res, & vice versa quod sine re nec esse, nec concipi potest.

3. Per ideam intelligo Mentis conceptum, quem Mens format, propterea quod res est cogitans.

EXPLICATIO

Dico potius conceptum, quam perceptionem, quia perceptionis nomen indicare videtur, Mentem ab objecto pati. At conceptus actionem Mentis exprimere videtur.

4. Per ideam adaequatam intelligo ideam, quae, quatenus in se sine relatione ad objectum consideratur, omnes verae ideae proprietates, sive denominationes intrinsecas habet.

EXPLICATIO

Dico intrinsecas, ut illam secludam, quae extrinseca est, nempe convenientiam ideae cum suo ideato.

5. Duratio est indefinita existendi continuatio.

EXPLICATIO

Dico indefinitam, quia per ipsam rei existentis naturam determinari nequaquam potest, neque etiam a causa efficiente, quae scilicet rei existentiam necessario ponit, non autem tollit.

6. Per realitatem, & perfectionem idem intelligo.

7. Per res singulares intelligo res, quae finitae sunt, & determinatam habent existentiam. Quod si plura Individua in una actione ita concurrant, ut omnia simul unius effectus sint causa, eadem omnia eatenus, ut unam rem singularem, considero.

AXIOMATA

1. - Hominis essentia non involvit necessariam existentiam, hoc est, ex naturae ordine, tam fieri potest, ut hic, & ille homo existat, quam ut non existat.

2. - Homo cogitat.

3. -Modi cogitandi, ut amor, cupiditas, vel quicunque nomine affectus animi insigniuntur, non dantur, nisi in eodem Individuo detur idea rei amatae, desideratae, &c. At idea dari potest, quamvis nullus alius detur cogitandi modus.

4. - Nos corpus quoddam multis modis affici sentimus.

5. - Nullas res singulares praeter corpora, & cogitandi modos, sentimus, nec percipimus.

Postulata vide post Propositionem 13.

PROPOSITIO I

Cogitatio attributum Dei est, sive Deus est res cogitans.

DEMONSTRATIO

Singulares cogitationes, sive haec, & illa cogitatio modi sunt, qui Dei naturam certo, & determinato modo exprimunt (per Coroll. Prop. 25 p. 1). Competit ergo Deo (per Defin. 5 p. 1) attributum, cujus conceptum singulares omnes cogitationes involvunt, per quod etiam concipiuntur. Est igitur Cogitatio unum ex infinitis Dei attributis, quod Dei aeternam, & infinitam essentiam exprimit (vide Defin. 6 p. 1 ), sive Deus est res cogitans. Q.E.D.

SCHOLIUM

Patet etiam haec Propositio ex hoc, quod nos possumus ens cogitans infinitum concipere. Nam quo plura ens cogitans potest cogitare, eo plus realitatis, sive perfectionis idem continere concipimus; ergo ens, quod infinita infinitis modis cogitare potest, est necessario virtute cogitandi infinitum. Cum itaque, ad solam cogitationem attendendo, Ens infinitum concipiamus, est necessario (per Defin. 4 & Defin. 6 p. 1) Cogitatio unum ex infinitis Dei attributis, ut volebamus.

PROPOSITIO II

Extensio attributum Dei est, sive Deus est res extensa.

DEMONSTRATIO

Hujus eodem modo procedit, ac demonstratio praecedentis Propositionis.

PROPOSITIO III

In Deo datur necessario idea, tam ejus essentiae, quam omnium, quae ex ipsius essentia necessario sequuntur.

DEMONSTRATIO

Deus enim (per Prop. 1 hujus) infinita infinitis modis cogitare, sive (quod idem est, per Prop. 16 p. 1 ) ideam suae essentiae, & omnium, quae necessario ex ea sequuntur, formare potest. Atqui omne id, quod in Dei potestate est, necessario est (per Prop. 35 p. 1); ergo datur necessario talis idea, & (per Prop. 15 p. 1) non nisi in Deo. Q.E.D.

SCHOLIUM

Vulgus per Dei potentiam intelligit Dei liberam voluntatem, & jus in omnia, quae sunt, quaeque propterea communiter, ut contingentia, considerantur. Deum enim potestatem omnia destruendi habere dicunt, & in nihilum redigendi. Dei porro potentiam cum potentia Regum saepissime comparant. Sed hoc in Corollario 1 & 2 Propositionis 32 partis 1 refutavimus, & Propositione 16 partis 1 ostendimus, Deum eadem necessitate agere, qua seipsum intelligit, hoc est, sicuti ex necessitate divinae naturae sequitur (sicut omnes uno ore statuunt), ut Deus seipsum intelligat, eadem etiam necessitate sequitur, ut Deus infinita infinitis modis agat. Deinde Propositione 34 partis 1 ostendimus, Dei potentiam nihil esse, praeterquam Dei actuosam essentiam; adeoque tam nobis impossibile est concipere, Deum non agere, quam Deum non esse. Porro si haec ulterius persequi liberet, possem hic ulterius ostendere potentiam illam, quam vulgus Deo affingit, non tantum humanam esse (quod ostendit Deum hominem, vel instar hominis a vulgo concipi), sed etiam impotentiam involvere. Sed nolo de eadem re toties sermonem instituere. Lectorem solummodo iterum atque iterum rogo, ut, quae in prima parte, ex Propositione 16 usque ad finem de hac re dicta sunt, semel, atque iterum perpendat. Nam nemo ea, quae volo, percipere recte poterit, nisi magnopere caveat, ne Dei potentiam cum humana Regum potentia, vel jure confundat.

PROPOSITIO IV

Idea Dei, ex qua infinita infinitis modis sequuntur, unica tantum esse potest.

DEMONSTRATIO

Intellectus infinitus nihil, praeter Dei attributa, ejusque affectiones, comprehendit (per Prop. 30 p. 1). Atqui Deus est unicus (per Coroll. 1 Prop. 14 p. 1). Ergo idea Dei, ex qua infinita infinitis modis sequuntur, unica tantum esse potest. Q.E.D.

PROPOSITIO V

Esse formale idearum Deum, quatenus tantum, ut res cogitans, consideratur, pro causa agnoscit, & non, quatenus alio attributo explicatur. Hoc est, tam Dei attributorum, quam rerum singularium ideae non ipsa ideata, sive res perceptas pro causa efficiente agnoscunt, sed ipsum Deum, quatenus est res cogitans.

DEMONSTRATIO

Patet quidem ex Propositione 3 hujus. Ibi enim concludebamus, Deum ideam suae essentiae, & omnium, quae ex ea necessario sequuntur, formare posse ex hoc solo, nempe, quod Deus est res cogitans, & non ex eo, quod sit suae ideae objectum. Quare esse formale idearum Deum, quatenus est res cogitans, pro causa agnoscit.

Sed aliter hoc modo demonstratur. Esse formale idearum modus est cogitandi (ut per se notum), hoc est (per Coroll. Prop. 25 p. 1) modus, qui Dei naturam, quatenus est res cogitans, certo modo exprimit, adeoque (per Prop. 10 p. 1) nullius alterius attributi Dei conceptum involvit, & consequenter (per Axiom. 4 p. 1) nullius alterius attributi, nisi cogitationis, est effectus: adeoque esse formale idearum Deum, quatenus tantum, ut res cogitans, consideratur, &c. Q.E.D.

PROPOSITIO VI

Cujuscunque attributi modi Deum, quatenus tantum sub illo attributo, cujus modi sunt, & non, quatenus sub ullo alio consideratur, pro causa habent.

DEMONSTRATIO

Unumquodque enim attributum per se absque alio concipitur (per Prop. 10 p. 1). Quare uniuscujusque attributi modi conceptum sui attributi, non autem alterius involvunt; adeoque (per Axiom. 4 p. 1) Deum, quatenus tantum sub illo attributo, cujus modi sunt, & non, quatenus sub ullo alio consideratur, pro causa habent. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, quod esse formale rerum, quae modi non sunt cogitandi, non sequitur ideo ex divina natura, quia res prius cognovit, sed eodem modo, eademque necessitate res ideatae ex suis attributis consequuntur, & concluduntur, ac ideas ex attributo Cogitationis consequi ostendimus.

PROPOSITIO VII

Ordo, & connexio idearum idem est, ac ordo, & connexio rerum.

DEMONSTRATIO

Patet ex Axiom. 4 p. 1. Nam cujuscunque causati idea a cognitione causae, cujus est effectus, dependet.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, quod Dei cogitandi potentia aequalis est ipsius actuali agendi potentiae. Hoc est, quicquid ex infinita Dei natura sequitur formaliter, id omne ex Dei idea eodem ordine, eademque connexione sequitur in Deo objective.

SCHOLIUM

Hic, antequam ulterius pergamus, revocandum nobis in memoriam est id, quod supra ostendimus; nempe, quod quicquid ab infinito intellectu percipi potest, tanquam substantiae essentiam constituens, id omne ad unicam tantum substantiam pertinet, & consequenter quod substantia cogitans, & substantia extensa una, eademque est substantia, quae jam sub hoc, jam sub illo attributo comprehenditur. Sic etiam modus extensionis, & idea illius modi una, eademque est res, sed duobus modis expressa; quod quidam Hebraeorum quasi per nebulam vidisse videntur, qui scilicet statuunt, Deum, Dei intellectum, resque ab ipso intellectas unum, & idem esse. Ex. gr. circulus in natura existens, & idea circuli existentis, quae etiam in Deo est, una, eademque est res, quae per diversa attributa explicatur; & ideo sive naturam sub attributo Extensionis, sive sub attributo Cogitationis, sive sub alio quocunque concipiamus, unum, eundemque ordinem, sive unam, eandemque causarum connexionem, hoc est, easdem res invicem sequi reperiemus. Nec ulla alia de causa dixi, quod Deus sit causa ideae ex. gr. circuli, quatenus tantum est res cogitans, & circuli, quatenus tantum est res extensa, nisi quia esse formale ideae circuli non, nisi per alium cogitandi modum, tanquam causam proximam, & ille iterum per alium, & sic in infinitum, potest percipi, ita ut, quamdiu res, ut cogitandi modi considerantur, ordinem totius naturae, sive causarum connexionem, per solum Cogitationis attributum explicare debemus, & quatenus, ut modi Extensionis, considerantur, ordo etiam totius naturae per solum Extensionis attributum explicari debet, & idem de aliis attributis intelligo. Quare rerum, ut in se sunt, Deus revera est causa, quatenus infinitis constat attributis; nec impraesentiarum haec clarius possum explicare.

PROPOSITIO VIII

Ideae rerum singularium, sive modorum non existentium ita debent comprehendi in Dei infinita idea, ac rerum singularium, sive modorum essentiae formales in Dei attributis continentur.

DEMONSTRATIO

Haec Propositio patet ex praecedenti, sed intelligitur clarius ex praecedenti Scholio.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, quod, quamdiu res singulares non existunt, nisi quatenus in Dei attributis comprehenduntur, earum esse objectivum, sive ideae non existunt, nisi quatenus infinita Dei idea existit; & ubi res singulares dicuntur existere, non tantum quatenus in Dei attributis comprehenduntur, sed quatenus etiam durare dicuntur, earum ideae etiam existentiam, per quam durare dicuntur, involvent.

SCHOLIUM

Si quis ad uberiorem hujus rei explicationem exemplum desideret, nullum sane dare potero, quod rem, de qua hic loquor, utpote unicam, adaequate explicet; conabor tamen rem, ut fieri potest, illustrare. Nempe circulus talis est naturae, ut omnium linearum rectarum, in eodem sese invicem secantium, rectangula sub segmentis sint inter se aequalia; quare in circulo infinita inter se aequalia rectangula continentur: attamen nullum eorum potest dici existere, nisi quatenus circulus existit, nec etiam alicujus horum rectangulorum idea potest dici existere, nisi quatenus in circuli idea comprehenditur. Concipiantur jam ex infinitis illis duo tantum, nempe E & D existere.

Sane eorum etiam ideae jam non tantum existunt, quatenus solummodo in circuli idea comprehenduntur, sed etiam, quatenus illorum rectangulorum existentiam involvunt, quo fit, ut a reliquis reliquorum rectangulorum ideis distinguantur.

PROPOSITIO IX

Idea rei singularis, actu existentis, Deum pro causa habet, non quatenus infinitus est, sed quatenus alia rei singularis actu existentis idea affectus consideratur, cujus etiam Deus est causa, quatenus alia tertia affectus est, & sic in infinitum.

DEMONSTRATIO

Idea rei singularis, actu existentis, modus singularis cogitandi est, & a reliquis distinctus (per Coroll. & Schol. Prop. 8 hujus), adeoque (per Prop. 6 hujus) Deum, quatenus est tantum res cogitans, pro causa habet. At non (per Prop. 28 p. 1), quatenus est res absolute cogitans, sed quatenus alio cogitandi modo affectus consideratur, & hujus etiam Deus est causa, quatenus alio affectus est, & sic in infinitum. Atqui ordo, & connexio idearum (per Prop. 7 hujus) idem est, ac ordo, & connexio causarum; ergo unius singularis ideae alia idea, sive Deus, quatenus alia idea affectus consideratur, est causa, & hujus etiam, quatenus alia affectus est, & sic in infinitum. Q.E.D.

COROLLARIUM

Quicquid in singulari cujuscunque ideae objecto contingit, ejus datur in Deo cognitio, quatenus tantum ejusdem objecti ideam habet.

DEMONSTRATIO

Quicquid in objecto cujuscunque ideae contingit, ejus datur in Deo idea (per Prop. 3 hujus), non, quatenus infinitus est, sed quatenus alia rei singularis idea affectus consideratur (per Prop. praeced.), sed (per Prop: 7 hujus) ordo, & connexio idearum idem est, ac ordo, & connexio rerum; erit ergo cognitio ejus, quod in singulari aliquo objecto contingit, in Deo, quatenus tantum ejusdem objecti habet ideam. Q.E.D.

PROPOSITIO X

Ad essentiam hominis non pertinet esse substantiae, sive substantia formam hominis non constituit.

DEMONSTRATIO

Esse enim substantiae involvit necessariam existentiam (per Prop. 7 p. 1). Si igitur ad hominis essentiam pertinet esse substantiae, data ergo substantia, daretur necessario homo (per Defin. 2 hujus), & consequenter homo necessario existeret, quod (per Axiom. 1 hujus) est absurdum. Ergo &c. Q.E.D.

SCHOLIUM

Demonstratur etiam haec Propositio ex Propositione 5 p. 1 nempe, quod duae ejusdem naturae substantiae non dentur. Cum autem plures homines existere possint, ergo id, quod hominis formam constituit, non est esse substantiae. Patet praeterea haec Propositio ex reliquis substantiae proprietatibus, videlicet, quod substantia sit sua natura infinita, immutabilis, indivisibilis &c., ut facile unusquisque videre potest.

COROLLARIUM

Hinc sequitur essentiam hominis constitui a certis Dei attributorum modificationibus. Nam esse substantiae (per Prop. praeced. ) ad essentiam hominis non pertinet. Est ergo (per Prop. 15 p. 1) aliquid, quod in Deo est, & quod sine Deo nec esse, nec concipi potest, sive (per Coroll. Prop. 25 p. 1) affectio, sive modus, qui Dei naturam certo, & determinato modo exprimit.

SCHOLIUM

Omnes sane concedere debent, nihil sine Deo esse, neque concipi posse. Nam apud omnes in confesso est, quod Deus omnium rerum, tam earum essentiae, quam earum existentiae, unica est causa, hoc est, Deus non tantum est causa rerum secundum fieri, ut ajunt, sed etiam secundum esse. At interim plerique id ad essentiam alicujus rei pertinere dicunt, sine quo res nec esse, nec concipi potest; adeoque vel naturam Dei ad essentiam rerum creatarum pertinere, vel res creatas sine Deo vel esse, vel concipi posse credunt, vel, quod certius est, sibi non satis constant. Cujus rei causam fuisse credo, quod ordinem Philosophandi non tenuerint. Nam naturam divinam, quam ante omnia contemplari debebant, quia tam cognitione, quam natura prior est, ordine cognitionis ultimam, & res, quae sensuum objecta vocantur, omnibus priores esse crediderunt; unde factum est, ut, dum res naturales contemplati sunt, de nulla re minus cogitaverint, quam de divina natura, &, cum postea animum ad divinam naturam contemplandum appulerint, de nulla re minus cogitare potuerint, quam de primis suis figmentis, quibus rerum naturalium cognitionem superstruxerant; utpote quae ad cognitionem divinae naturae nihil juvare poterant; adeoque nihil mirum, si sibi passim contradixerint. Sed hoc mitto. Nam meum intentum hic tantum fuit, causam reddere, cur non dixerim, id ad essentiam alicujus rei pertinere, sine quo res nec esse, nec concipi potest; nimirum, quia res singulares non possunt sine Deo esse, nec concipi; & tamen Deus ad earum essentiam non pertinet; sed id necessario essentiam alicujus rei constituere dixi, quo dato res ponitur, & quo sublato res tollitur: vel id, sine quo res, & vice versa id, quod sine re nec esse, nec concipi potest.

PROPOSITIO XI

Primum, quod actuale Mentis humanae esse constituit, nihil aliud est, quam idea rei alicujus singularis actu existentis.

DEMONSTRATIO

Essentia hominis (per Coroll. Prop. praeced.) a certis Dei attributorum modis constituitur; nempe (per Axiom. 2 hujus) a modis cogitandi, quorum omnium (per Axiom. 3 hujus) idea natura prior est, &, ea data, reliqui modi (quibus scilicet idea natura prior est) in eodem debent esse individuo (per Axiom. 4 hujus). Atque adeo idea primum est, quod humanae Mentis esse constituit. At non idea rei non existentis. Nam tum (per Coroll. Prop. 8 hujus) ipsa idea non posset dici existere; erit ergo idea rei actu existentis. At non rei infinitae. Res namque infinita (per Prop. 21 & Prop. 23 p. 1) debet semper necessario existere; atqui hoc (per Axiom. 1 hujus) est absurdum; ergo primum, quod esse humanae Mentis actuale constituit, est idea rei singularis actu existentis. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur Mentem humanam partem esse infiniti intellectus Dei; ac proinde cum dicimus, Mentem humanam hoc, vel illud percipere, nihil aliud dicimus, quam quod Deus, non quatenus infinitus est, sed quatenus per naturam humanae Mentis explicatur, sive quatenus humanae Mentis essentiam constituit, hanc, vel illam habet ideam; & cum dicimus Deum hanc, vel illam ideam habere, non tantum, quatenus naturam humanae Mentis constituit, sed quatenus simul cum Mente humana alterius rei etiam habet ideam, tum dicimus Mentem humanam rem ex parte, sive inadaequate percipere.

SCHOLIUM

Hic sine dubio Lectores haerebunt, multaque comminiscentur, quae moram injiciant, & hac de causa ipsos rogo, ut lento gradu mecum pergant, nec de his judicium ferant, donec omnia perlegerint.

PROPOSITIO XII

Quicquid in objecto ideae, humanam Mentem constituentis, contingit, id ab humana Mente debet percipi, sive ejus rei dabitur in Mente necessario idea: Hoc est, si objectum ideae, humanam Mentem constituentis, sit corpus, nihil in eo corpore poterit contingere, quod a Mente non percipiatur.

DEMONSTRATIO

Quicquid enim in objecto cujuscunque ideae contingit, ejus rei datur necessario in Deo cognitio (per Coroll. Prop. 9 hujus), quatenus ejusdem objecti idea affectus consideratur, hoc est (per Prop. 11 hujus), quatenus mentem alicujus rei constituit. Quicquid igitur in objecto ideae, humanam Mentem constituentis, contingit, ejus datur necessario in Deo cognitio, quatenus naturam humanae Mentis constituit, hoc est (per Coroll. Prop. 11 hujus), ejus rei cognitio erit necessario in Mente, sive Mens id percipit. Q.E.D.

SCHOLIUM

Haec Propositio patet etiam, & clarius intelligitur ex Schol. Prop. 7 hujus, quod vide.

PROPOSITIO XIII

Objectum ideae, humanam Mentem constituentis, est Corpus, sive certus Extensionis modus actu existens, & nihil aliud.

DEMONSTRATIO

Si enim Corpus non esset humanae Mentis objectum, ideae affectionum Corporis non essent in Deo (per Coroll. Prop. 9 hujus), quatenus Mentem nostram, sed quatenus alterius rei mentem constitueret, hoc est (per Coroll. Prop. 11 hujus), ideae affectionum Corporis non essent in nostra Mente; atqui (per Axiom. 4 hujus) ideas affectionum corporis habemus. Ergo objectum ideae, humanam Mentem constituentis, est Corpus, idque (per Prop. 11 hujus) actu existens. Deinde, si praeter Corpus etiam aliud esset Mentis objectum, cum nihil (per Prop. 36 p. 1) existat, ex quo aliquis effectus non sequatur, deberet (per Prop. 12 hujus) necessario alicujus ejus effectus idea in Mente nostra dari; atqui (per Axiom. 5 hujus) nulla ejus idea datur. Ergo objectum nostrae Mentis est Corpus existens, & nihil aliud. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur hominem Mente, & Corpore constare, & Corpus humanum, prout ipsum sentimus, existere.

SCHOLIUM

Ex his non tantum intelligimus, Mentem humanam unitam esse Corpori, sed etiam, quid per Mentis, & Corporis unionem intelligendum sit. Verum ipsam adaequate, sive distincte intelligere nemo poterit, nisi prius nostri Corporis naturam adaequate cognoscat. Nam ea, quae hucusque ostendimus, admodum communia sunt, nec magis ad homines, quam ad reliqua Individua pertinent, quae omnia, quamvis diversis gradibus, animata tamen sunt. Nam cujuscunque rei datur necessario in Deo idea, cujus Deus est causa, eodem modo, ac humani Corporis ideae: atque adeo, quicquid de idea humani Corporis diximus, id de cujuscunque rei idea necessario dicendum est. Attamen nec etiam negare possumus, ideas inter se, ut ipsa objecta, differre, unamque alia praestantiorem esse, plusque realitatis continere, prout objectum unius objecto alterius praestantius est, plusque realitatis continet; ac propterea ad determinandum, quid Mens humana reliquis intersit, quidque reliquis praestet, necesse nobis est, ejus objecti, ut diximus, hoc est, Corporis humani naturam cognoscere. Eam autem hic explicare nec possum, nec id ad ea, quae demonstrare volo, necesse est. Hoc tamen in genere dico, quo Corpus aliquod reliquis aptius est ad plura simul agendum, vel patiendum, eo ejus Mens reliquis aptior est ad plura simul percipiendum; & quo unius corporis actiones magis ab ipso solo pendent, & quo minus alia corpora cum eodem in agendo concurrunt, eo ejus mens aptior est ad distincte intelligendum. Atque ex his praestantiam unius mentis prae aliis cognoscere possumus: deinde causam etiam videre, cur nostri Corporis non, nisi admodum confusam, habeamus cognitionem, & alia plura, quae in sequentibus ex his deducam. Qua de causa operae pretium esse duxi, haec ipsa accuratius explicare, & demonstrare, ad quod necesse est, pauca de natura corporum praemittere.

AXIOMA I

Omnia corpora vel moventur, vel quiescunt.

AXIOMA II

Unumquodque corpus jam tardius, jam celerius movetur.

LEMMA I

Corpora ratione motus, & quietis, celeritatis, & tarditatis, & non ratione substantiae ab invicem distinguuntur.

DEMONSTRATIO

Primam partem hujus per se notam suppono. At, quod ratione substantiae non distinguantur corpora, patet, tam ex Prop. 5 quam 8 p. 1. Sed clarius ex iis, quae in Schol. Prop. 15 p. 1 dicta sunt.

LEMMA II

Omnia corpora in quibusdam conveniunt.

DEMONSTRATIO

In his enim omnia corpora conveniunt, quod unius, ejusdemque attributi conceptum involvunt (per Defin. 1 hujus). Deinde, quod jam tardius, jam celerius, & absolute jam moveri, jam quiescere possunt.

LEMMA III

Corpus motum, vel quiescens ad motum, vel quietem determinari debuit ab alio corpore, quod etiam ad motum, vel quietem determinatum fuit ab alio, & illud iterum ab alio, & sic in infinitum.

DEMONSTRATIO

Corpora (per Defin. 1 hujus) res singulares sunt, quae (per Lem. 1) ratione motus, & quietis ab invicem distinguuntur; adeoque (per Prop. 28 p. 1) unumquodque ad motum, vel quietem necessario determinari debuit ab alia re singulari, nempe (per Prop. 6 hujus) ab alio corpore, quod (per Axiom. 1) etiam vel movetur, vel quiescit. At hoc etiam (per eandem rationem) moveri, vel quiescere non potuit, nisi ab alio ad motum, vel quietem determinatum fuisset, & hoc iterum (per eandem rationem) ab alio, & sic in infinitum. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur corpus motum tamdiu moveri, donec ab alio corpore ad quiescendum determinetur; & corpus quiescens tamdiu etiam quiescere, donec ab alio ad motum determinetur. Quod etiam per se notum est. Nam, cum suppono, corpus ex. gr. A quiescere, nec ad alia corpora mota attendo, nihil de corpore A dicere potero, nisi quod quiescat. Quod si postea contingat, ut corpus A moveatur, id sane evenire non potuit ex eo, quod quiescebat; ex eo enim nil aliud sequi poterat, quam ut corpus A quiesceret. Si contra supponatur A moveri, quotiescunque ad A tantum attendimus, nihil de eodem affirmare poterimus, nisi quod moveatur. Quod si postea contingat, ut A quiescat, id sane evenire etiam non potuit ex motu, quem habebat; ex motu enim nihil aliud sequi poterat, quam ut A moveretur: contingit itaque a re, quae non erat in A, nempe a causa externa, a qua ad quiescendum determinatum fuit.

AXIOMA I

Omnes modi, quibus corpus aliquod ab alio afficitur corpore, ex natura corporis affecti, & simul ex natura corporis afficientis sequuntur; ita ut unum, idemque corpus diversimode moveatur pro diversitate naturae corporum moventium, & contra ut diversa corpora ab uno, eodemque corpore diversimode moveantur.

AXIOMA II

Cum corpus motum alteri quiescenti, quod dimovere nequit, impingit, reflectitur, ut moveri pergat, & angulus lineae motus reflectionis cum plano corporis quiescentis, cui impegit, aequalis erit angulo, quem linea motus incidentiae cum eodem plano efficit.

Atque haec de corporibus simplicissimis, quae scilicet solo motu, & quiete, celeritate, & tarditate ab invicem distinguuntur: jam ad composita ascendamus.

DÉFINITION

Cum corpora aliquot ejusdem, aut diversae magnitudinis a reliquis ita coercentur, ut invicem incumbant, vel si eodem, aut diversis celeritatis gradibus moventur, ut motus suos invicem certa quadam ratione communicent, illa corpora invicem unita dicemus, & omnia simul unum corpus, sive Individuum componere, quod a reliquis per hanc corporum unionem distinguitur.

AXIOMA III

Quo partes Individui, vel corporis compositi secundum majores, vel minores superficies sibi invicem incumbunt, eo difficilius, vel facilius cogi possunt, ut situm suum mutent, & consequenter eo facilius, vel difficilius effici potest, ut ipsum Individuum aliam figuram induat. Atque hinc corpora, quorum partes secundum magnas superficies invicem incumbunt, dura, quorum autem partes secundum parvas, mollia, & quorum denique partes inter se moventur, fluida vocabo.

LEMMA IV

Si corporis, sive Individui, quod ex pluribus corporibus componitur, quaedam corpora segregentur, & simul totidem alia ejusdem naturae eorum loco succedant, retinebit Individuum suam naturam, uti antea, absque ulla ejus formae mutatione.

DEMONSTRATIO

Corpora enim (per Lem. 1) ratione substantiae non distinguuntur; id autem, quod formam Individui constituit, in corporum unione (per Defin. praeced.) consistit; atqui haec (per Hypothesin), tametsi corporum continua fiat mutatio, retinetur: retinebit ergo Individuum, tam ratione substantiae, quam modi, suam naturam, uti ante. Q.E.D.

LEMMA V

Si partes, Individuum componentes, majores, minoresve evadant, ea tamen proportione, ut omnes eandem, ut antea, ad invicem motus, & quietis rationem servent, retinebit itidem Individuum suam naturam, ut antea, absque ulla formae mutatione.

DEMONSTRATIO

Hujus eadem est, ac praecedentis Lemmatis.

LEMMA VI

Si corpora quaedam, Individuum componentia, motum, quem versus unam partem habent, aliam versus flectere cogantur, at ita, ut motus suos continuare possint, atque invicem eadam, qua antea, ratione communicare, retinebit itidem Individuum suam naturam, absque ulla formae mutatione.

DEMONSTRATIO

Per se patet. Id enim omne retinere supponitur, quod in ejusdem définitione formam ipsius constituere diximus.

LEMMA VII

Retinet praeterea Individuum, sic compositum, suam naturam, sive id secundum totum moveatur, sive quiescat, sive versus hanc, sive versus illam partem moveatur, dummodo unaquaeque pars motum suum retineat, eumque, uti antea, reliquis communicet.

DEMONSTRATIO

Patet ex ipsius définitione, quam vide ante Lem. 4.

SCHOLIUM

His itaque videmus, qua ratione Individuum compositum possit multis modis affici, ejus nihilominus natura servata. Atque hucusque Individuum concepimus, quod non, nisi ex corporibus, quae solo motu, & quiete, celeritate, & tarditate inter se distinguuntur, hoc est, quod ex corporibus simplicissimis componitur. Quod si jam aliud concipiamus, ex pluribus diversae naturae Individuis compositum, idem pluribus aliis modis posse affici, reperiemus, ipsius nihilominus natura servata. Nam quandoquidem ejus unaquaeque pars ex pluribus corporibus est composita, poterit ergo (per Lem. praeced.) unaquaeque pars, absque ulla ipsius naturae mutatione jam tardius, jam celerius moveri, & consequenter motus suos citius, vel tardius reliquis communicare. Quod si praeterea tertium Individuorum genus, ex his secundis compositum, concipiamus, idem multis aliis modis affici posse, reperiemus, absque ulla ejus formae mutatione. Et si sic porro in infinitum pergamus, facile concipiemus, totam naturam unum esse Individuum, cujus partes, hoc est, omnia corpora infinitis modis variant, absque ulla totius Individui mutatione. Atque haec, si animus fuisset, de corpore ex professo agere, prolixius explicare, & demonstrare debuissem. Sed jam dixi me aliud velle, nec alia de causa haec adferre, quam quia ex ipsis ea, quae demonstraxe constitui, facile possum deducere.

POSTULATA

I. Corpus humanum componitur ex plurimis (diversae naturae) individuis, quorum unumquodque valde compositum est.

II. Individuorum, ex quibus Corpus humanum componitur, quaedam fluida, quaedam mollia, & quaedam denique dura sunt.

III. Individua, Corpus humanum componentia, & consequenter ipsum humanum Corpus a corporibus externis plurimis modis afficitur.

IV. Corpus humanum indiget, ut conservetur, plurimis aliis corporibus, a quibus continuo quasi regeneratur.

V. Cum Corporis humani pars fluida a corpore externo determinatur, ut in aliam mollem saepe impingat, ejus planum mutat, & veluti quaedam corporis externi impellentis vestigia eidem imprimit.

VI. Corpus humanum potest corpora externa plurimis modis movere, plurimisque modis disponere.

PROPOSITIO XIV

Mens humana apta est ad plurima percipiendum, & eo aptior, quo ejus Corpus pluribus modis disponi potest.

DEMONSTRATIO

Corpus enim humanum (per Post. 3 & 6) plurimis modis a corporibus externis afficitur, disponiturque ad corpora externa plurimis modis afficiendum. At omnia, quae in Corpore humano contingunt (per Prop. 12 hujus), Mens humana percipere debet; est ergo Mens humana apta ad plurima percipiendum, & eo aptior. Q.E.D.

PROPOSITIO XV

Idea, quae esse formale humanae Mentis constituit, non est simplex, sed ex plurimis ideis composita.

DEMONSTRATIO

Idea, quae esse formale humanae Mentis constituit, est idea corporis (per Prop. 13 hujus), quod (per Post. 1) ex plurimis valde compositis Individuis componitur. At cujuscunque Individui, corpus componentis, datur necessario (per Coroll. Prop. 8 hujus) in Deo idea; ergo (per Prop. 7 hujus) idea Corporis humani ex plurimis hisce partium componentium ideis est composita. Q.E.D.

PROPOSITIO XVI

Idea cujuscunque modi, quo Corpus humanum a corporibus externis afficitur, involvere debet naturam Corporis humani, & simul naturam corporis externi.

DEMONSTRATIO

Omnes enim modi, quibus corpus aliquod afficitur, ex natura corporis affecti, & simul ex natura corporis afficientis sequuntur (per Axiom. 1 post Coroll. Lem. 3): quare eorum idea (per Axiom. 4 p. 1) utriusque corporis naturam necessario involvet; adeoque idea cujuscunque modi, quo Corpus humanum a corpore externo afficitur, Corporis humani, & corporis externi naturam involvit. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur primo Mentem humanam plurimorum corporum naturam una cum sui corporis natura percipere.

COROLLARIUM

Sequitur secundo, quod ideae, quas corporum externorum habemus, magis nostri corporis constitutionem, quam corporum externorum naturam indicant; quod in Appendice partis primae multis exemplis explicui.

PROPOSITIO XVII

Si humanum Corpus affectum est modo, qui naturam Corporis alicujus externi involvit, Mens humana idem corpus externum, ut actu existens, vel ut sibi praesens, contemplabitur, donec Corpus afficiatur affectu, qui ejusdem corporis existentiam, vel praesentiam secludat.

DEMONSTRATIO

Patet. Nam quamdiu Corpus humanum sic affectum est, tamdiu Mens humana (per Prop. 12 hujus) hanc corporis affectionem contemplabitur, hoc est (per Prop. praeced.), ideam habebit modi, actu existentis, quae naturam corporis externi involvit, hoc est, ideam, quae existentiam, vel praesentiam naturae corporis externi non secludit, sed ponit, adeoque Mens (per Coroll. 1 praeced.) corpus externum, ut actu existens, vel ut praesens, contemplabitur, donec afficiatur, &c. Q.E.D.

COROLLARIUM

Mens corpora externa, a quibus Corpus humanum semel affectum fuit, quamvis non existant, nec praesentia sint, contemplari tamen poterit, velut praesentia essent.

DEMONSTRATIO

Dum corpora externa Corporis humani partes fluidas ita determinant, ut in molliores saepe impingant, earum plana (per Post. 5) mutant, unde fit (vide Axiom. 2 post Coroll. Lem. 3), ut inde alio modo reflectantur, quam antea solebant, & ut etiam postea, iisdem novis planis spontaneo suo motu occurrendo, eodem modo reflectantur, ac cum a corporibus externis versus illa plana impulsae sunt, & consequenter, ut Corpus humanum, dum sic reflexae moveri pergunt, eodem modo afficiant, de quo Mens (per Prop. 12 hujus) iterum cogitabit, hoc est (per Prop. 17 hujus), Mens iterum corpus externum, ut praesens, contemplabitur; & hoc toties, quoties Corporis humani partes fluidae spontaneo suo motu iisdem planis occurrent. Quare, quamvis corpora externa, a quibus Corpus humanum affectum semel fuit, non existant, Mens tamen eadem toties, ut praesentia, contemplabitur, quoties haec corporis actio repetetur. Q.E.D.

SCHOLIUM

Videmus itaque, qui fieri potest, ut ea, quae non sunt, veluti praesentia contemplemur, ut saepe fit. Et fieri potest, ut hoc aliis de causis contingat; sed mihi hic sufficit ostendisse unam, per quam rem sic possem explicare, ac si ipsam per veram causam ostendissem; nec tamen credo, me a vera longe aberrare, quandoquidem omnia illa, quae sumpsi, postulata vix quicquam continent, quod non constet experientia, de qua nobis non licet dubitare, postquam ostendimus Corpus humanum, prout ipsum sentimus, existere (vide Coroll. post Prop. 13 hujus). Praeterea (ex Coroll. praeced. & Coroll. 2 Prop. 16 hujus) clare intelligimus, quaenam sit differentia inter ideam ex. gr. Petri, quae essentiam Mentis ipsius Petri constituit, & inter ideam ipsius Petri, quae in alio homine, puta in Paulo, est. Illa enim essentiam Corporis ipsius Petri directe explicat, nec existentiam involvit, nisi quamdiu Petrus existit; haec autem magis constitutionem corporis Pauli, quam Petri naturam indicat, & ideo, durante illa corporis Pauli constitutione, Mens Pauli, quam vis Petrus non existat, ipsum tamen, ut sibi praesentem contemplabitur. Porro, ut verba usitata retineamus, Corporis humani affectiones, quarum ideae Corpora externa, velut nobis praesentia repraesentant, rerum imagines vocabimus, tametsi rerum figuras non referunt. Et cum Mens hac ratione contemplatur corpara, eandem imaginari dicemus. Atque hic, ut, quid sit error, indicare incipiam, notetis velim, Mentis imaginationes in se spectatas, nihil erroris continere, sive Mentem ex eo, quod imaginatur, non errare; sed tantum, quatenus consideratur, carere idea, quae existentiam illarum rerum, quas sibi praesentes imaginatur, secludat. Nam si Mens, dum res non existentes, ut sibi praesentes, imaginatur, simul sciret, res illas revera non existere, hanc sane imaginandi potentiam virtuti suae naturae, non vitio tribueret; praesertim si haec imaginandi facultas a sola sua natura penderet, hoc est (per Defin. 7 p. 1), si haec Mentis imaginandi facultas libera esset.

PROPOSITIO XVIII

Si Corpus humanum a duobus, vel pluribus corporibus simul affectum fuerit semel, ubi Mens postea eorum aliquod imaginabitur, statim & aliorum recordabitur.

DEMONSTRATIO

Mens (per Coroll. praeced.) corpus aliquod ea de causa imaginatur, quia scilicet humanum Corpus a corporis externi vestigiis eodem modo afficitur, disponiturque, ac affectum est, cum quaedam ejus partes ab ipso corpore externo fuerunt impulsae: sed (per Hypothesin) Corpus tum ita fuit dispositum, ut Mens duo simul corpora imaginaretur; ergo jam etiam duo simul imaginabitur, atque Mens ubi alterutrum imaginabitur, statim & alterius recordabitur. Q.E.D.

SCHOLIUM

Hinc clare intelligimus, quid sit Memoria. Est enim nihil aliud, quam quaedam concatenatio idearum, naturam rerum, quae extra Corpus humanum sunt, involventium, quae in Mente fit secundum ordinem, & concatenationem affectionum Corporis humani. Dico primo concatenationem esse illarum tantum idearum, quae naturam rerum, quae extra Corpus humanum sunt, involvunt; non autem idearum, quae earundem rerum naturam explicant. Sunt enim revera (per Prop. 16 hujus) ideae affectionum Corporis humani, quae tam hujus, quam corporum externorum naturam involvunt. Dico secundo hanc concatenationem fieri secundum ordinem, & concatenationem affectionum Corporis humani, ut ipsam distinguerem a concatenatione idearum, quae fit secundum ordinem intellectus, quo res per primas suas causas Mens percipit, & qui in omnibus hominibus idem est. Atque hinc porro clare intelligimus, cur Mens ex cogitatione unius rei statim in alterius rei cogitationem incidat, quae nullam cum priore habet similitudinem; ut, ex. gr. ex cogitatione vocis pomi homo Romanus statim in cogitationem fructus incidit, qui nullam cum articulato illo sono habet similitudinem, nec aliquid commune, nisi quod ejusdem hominis Corpus ab his duobus affectum saepe fuit, hoc est, quod ipse homo saepe vocem pomum audivit, dum ipsum fructum videret, & sic unusquisque ex una in aliam cogitationem incidet, prout rerum imagines uniuscujusque consuetudo in corpore ordinavit. Nam miles ex. gr. visis in arena equi vestigiis statim ex cogitatione equi in cogitationem equitis, & inde in cogitationem belli, &c. incidet. At Rusticus ex cogitatione equi in cogitationem aratri, agri, &c. incidet, & sic unusquisque, prout rerum imagines consuevit hoc, vel alio modo jungere, & concatenare, ex una in hanc, vel in aliam incidet cogitationem.

PROPOSITIO XIX

Mens humana ipsum humanum Corpus non cognoscit, nec ipsum existere scit, nisi per ideas affectionum, quibus Corpus afficitur.

DEMONSTRATIO

Mens enim humana est ipsa idea, sive cognitio Corporis humani (per Prop. 13 hujus), quae (per Prop. 9 hujus) in Deo quidem est, quatenus alia rei singularis idea affectus consideratur; vel quia (per Post. 4) Corpus humanum plurimis corporibus indiget, a quibus continuo quasi regeneratur; & ordo, & connexio idearum idem est (per Prop. 7 hujus), ac ordo, & connexio causarum; erit haec idea in Deo, quatenus plurimarum rerum singularium ideis affectus consideratur. Deus itaque ideam Corporis humani habet, sive Corpus humanum cognoscit, quatenus plurimis aliis ideis affectus est, & non quatenus naturam humanae Mentis constituit; hoc est (per Coroll. Prop. 11 hujus), Mens humana Corpus humanum non cognoscit. At ideae affectionum Corporis in Deo sunt, quatenus humanae Mentis naturam constituit, sive Mens humana easdem affectiones percipit (per Prop. 12 hujus), & consequenter (per Prop. 16 hujus) ipsum Corpus humanum, idque (per Prop. 17 hujus), ut actu existens; percipit ergo eatenus tantum Mens humana ipsum humanum Corpus. Q.E.D.

PROPOSITIO XX

Mentis humanae datur etiam in Deo idea, sive cognitio, quae in Deo eodem modo sequitur, & ad Deum eodem modo refertur, ac idea sive cognitio Corporis humani.

DEMONSTRATIO

Cogitatio attributum Dei est (per Prop. 1 hujus), adeoque (per Prop. 3 hujus) tam ejus, quam omnium ejus affectionum, & consequenter (per Prop. 11 hujus) Mentis etiam humanae debet necessario in Deo dari idea. Deinde haec Mentis idea, sive cognitio non sequitur in Deo dari, quatenus infinitus, sed quatenus alia rei singularis idea affectus est (per Prop. 9 hujus). Sed ordo, & connexio idearum idem est, ac ordo, & connexio causarum (per Prop. 7 hujus); sequitur ergo haec Mentis idea, sive cognitio in Deo, & ad Deum eodem modo refertur, ac idea, sive cognitio Corporis. Q.E.D.

PROPOSITIO XXI

Haec Mentis idea eodem modo unita est Menti, ac ipsa Mens unita est Corpori.

DEMONSTRATIO

Mentem unitam esse Corpori ex eo ostendimus, quod scilicet Corpus Mentis sit objectum (vide Prop. 12 & Prop. 13 hujus): adeoque per eandem illam rationem idea Mentis cum suo objecto, hoc est, cum ipsa Mente eodem modo unita esse debet, ac ipsa Mens unita est Corpori. Q.E.D.

SCHOLIUM

Haec Propositio longe clarius intelligitur ex dictis in Schol. Prop. 7 hujus; ibi enim ostendimus Corporis ideam, & Corpus, hoc est (per Prop. 13 hujus) Mentem, & Corpus unum, & idem esse Individuum, quod jam sub Cogitationis, jam sub Extensionis attributo concipitur; quare Mentis idea, & ipsa Mens una, eademque est res, quae sub uno, eodemque attributo, nempe Cogitationis, concipitur. Mentis, inquam, idea, & ipsa Mens in Deo eadem necessitate ex eadem cogitandi potentia sequuntur dari. Nam revera idea Mentis, hoc est, idea ideae nihil aliud est, quam forma ideae, quatenus haec, ut modus cogitandi, absque relatione ad objectum consideratur; simulac enim quis aliquid scit, eo ipso scit, se id scire, & simul scit, se scire, quod scit, & sic in infinitum. Sed de his postea.

PROPOSITIO XXII

Mens humana non tantum Corporis affectiones, sed etiam harum affectionum ideas percipit.

DEMONSTRATIO

Affectionum idearum ideae in Deo eodem modo sequuntur, & ad Deum eodem modo referuntur, ac ipsae affectionum ideae; quod eodem modo demonstratur, ac Propositio 20 hujus. At ideae affectionum Corporis in Mente humana sunt (per Prop. 12 hujus), hoc est (per Coroll. Prop. 11 hujus), in Deo, quatenus humanae Mentis essentiam constituit; ergo harum idearum ideae in Deo erunt, quatenus humanae Mentis cognitionem, sive ideam habet, hoc est (per Prop. 21 hujus), in ipsa Mente humana, quae propterea non tantum Corporis affectiones, sed earum etiam ideas percipit. Q.E.D.

PROPOSITIO XXIII

Mens se ipsam non cognoscit, nisi quatenus Corporis affectionum ideas percipit.

DEMONSTRATIO

Mentis idea, sive cognitio (per Prop. 20 hujus) in Deo eodem modo sequitur, & ad Deum eodem modo refertur, ac corporis idea, sive cognitio. At quoniam (per Prop. 19 hujus) Mens humana ipsum humanum Corpus non cognoscit, hoc est (per Coroll. Prop. 11 hujus), quoniam cognitio Corporis humani ad Deum non refertur, quatenus humanae Mentis naturam constituit; ergo nec cognitio Mentis ad Deum refertur, quatenus essentiam Mentis humanae constituit; atque adeo (per idem Coroll. Prop. 11 hujus) Mens humana eatenus se ipsam non cognoscit. Deinde affectionum, quibus Corpus afficitur, ideae naturam ipsius Corporis humani involvunt (per Prop. 16 hujus), hoc est (per Prop. 13 hujus), cum natura Mentis conveniunt; quare harum idearum cognitio cognitionem Mentis necessario involvet: at (per Prop. praeced.) harum idearum cognitio in ipsa humana Mente est; ergo Mens humana eatenus tantum se ipsam novit. Q.E.D.

PROPOSITIO XXIV

Mens humana partium, Corpus humanum componentium, adaequatam cognitionem non involvit.

DEMONSTRATIO

Partes, Corpus humanum componentes, ad essentiam ipsius Corporis non pertinent, nisi quatenus motus suos certa quadam ratione invicem communicant (vide Defin. post Coroll. Lem. 3), & non quatenus, ut Individua, absque relatione ad humanum Corpus considerari possunt. Sunt enim partes humani Corporis (per Post. 1) valde composita Individua, quorum partes (per Lem. 4) a Corpore humano, servata omnino ejusdem natura, & forma, segregari possunt, motusque suos (vide Axiom. 1 et 2 post Lem. 3) aliis corporibus alia ratione communicare; adeoque (per Prop. 3 hujus) cujuscunque partis idea, sive cognitio in Deo erit, & quidem (per Prop. 9 hujus), quatenus affectus consideratur alia idea rei singularis, quae res singularis ipsa parte, ordine naturae, prior est (per Prop. 7 hujus). Quod idem praeterea etiam de quacunque parte ipsius Individui, Corpus humanum componentis, est dicendum; adeoque cujuscunque partis, Corpus humanum componentis, cognitio in Deo est, quatenus plurimis rerum ideis affectus est, & non quatenus Corporis humani tantum habet ideam, hoc est (per Prop. 13 hujus) ideam, quae humanae Mentis naturam constituit; atque adeo (per Coroll. Prop. 11 hujus) humana Mens partium, Corpus humanum componentium, adaequatam cognitionem non involvit. Q.E.D.

PROPOSITIO XXV

Idea cujuscunque affectionis Corporis humani adaequatam corporis externi cognitionem non involvit.

DEMONSTRATIO

Ideam affectionis Corporis humani eatenus corporis externi naturam involvere ostendimus (vide Prop. 16 hujus), quatenus externum ipsum humanum Corpus certo quodam modo determinat. At quatenus externum corpus Individuum est, quod ad Corpus humanum non refertur, ejus idea, sive cognitio in Deo est (per Prop. 9 hujus), quatenus Deus affectus consideratur alterius rei idea, quae (per Prop. 7 hujus) ipso corpore externo prior est natura. Quare corporis externi adaequata cognitio in Deo non est, quatenus ideam affectionis humani Corporis habet, sive idea affectionis Corporis humani adaequatam corporis externi cognitionem non involvit. Q.E.D.

PROPOSITIO XXVI

Mens humana nullum corpus externum, ut actu existens, percipit, nisi per ideas affectionum sui Corporis.

DEMONSTRATIO

Si a corpore aliquo externo Corpus humanum nullo modo affectum est, ergo (per Prop. 7 hujus) nec idea Corporis humani, hoc est (per Prop. 13 hujus), nec Mens humana idea existentiae illius corporis ullo etiam modo affecta est, sive existentiam illius corporis externi ullo modo percipit. At quatenus Corpus humanum a corpore aliquo externo aliquo modo afficitur, eatenus (per Prop. 16 hujus cum Coroll. 1 ejusdem) corpus externum percipit. Q.E.D.

COROLLARIUM

Quatenus Mens humana corpus externum imaginatur, eatenus adaequatam ejus cognitionem non habet.

DEMONSTRATIO

Cum Mens humana per ideas affectionum sui Corporis corpora externa contemplatur, eandem tum imaginari dicimus (vide Schol. Prop. 17 hujus); nec Mens alia ratione (per Prop. praeced.) corpora externa, ut actu existentia, imaginari potest. Atque adeo (per Prop. 25 hujus) quatenus Mens corpora externa imaginatur, eorum adaequatam cognitionem non habet. Q.E.D.

PROPOSITIO XXVII

Idea cujuscunque affectionis Corporis humani adaequatam ipsius humani Corporis cognitionem non involvit.

DEMONSTRATIO

Quaelibet idea cujuscunque affectionis humani Corporis eatenus naturam Corporis humani involvit, quatenus ipsum humanum Corpus certo quodam modo affici consideratur (vide Prop. 16 hujus). At quatenus Corpus humanum Individuum est, quod multis aliis modis affici potest, ejus idea, &c. Vide Demonstrat. Prop. 25 hujus.

PROPOSITIO XXVIII

Ideae affectionum Corporis humani, quatenus ad humanam Mentem tantum referuntur, non sunt clarae, & distinctae, sed confusae.

DEMONSTRATIO

Ideae enim affectionum Corporis humani, tam corporum externorum, quam ipsius humani Corporis naturam involvunt (per Prop. 16 hujus), nec tantum Corporis humani, sed ejus etiam partium naturam involvere debent; affectiones namque modi sunt (per Post. 3), quibus partes Corporis humani, & consequenter totum Corpus afficitur. At (per Prop. 24 & 25 hujus) corporum externorum adaequata cognitio, ut & partium, Corpus humanum componentium, in Deo non est, quatenus humana Mente, sed quatenus aliis ideis affectus consideratur. Sunt ergo hae affectionum ideae, quatenus ad solam humanam Mentem referuntur, veluti consequentiae absque praemissis, hoc est (ut per se notum), ideae confusae. Q.E.D.

SCHOLIUM

Idea, quae naturam Mentis humanae constituit, demonstratur eodem modo non esse, in se sola considerata, clara, & distincta; ut etiam idea Mentis humanae, & ideae idearum affectionum Corporis humani, quatenus ad solam Mentem referuntur, quod unusquisque facile videre potest.

PROPOSITIO XXIX

Idea ideae cujuscunque affectionis Corporis humani adaequatam humanae Mentis cognitionem non involvit.

DEMONSTRATIO

Idea enim affectionis Corporis humani (per Prop. 27 hujus) adaequatam ipsius Corporis cognitionem non involvit, sive ejus naturam adaequate non exprimit, hoc est (per Prop. 13 hujus), cum natura Mentis non convenit adaequate; adeoque (per Axiom. 6 p. 1) hujus ideae idea adaequate humanae Mentis naturam non exprimit, sive adaequatam ejus cognitionem non involvit. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, Mentem humanam, quoties ex communi naturae ordine res percipit, nec sui ipsius, nec sui Corporis, nec corporum externorum adaequatam, sed confusam tantum, & mutilatam habere cognitionem. Nam Mens se ipsam non cognoscit, nisi quatenus ideas affectionum corporis percipit (per Prop. 23 hujus). Corpus autem suum (per Prop. 19 hujus) non percipit, nisi per ipsas affectionum ideas, per quas etiam tantum (per Prop. 26 hujus) corpora externa percipit; atque adeo, quatenus eas habet, nec sui ipsius (per Prop. 29 hujus), nec sui Corporis (per Prop. 27 hujus), nec corporum externorum (per Prop. 25 hujus) habet adaequatam cognitionem, sed tantum (per Prop. 28 hujus cum ejus Schol.) mutilatam, & confusam. Q.E.D.

SCHOLIUM

Dico expresse, quod Mens nec sui ipsius, nec sui Corporis, nec corporum externorum adaequatam, sed confusam tantum, cognitionem habeat, quoties ex communi naturae ordine res percipit, hoc est, quoties externe, ex rerum nempe fortuito occursu, determinatur ad hoc, vel illud contemplandum, & non quoties interne, ex eo scilicet, quod res plures simul contemplatur, determinatur ad earundem convenientias, differentias, & oppugnantias intelligendum; quoties enim hoc, vel alio modo interne disponitur, tum res clare, & distincte contemplatur, ut infra ostendam.

PROPOSITIO XXX

Nos de duratione nostri Corporis nullam, nisi admodum inadaequatam cognitionem habere possumus.

DEMONSTRATIO

Nostri corporis duratio ab ejus essentia non dependet (per Axiom. 1 hujus), nec etiam ab absoluta Dei natura (per Prop. 21 p. 1). Sed (per Prop. 28 p. 1) ad existendum, & operandum determinatur a talibus causis, quae etiam ab aliis determinatae sunt ad existendum, & operandum certa, ac determinata ratione, & hae iterum ab aliis, & sic in infinitum. Nostri igitur Corporis duratio a communi naturae ordine, & rerum constitutione pendet. Qua autem ratione constitutae sint, ejus rei adaequata cognitio datur in Deo, quatenus earum omnium ideas, & non quatenus tantum humani Corporis ideam habet (per Coroll. Prop. 9 hujus), quare cognitio durationis nostri Corporis est in Deo admodum inadaequata, quatenus tantum naturam Mentis humanae constituere consideratur, hoc est (per Coroll. Prop. 11 hujus), haec cognitio est in nostra Mente admodum inadaequata. Q.E.D.

PROPOSITIO XXXI

Nos de duratione rerum singularium, quae extra nos sunt, nullam, nisi admodum inadaequatam cognitionem habere possumus.

DEMONSTRATIO

Unaquaeque enim res singularis, sicuti humanum Corpus, ab alia re singulari determinari debet ad existendum, & operandum certa, ac determinata ratione; & haec iterum ab alia, & sic in infinitum (per Prop. 28 p. 1). Cum autem ex hac communi rerum singularium proprietate in praecedenti Prop. demonstraverimus, nos de duratione nostri Corporis non, nisi admodum inadaequatam cognitionem habere; ergo hoc idem de rerum singularium duratione erit concludendum, quod scilicet ejus non, nisi admodum inadaequatam cognitionem habere possumus. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, omnes res particulares contingentes, & corruptibiles esse. Nam de earum duratione nullam adaequatam cognitionem habere possumus (per Prop. praeced.), & hoc est id, quod per rerum contingentiam, & corruptionis possibilitatem nobis est intelligendum (vide Schol. 1 Prop. 33 p. 1). Nam (per Prop. 29 p. 1) praeter hoc nullum datur contingens.

PROPOSITIO XXXII

Omnes ideae, quatenus ad Deum referuntur, verae sunt.

DEMONSTRATIO

Omnes enim ideae, quae in Deo sunt, cum suis ideatis omnino conveniunt (per Coroll. Prop. 7 hujus), adeoque (per Axiom. 6 p. 1) omnes verae sunt. Q.E.D.

PROPOSITIO XXXIII

Nihil in ideis positivum est, propter quod falsae dicuntur.

DEMONSTRATIO

Si negas, concipe, si fieri potest, modum positivum cogitandi, qui formam erroris, sive falsitatis constituat. Hic cogitandi modus non potest esse in Deo (per Prop. praeced.); extra Deum autem etiam nec esse, nec concipi potest (per Prop. 15 p. 1). Atque adeo nihil potest dari positivum in ideis, propter quod falsae dicuntur. Q.E.D.

PROPOSITIO XXXIV

Omnis idea, quae in nobis est absoluta, sive adaequata, & perfecta, vera est.

DEMONSTRATIO

Cum dicimus, dari in nobis ideam adaequatam, & perfectam, nihil aliud dicimus (per Coroll. Prop. 11 hujus), quam quod in Deo, quatenus nostrae Mentis essentiam constituit, detur idea adaequata, & perfecta, & consequenter (per Prop. 32 hujus), nihil aliud dicimus, quam quod talis idea sit vera. Q.E.D.

PROPOSITIO XXXV

Falsitas consistit in cognitionis privatione, quam ideae inadaequatae, sive mutilatae, & confusae involvunt.

DEMONSTRATIO

Nihil in ideis positivum datur, quod falsitatis formam constituat (per Prop. 33 hujus); at falsitas in absoluta privatione consistere nequit (Mentes enim, non Corpora errare, nec falli dicuntur), neque etiam in absoluta ignorantia; diversa enim sunt, ignorare, & errare; quare in cognitionis privatione, quam rerum inadaequata cognitio, sive ideae inadaequatae, & confusae involvunt, consistit. Q.E.D.

SCHOLIUM

In Scholio Prop. 17 hujus Partis explicui, qua ratione error in cognitionis privatione consistit; sed ad uberiorem hujus rei explicationem exemplum dabo. Nempe, falluntur homines, quod se liberos esse putant, quae opinio in hoc solo consistit, quod suarum actionum sint conscii, & ignari causarum, a quibus determinantur. Haec ergo est eorum libertatis idea, quod suarum actionum nullam cognoscant causam. Nam quod ajunt, humanas actiones a voluntate pendere, verba sunt, quorum nullam habent ideam. Quid enim voluntas sit, & quomodo moveat Corpus, ignorant omnes, qui aliud jactant, <&> animae sedes, & habitacula fingunt, vel risum, vel nauseam movere solent. Sic cum solem intuemur, eum ducentos circiter pedes a nobis distare imaginamur, qui error in hac sola imaginatione non consistit, sed in eo, quod dum ipsum sic imaginamur, veram ejus distantiam, & hujus imaginationis causam ignoramus. Nam tametsi postea cognoscamus, eundem ultra 600 terrae diametros a nobis distare, ipsum nihilominus prope adesse imaginabimur; nan enim solem adeo propinquum imaginamur, propterea quod veram ejus distantiam ignoramus, sed propterea, quod affectio nostri corporis essentiam solis involvit, quatenus ipsum corpus ab eodem afficitur.

PROPOSITIO XXXVI

Ideae inadaequatae, & confusae eadem necessitate consequuntur, ac adaequatae, sive clarae, ac distinctae ideae.

DEMONSTRATIO

Ideae omnes in Deo sunt (per Prop. 15 p. 1); &, quatenus ad Deum referuntur, sunt verae (per Prop. 32 hujus), & (per Coroll. Prop. 7 hujus) adaequatae; adeoque nullae inadaequatae, nec confusae sunt; nisi quatenus ad singularem alicujus Mentem referuntur (qua de re vide Prop. 24 & Prop. 28 hujus): adeoque omnes tam adaequatae, quam inadaequatae eadem necessitate (per Coroll. Prop. 6 hujus) consequuntur. Q.E.D.

PROPOSITIO XXXVII

Id, quod omnibus commune (de his vide supra Lem. 2), quodque aeque in parte, ac in toto est, nullius rei singularis essentiam constituit.

DEMONSTRATIO

Si negas, concipe, si fieri potest, id essentiam alicujus rei singularis constituere; nempe, essentiam B. Ergo (per Defin. 2 hujus) id sine B non poterit esse, neque concipi; atqui hoc est contra Hypothesin: Ergo id ad essentiam B non pertinet, nec alterius rei singularis essentiam constituit. Q.E.D.

PROPOSITIO XXXVIII

Illa, quae omnibus communia, quaeque aeque in parte, ac in toto sunt, non possunt concipi, nisi adaequate.

DEMONSTRATIO

Sit A aliquid, quod omnibus corporibus commune, quodque aeque in parte cujuscunque corporis, ac in toto est. Dico A non posse concipi, nisi adaequate. Nam ejus idea (per Coroll. Prop. 7 hujus) erit necessario in Deo adaequata, tam quatenus ideam Corporis humani, quam quatenus ideas habet ejusdem affectionum, quae (per Prop. 16, 25 & 27 hujus) tam Corporis humani, quam corporum externorum naturam ex parte involvunt, hoc est (per Prop. 12 & 13 hujus), haec idea erit necessario in Deo adaequata, quatenus Mentem humanam constituit, sive quatenus ideas habet, quae in Mente humana sunt; Mens igitur (per Coroll. Prop. 11 hujus) A necessario adaequate percipit, idque tam quatenus se, quam quatenus suum, vel quodcunque externum corpus percipit, nec A alio modo potest concipi. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, dari quasdam ideas, sive notiones omnibus hominibus communes. Nam (per Lem. 2) omnia corpora in quibusdam conveniunt, quae (per Prop. praeced.) ab omnibus debent adaequate, sive clare, & distincte percipi.

PROPOSITIO XXXIX

Id, quod Corpori humano, & quibusdam corporibus externis, a quibus Corpus humanum affici solet, quodque in cujuscunque horum parte aeque, ac in toto commune est, & proprium, ejus etiam idea erit in Mente adaequata.

DEMONSTRATIO

Sit A id, quod Corpori humano, & quibusdam corporibus externis commune est, & proprium, quodque aeque in humano Corpore, ac in iisdem corporibus externis, & quod denique aeque in cujuscunque corporis externi parte, ac in toto est. Ipsius A dabitur in Deo idea adaequata (per Coroll. Prop. 7 hujus), tam quatenus ideam Corporis humani, quam quatenus positorum corporum externorum ideas habet. Ponatur jam humanum Corpus a corpore externo affici per id, quod cum eo habet commune, hoc est, ab A, hujus affectionis idea proprietatem A involvet (per Prop. 16 hujus), atque adeo (per idem Coroll. Prop. 7 hujus) idea hujus affectionis, quatenus proprietatem A involvit, erit in Deo adaequata, quatenus idea Corporis humani affectus est, hoc est (per Prop. 13 hujus), quatenus Mentis humanae naturam constituit; adeoque (per Coroll. Prop. 11 hujus) haec idea est etiam in Mente humana adaequata. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, quod Mens eo aptior est ad plura adaequate percipiendum, quo ejus Corpus plura habet cum aliis corporibus communia.

PROPOSITIO XL

Quaecunque ideae in Mente sequuntur ex ideis, quae in ipsa sunt adaequatae, sunt etiam adaequatae.

DEMONSTRATIO

Patet. Nam cum dicimus, in Mente humana ideam sequi ex ideis, quae in ipsa sunt adaequatae, nihil aliud dicimus (per Coroll. Prop. 11 hujus), quam quod in ipso Divino intellectu detur idea, cujus Deus est causa, non quatenus infinitus est, nec quatenus plurimarum rerum singularium ideis affectus est, sed quatenus tantum humanae Mentis essentiam constituit.

SCHOLIUM I

His causam notionum, quae Communes vocantur, quaeque ratiocinii nostri fundamenta sunt, explicui. Sed aliae quorundam axiomatum, sive notionum causae dantur, quas hac nostra methodo explicare e re foret; ex iis namque constaret, quaenam notiones prae reliquis utiliores, quaenam vero vix ullius usus essent. Deinde quaenam communes, & quaenam iis tantum, qui praejudiciis non laborant, clarae, & distinctae, & quaenam denique male fundatae sint. Praeterea constaret, unde notiones illae, quas Secundas vocant, & consequenter axiomata, quae in iisdem fundantur, suam duxerunt originem, & alia, quae circa haec aliquando meditatus sum. Sed quoniam haec alii dicavi Tractatui, & etiam, ne propter nimiam hujus rei prolixitatem, fastidium crearem, hac re hic supersedere decrevi. Attamen ne quid horum omittam, quod scitu necessarium sit, causas breviter addam, ex quibus termini, Transcendentales dicti, suam duxerunt originem, ut Ens, Res, aliquid. Hi termini ex hoc oriuntur, quod scilicet humanum Corpus, quandoquidem limitatum est, tantum est capax certi imaginum numeri (quid imago sit, explicui in Schol. Prop. 17 hujus) in se distincte simul formandi, qui si excedatur, hae imagines confundi incipient, & si hic imaginum numerus, quarum Corpus est capax, ut eas in se simul distincte formet, longe excedatur, omnes inter se plane confundentur. Cum hoc ita se habeat, patet ex Coroll. Prop. 17 & Prop. 18 hujus, quod Mens humana tot corpora distincte simul imaginari poterit, quot in ipsius corpore imagines possunt simul formari. At, ubi imagines in corpore plane confunduntur, Mens etiam omnia corpora confuse sine ulla distinctione imaginabitur, & quasi sub uno attributo comprehendet, nempe sub attributo Entis, Rei, &c. Potest hoc etiam ex eo deduci, quod imagines non semper aeque vigeant, & ex aliis causis his analogis, quas hic explicare non est opus; nam ad nostrum, ad quem collimamus, scopum unam tantum sufficit considerare. Nam omnes huc redeunt, quod hi termini ideas significent summo gradu confusas. Ex similibus deinde causis ortae sunt notiones illae, quas Universales vocant, ut Homo, Equus, Canis &c. Videlicet, quia in Corpore humano tot imagines, ex gr. hominum formantur simul, ut vim imaginandi, non quidem penitus, sed eo usque tamen superent, ut singulorum parvas differentias (videlicet uniuscujusque colorem, magnitudinem, &c.), eorumque determinatum numerum Mens imaginari nequeat, & id tantum, in quo omnes, quatenus corpus ab iisdem afficitur, conveniunt, distincte imaginetur; nam ab eo corpus maxime, scilicet ab unoquoque singulari, affectum fuit; atque hoc nomine hominis exprimit, hocque de infinitis singularibus praedicat. Nam singularium determinatum numerum, ut diximus, imaginari nequit. Sed notandum, has notiones non ab omnibus eodem modo formari; sed apud unumquemque variare pro ratione rei, a qua corpus affectum saepius fuit, quamque facilius Mens imaginatur, vel recordatur. Ex. gr. qui saepius cum admiratione hominum staturam contemplati sunt, sub nomine hominis intelliget animal erectae staturae; qui vero aliud assueti sunt contemplari, aliam hominum communem imaginem formabunt, nempe, hominem esse animal risibile, animal bipes, sine plumis, animal rationale; & sic de reliquis unusquisque pro dispositione sui corporis rerum universales imagines formabit. Quare non mirum est, quod inter Philosophos, qui res naturales per solas rerum imagines explicare voluerunt, tot sint ortae controversiae.

SCHOLIUM II

Ex omnibus supra dictis clare apparet, nos multa percipere, & notiones universales formare Iº. Ex singularibus, nobis per sensus mutilate, confuse, & sine ordine ad intellectum repraesentatis (vide Coroll. Prop. 29 hujus): & ideo tales perceptiones cognitionem ab experientia vaga vocare consuevi. IIº. Ex signis, ex. gr. ex eo, quod auditis, aut lectis quibusdam verbis rerum recordemur, & earum quasdam ideas formemus similes iis, per quas res imaginamur (vide Schol. Prop. 18 hujus). Utrumque hunc res contemplandi modum cognitionem primi generis, opinionem, vel imaginationem in posterum vocabo. IIIº. Denique ex eo, quod notiones communes, rerumque proprietatum ideas adaequatas habemus (vide Coroll. Prop. 38 & Prop. 39 cum ejus Coroll. & Prop. 40 hujus); atque hunc rationem, & secundi generis cognitionem vocabo. Praeter haec duo cognitionis genera datur, ut in sequentibus ostendam, aliud tertium, quod scientiam intuitivam vocabimus. Atque hoc cognoscendi genus procedit ab adaequata idea essentiae formalis quorundam Dei attributorum ad adaequatam cognitionem essentiae rerum. Haec omnia unius rei exemplo explicabo. Dantur ex. gr. tres numeri, ad quartum obtinendum, qui sit ad tertium, ut secundus ad primum. Non dubitant mercatores secundum in tertium ducere, & productum per primum dividere; quia scilicet ea, quae a magistro absque ulla demonstratione audiverunt, nondum tradiderunt oblivioni, vel quia id saepe in numeris simplicissimis experti sunt, vel ex vi Demonstrationis Prop. 19 lib. 7 Euclid., nempe ex communi proprietate proportionalium. At in numeris simplicissimis nihil horum opus est. Ex. gr. datis numeris 1, 2, 3 nemo non videt, quartum numerum proportionalem esse 6 atque hoc multo clarius, quia ex ipsa ratione, quam primum ad secundum habere uno intuitu videmus, ipsum quartum concludimus.

PROPOSITIO XLI

Cognitio primi generis unica est falsitatis causa, secundi autem, & tertii est necessario vera.

DEMONSTRATIO

Ad primi generis cognitionem illas omnes ideas diximus in praeced. Schol. pertinere, quae sunt inadaequatae, & confusae; atque adeo (per Prop. 35 hujus) haec cognitio unica est falsitatis causa. Deinde ad cognitionem secundi, & tertii illas pertinere diximus, quae sunt adaequatae; adeoque (per Prop. 34 hujus) est necessario vera. Q.E.D.

PROPOSITIO XLII

Secundi, & tertii, & non primi generis cognitio docet nos verum a falso distinguere.

DEMONSTRATIO

Haec Propositio per se patet. Qui enim inter verum, & falsum scit distinguere, debet adaequatam veri, & falsi habere ideam, hoc est (per Schol. 2 Prop. 40 hujus) verum, & falsum secundo, aut tertio cognitionis genere cognoscere.

PROPOSITIO XLIII

Qui veram habet ideam, simul scit se veram habere ideam, nec de rei veritate potest dubitare.

DEMONSTRATIO

Idea vera in nobis est illa, quae in Deo, quatenus per naturam Mentis humanae explicatur, est adaequata (per Coroll. Prop. 11 hujus). Ponamus itaque, dari in Deo, quatenus per naturam Mentis humanae explicatur, ideam adaequatam A. Hujus ideae debet necessario dari etiam in Deo idea, quae ad Deum eodem modo refertur, ac idea A (per Prop. 20 hujus, cujus Demonstratio universalis est). At idea A ad Deum referri supponitur, quatenus per naturam Mentis humanae explicatur; ergo etiam idea ideae A ad Deum eodem modo debet referri, hoc est (per idem Coroll. Prop. 11 hujus), haec adaequata idea ideae A erit in ipsa Mente, quae ideam adaequatam A habet; adeoque qui adaequatam habet ideam, sive (per Prop. 34 hujus) qui vere rem cognoscit, debet simul suae cognitionis adaequatam habere ideam, sive veram cognitionem, hoc est (ut per se manifestum), debet simul esse certus. Q.E.D.

SCHOLIUM

In Scholio Propositionis 21 hujus Partis explicui, quid sit idea ideae; sed notandum, praecedentem Propositionem per se satis esse manifestam. Nam nemo, qui veram habet ideam, ignorat veram ideam summam certitudinem involvere; veram namque habere ideam, nihil aliud significat, quam perfecte, sive optime rem cognoscere; nec sane aliquis de hac re dubitare potest, nisi putet, ideam quid mutum instar picturae in tabula, & non modum cogitandi esse, nempe ipsum intelligere; & quaeso, quis scire potest, se rem aliquam intelligere, nisi prius rem intelligat? hoc est, quis potest scire, se de aliqua re certum esse, nisi prius de ea re certus sit? Deinde quid idea vera clarius, & certius dari potest, quod norma sit veritatis? Sane sicut lux seipsam, & tenebras manifestat, sic veritas norma sui, & falsi est. Atque his me ad has quaestiones respondisse puto; nempe, si idea vera, quatenus tantum dicitur cum suo ideato convenire, a falsa distinguitur, nihil ergo realitatis, aut perfectionis idea vera habet prae falsa (quandoquidem per solam denominationem extrinsecam distinguuntur), & consequenter neque etiam homo, qui veras, prae illo, qui falsas tantum ideas habet? Deinde unde fit, ut homines falsas habeant ideas? Et denique, unde aliquis certo seire potest, se ideas habere, quae cum suis ideatis conveniant ? Ad has, inquam, quaestiones me jam respondisse puto. Nam quod ad differentiam inter ideam veram, & falsam attinet, constat ex Propositione 35 hujus, illam ad hanc sese habere, ut ens ad non-ens. Falsitatis autem causas a Propositione 19 usque ad 35 cum ejus Scholio clarissime ostendi. Ex quibus etiam apparet, quid homo, qui veras habet ideas, homini, qui non nisi falsas habet, intersit. Quod denique ultimum attinet, nempe, undenam homo scire potest se habere ideam, quae cum suo ideato conveniat, id modo satis superque ostendi ex hoc solo oriri, quod ideam habet, quae cum suo deato convenit, sive quod veritas sui sit norma. His adde, quod Mens nostra, quatenus res vere percipit, pars est infiniti Dei intellectus (per Coroll. Prop. 11 hujus); adeoque tam necesse est, ut Mentis clarae, & distinctae ideae verae sint, ac Dei ideae.

PROPOSITIO XLIV

De natura Rationis non est res, ut contingentes, sed, ut necessarias, contemplari.

DEMONSTRATIO

De natura rationis est res vere percipere (per Prop. 41 hujus), nempe (per Axiom. 6 p. 1) ut in se sunt, hoc est (per Prop. 29 p. 1), non ut contingentes, sed ut necessarias. Q.E.D.

COROLLARIUM

Hinc sequitur, a sola imaginatione pendere, quod res tam respectu praeteriti, quam futuri, ut contingentes contemplemur.

SCHOLIUM

Qua autem ratione hoc fiat, paucis explicabo. Ostendimus supra (Prop. 17 hujus cum ejus Coroll.) Mentem, quamvis res non existant, eas tamen semper, ut sibi praesentes, imaginari, nisi causae occurrant, quae earum praesentem existentiam secludant. Deinde (Prop. 18 hujus) ostendimus, quod, si Corpus humanum semel a duobus corporibus externis simul affectum fuit, ubi Mens postea eorum alterutrum imaginabitur, statim & alterius recordabitur, hoc est, ambo, ut sibi praesentia, contemplabitur, nisi causae occurrant, quae eorum praesentem existentiam secludant. Praeterea nemo dubitat, quin etiam tempus imaginemur, nempe, ex eo, quod corpora alia aliis tardius, vel celerius, vel aeque celeriter moveri imaginemur. Ponamus itaque puerum, qui heri prima vice hora matutina viderit Petrum, meridiana autem Paulum, & vespertina Simeonem, atque hodie iterum matutina hora Petrum. Ex Propositione 18 hujus patet, quod simulac matutinam lucem videt, illico solem eandem caeli, quam die praecedenti viderit, partem percurrentem, sive diem integrum, & simul cum tempore matutino Petrum, cum meridiano autem Paulum, & cum vespertino Simeonem imaginabitur, hoc est, Pauli, & Simeonis existentiam cum relatione ad futurum tempus imaginabitur; & contra, si hora vespertina Simeonem videat, Paulum, & Petrum ad tempus praeteritum referet, eosdem scilicet simul cum tempore praeterito imaginando; atque haec eo constantius, quo saepius eos eodem hoc ordine viderit. Quod si aliquando contingat, ut alia quadam vespera loco Simeonis, Jacobum videat, tum sequenti mane cum tempore vespertino jam Simeonem, jam Jacobum, non vero ambos simul imaginabitur. Nam alterutrum tantum, non autem ambos simul tempore vespertino vidisse supponitur. Fluctuabitur itaque ejus imaginatio, & cum futuro tempore vespertino jam hunc, jam illum imaginabitur, hoc est, neutrum certo, sed utrumque contingenter futurum contemplabitur. Atque haec imaginationis fluctuatio eadem erit, si imaginatio rerum sit, quas eodem modo cum relatione ad tempus praeteritum, vel praesens contemplamur, & consequenter res tam ad tempus praesens, quam ad praeteritum, vel futurum relatas, ut contingentes, imaginabimur.

COROLLARIUM

De natura Rationis est res sub quadam aeternitatis specie percipere.

DEMONSTRATIO

De natura enim Rationis est res, ut necessarias, & non, ut contingentes, contemplari (per Prop. praeced.). Hanc autem rerum necessitatem (per Prop. 41 hujus) vere, hoc est (per Axiom. 6 p. 1), ut in se est, percipit. Sed (per Prop. 16 p. 1) haec rerum necessitas est ipsa Dei aeternae naturae necessitas; ergo de natura Rationis est res sub hac aeternitatis specie contemplari. Adde, quod fundamenta Rationis notiones sint (per Prop. 38 hujus), quae illa explicant, quae omnibus communia sunt, quaeque (per Prop. 37 hujus) nullius rei singularis essentiam explicant; quaeque propterea absque ulla temporis relatione, sed sub quadam aeternitatis specie debent concipi. Q.E.D.

PROPOSITIO XLV

Unaquaeque cujuscunque corporis, vel rei singularis, actu existentis, idea Dei aeternam, & infinitam essentiam necessario involvit.

DEMONSTRATIO

Idea rei singularis, actu existentis, ipsius rei tam essentiam, quam existentiam necessario involvit (per Coroll. Prop. 8 hujus): At res singulares (per Prop. 15 p. 1) non possunt sine Deo concipi; sed, quia (per Prop. 6 hujus) Deum pro causa habent, quatenus sub attributo consideratur, cujus res ipsae modi sunt, debent necessario earum ideae (per Axiom. 4 p. 1) ipsarum attributi conceptum, hoc est (per Defin. 6 p. 1), Dei aeternam, & infinitam essentiam involvere. Q.E.D.

SCHOLIUM

Hic per existentiam non intelligo durationem, hoc est, existentiam, quatenus abstracte concipitur, & tanquam quaedam quantitatis species. Nam loquor de ipsa natura existentiae, quae rebus singularibus tribuitur, propterea quod ex aeterna necessitate Dei naturae infinita infinitis modis sequuntur (vide Prop. 16 p. 1). Loquor, inquam, de ipsa existentia rerum singularium, quatenus in Deo sunt. Nam, etsi unaquaeque ab alia re singulari determinetur ad certo modo existendum, vis tamen, qua unaquaeque in existendo perseverat, ex aeterna necessitate naturae Dei sequitur. Qua de re vide Coroll. Prop. 24 p. 1.

PROPOSITIO XLVI

Cognitio aeternae, & infinitae essentiae Dei, quam unaquaeque idea involvit, est adaequata, & perfecta.

DEMONSTRATIO

Demonstratio praecedentis Propositionis Universalis est, &, sive res, ut pars, sive, ut totum, consideretur, ejus idea, sive totius sit, sive partis (per Prop. praeced.), Dei aeternam, & infinitam essentiam involvet. Quare id, quod cognitionem aeternae, & infinitae essentiae Dei dat, omnibus commune, & aeque in parte, ac in toto est, adeoque (per Prop. 38 hujus) erit haec cognitio adaequata. Q.E.D.

PROPOSITIO XLVII

Mens humana adaequatam habet cognitionem aeternae, & infinitae essentiae Dei.

DEMONSTRATIO

Mens humana ideas habet (per Prop. 22 hujus), ex quibus (per Prop. 23 hujus) se, suumque Corpus (per Prop. 19 hujus), & (per Coroll. 1 Prop. 16 & per Prop. 17 hujus) corpora externa, ut actu existentia, percipit; adcoque (per Prop: 45 & 46 hujus) cognitionem aeternae, & infinitae essentiae Dei habet adaequatam. Q.E.D.

SCHOLIUM

Hinc videmus, Dei infinitam essentiam, ejusque aeternitatem omnibus esse notam. Cum autem omnia in Deo sint, & per Deum concipiantur, sequitur, nos ex cognitione hac plurima posse deducere, quae adaequate cognoscamus, atque adeo tertium illud cognitionis genus formare, de quo diximus in Scholio 2 Propositionis 40 hujus Partis, & de cujus praestantia & utilitate in Quinta Parte erit nobis dicendi locus. Quod autem homines non aeque claram Dei, ac notionum communium habeant cognitionem, inde fit, quod Deum imaginari nequeant, ut corpora, & quod nomen Deus junxerunt imaginibus rerum, quas videre solent; quod homines vix vitare possunt, quia continuo a corporibus externis afficiuntur. Et profecto plerique errores in hoc solo consistunt, quod scilicet nomina rebus non recte applicamus. Cum enim aliquis ait, lineas, quae ex centro circuli ad ejusdem circumferentiam ducuntur, esse inaequales, ille sane aliud, tum saltem, per circulum intelligit, quam Mathematici. Sic cum homines in calculo errant, alios numeros in mente, alios in charta habent. Quare si ipsorum Mentem spectes, non errant sane; videntur tamen errare, quia ipsos in mente putamus habere numeros, qui in charta sunt. Si hoc non esset, nihil eosdem errare crederemus; ut non credidi quendam errare, quem nuper audivi clamantem, suum atrium volasse in gallinam vicini, quia scilicet ipsius mens satis perspecta mihi videbatur. Atque hinc pleraeque oriuntur controversiae, nempe, quia homines mentem suam non recte explicant, vel quia alterius mentem male interpretantur. Nam revera, dum sibi maxime contradicunt, vel eadem, vel diversa cogitant, ita ut, quos in alio errores, & absurda esse putant, non sint.

PROPOSITIO XLVIII

In Mente nulla est absoluta, sive libera voluntas; sed Mens ad hoc, vel illud volendum determinatur a causa, quae etiam ab alia determinata est, & haec iterum ab alia, & sic in infinitum.

DEMONSTRATIO

Mens certus, & determinatus modus cogitandi est (per Prop. 11 hujus), adeoque (per Coroll. 2 Prop. 17 p. 1) suarum actionum non potest esse causa libera, sive absolutam facultatem volendi, & nolendi habere non potest; sed ad hoc, vel illud volendum (per Prop. 28 p. 1) determinari debet a causa, quae etiam ab alia determinata est, & haec iterum ab alia, &c. Q.E.D.

SCHOLIUM

Eodem hoc modo demonstratur in Mente nullam dari facultatem absolutam intelligendi, cupiendi, amandi, &c. Unde sequitur, has, & similes facultates, vel prorsus fictitias, vel nihil esse, praeter entia Metaphysica, sive universalia, quae ex particularibus formare solemus. Adeo ut intellectus, & voluntas ad hanc, & illam ideam, vel ad hanc, & illam volitionem eodem modo sese habeant, ac lapideitas ad hunc, & illum lapidem, vel ut homo ad Petrum, & Paulum. Causam autem, cur homines se liberos esse putent, explicuimus in Appendice Partis Primae. Verum, antequam ulterius pergam, venit hic notandum, me per voluntatem affirmandi, & negandi facultatem, non autem cupiditatem intelligere; facultatem, inquam, intelligo, qua Mens, quid verum, quidve falsum sit, affirmat, vel negat, & non cupiditatem, qua Mens res appetit, vel aversatur. At postquam demonstravimus, has facultates notiones esse universales, quae a singularibus, ex quibus easdem formamus, non distinguuntur, inquirendum jam est, an ipsae volitiones aliquid sint, praeter ipsas rerum ideas. Inquirendum, inquam, est, an in Mente alia affirmatio, & negatio detur praeter illam, quam idea, quatenus idea est, involvit, qua de re vide sequentem Propositionem, ut & définitionem 3 hujus, ne cogitatio in picturas incidat. Non enim per ideas imagines, quales in fundo oculi, &, si placet, in medio cerebro formantur, sed Cogitationis conceptus intelligo.

PROPOSITIO XLIX

In Mente nulla datur volitio, sive affirmatio, & negatio praeter illam, quam idea, quatenus idea est, involvit.

DEMONSTRATIO

In Mente (per Prop. praeced.) nulla datur absoluta facultas volendi, & nolendi, sed tantum singulares volitiones, nempe haec, & illa affirmatio, & haec, & illa negatio. Concipiamus itaque singularem aliquam volitionem, nempe modum cogitandi, quo Mens affirmat, tres angulos trianguli aequales esse duobus rectis. Haec affirmatio conceptum, sive ideam trianguli involvit, hoc est, sine idea trianguli non potest concipi. Idem enim est, si dicam, quod A conceptum B debeat involvere, ac quod A sine B non possit concipi. Deinde haec affirmatio (per Axiom. 3 hujus) non potest etiam sine idea trianguli esse. Haec ergo affirmatio sine idea trianguli nec esse, nec concipi potest. Porro haec trianguli idea, hanc eandem affirmationem involvere debet, nempe, quod tres ejus anguli aequentur duobus rectis. Quare & vice versa haec trianguli idea, sine hac affirmatione nec esse, nec concipi pottst, adeoque (per Defin. 2 hujus) haec affirmatio ad essentiam ideae trianguli pertinet, nec aliud praeter ipsam est. Et quod de hac volitione diximus (quandoquidem eam ad libitum sumpsimus), dicendum etiam est de quacunque volitione, nempe, quod praeter ideam nihil sit. Q.E.D.

COROLLARIUM

Voluntas, & intellectus unum, & idem sunt.

DEMONSTRATIO

Voluntas, & intellectus nihil praeter ipsas singulares volitiones, & ideas sunt (per Prop. 48 hujus, & ejusdem Schol.). At singularis volitio, & idea (per Prop. praeced.) unum, & idem sunt, ergo voluntas, & intellectus unum, & idem sunt. Q.E.D.

SCHOLIUM

His causam, quae communiter erroris esse statuitur, sustulimus. Supra autem ostendimus, falsitatem in sola privatione, quam ideae mutilatae, & confusae involvunt, consistere. Quare idea falsa, quatenus falsa est, certitudinem non involvit. Cum itaque dicimus, hominem in falsis acquiescere, nec de iis dubitare, non ideo ipsum certum esse, sed tantum non dubitare dicimus, vel quod in falsis acquiescit, quia nullae causae dantur, quae efficiant, ut ipsius imaginatio fluctuetur. Qua de re vide Scholium Propositionis 44 hujus Partis. Quantumvis igitur homo falsis adhaerere supponatur, nunquam tamen ipsum certum esse dicemus. Nam per certitudinem quid positivum intelligimus (vide Prop. 43 hujuscum ejusdem Schol.), non vero dubitationis privationem. At per certitudinis privationem falsitatem intelligimus. Sed ad uberiorem explicationem praecedentis Propositionis quaedam monenda supersunt. Superest deinde, ut ad objectiones, quae in nostram hanc doctrinam objici possunt, respondeam; & denique, ut omnem amoveam scrupulum, operae pretium esse duxi, hujus doctrinae quasdam utilitates indicare. Quasdam, inquam; nam praecipuae ex iis, quae in Quinta Parte dicemus, melius intelligentur.

Incipio igitur a primo, Lectoresque moneo, ut accurate distinguant inter ideam, sive Mentis conceptum, & inter imagines rerum, quas imaginamur. Deinde necesse est, ut distinguant inter ideas, & verba, quibus res significamus. Nam quia haec tria, imagines scilicet, verba, & ideae a multis vel plane confunduntur, vel non satis accurate, vel denique non satis caute distinguuntur, ideo hanc de voluntate doctrinam, scitu prorsus necessariam, tam ad speculationem, quam ad vitam sapienter instituendam, plane ignorarunt. Quippe, qui putant ideas consistere in imaginibus, quae in nobis ex corporum occursu formantur, sibi persuadent, ideas illas rerum, quarum similem nullam imaginem formare possumus, non esse ideas, sed tantum figmenta, quae ex libero voluntatis arbitrio fingimus; ideas igitur, veluti picturas in tabula mutas, aspiciunt, &, hoc praejudicio praeoccupati, non vident, ideam, quatenus idea est, affirmationem, aut negationem involvere. Deinde, qui verba confundunt cum idea, vel cum ipsa affirmatione, quam idea involvit, putant se posse contra id, quod sentiunt, velle; quando aliquid solis verbis contra id, quod sentiunt, affirmant, aut negant. Haec autem praejudicia exuere facile is poterit, qui ad naturam cogitationis attendit, quae extensionis conceptum minime involvit; atque adeo clare intelliget, ideam (quandoquidem modus cogitandi est) neque in rei alicujus imagine, neque in verbis consistere. Verborum namque, & imaginum essentia a solis motibus corporeis constituitur, qui cogitationis conceptum minime involvunt. Atque haec pauca de his monuisse sufficiat, quare ad praedictas objectiones transeo.

Harum prima est, quod constare putant, voluntatem latius se extendere, quam intellectum, atque adeo ab eodem diversam esse. Ratio autem, cur putant, voluntatem latius se extendere, quam intellectum, est, quia se experiri ajunt, se non majore assentiendi, sive affirmandi, & negandi facultate indigere ad infinitis aliis rebus, quas non percipimus, assentiendum, quam jam habemus, at quidem majore facultate intelligendi. Distinguitur ergo voluntas ab intellectu, quod finitus hic sit, illa autem infinita.

Secundo nobis objici potest, quod experientia nihil clarius videatur docere, quam quod nostrum judicium possumus suspendere, ne rebus, quas percipimus, assentiamur; quod hinc etiam confirmatur, quod nemo dicitur decipi, quatenus aliquid percipit, sed tantum, quatenus assentitur, aut dissentitur. Ex. gr. qui equum alatum fingit, non ideo concedit dari equum alatum, hoc est, non ideo decipitur, nisi simul concedat, dari equum alatum; nihil igitur clarius videtur docere experientia, quam quod voluntas, sive facultas assentiendi libera sit, & a facultate intelligendi diversa.

Tertio objici potest, quod una affirmatio non plus realitatis videtur continere, quam alia, hoc est, non majore potentia indigere videmur ad affirmandum, verum esse id, quod verum est, quam ad aliquid, quod falsum est, verum esse affirmandum; at unam ideam plus realitatis, sive perfectionis, quam aliam habere percipimus; quantum enim objecta alia aliis praestantiora, tantum etiam eorum ideae aliae aliis perfectiores sunt; ex quibus etiam constare videtur differentia inter voluntatem, & intellectum.

Quarto objici potest, si homo non operatur ex libertate voluntatis, quid ergo fiet, si in aequilibrio sit, ut Buridani asina? Famene, & siti peribit? Quod si concedam, viderer asinam, vel hominis statuam, non hominem concipere; si autem negem, ergo seipsum determinabit, & consequenter eundi facultatem, & faciendi quicquid velit, habet. Praeter haec alia forsan possunt objici; sed quia inculcare non teneor, quid unusquisque somniare potest, ad has objectiones tantum respondere curabo, idque quam potero breviter.

Et quidem ad primam dico, me concedere, voluntatem latius se extendere, quam intellectum, si per intellectum claras tantummodo, & distinctas ideas intelligant; sed nego voluntatem latius se extendere, quam perceptiones, sive concipiendi facultatem; nec sane video, cur facultas volendi potius dicenda est infinita, quam sentiendi facultas; sicut enim infinita (unum tamen post aliud; nam infinita simul affirmare non possumus) eadem volendi facultate possumus affirmare, sic etiam infinita corpora (unum nempe post aliud) eadem sentiendi facultate possumus sentire, sive percipere. Quod si dicant, infinita dari, quae percipere non possumus? regero, nos ea ipsa nulla cogitatione, & consequenter nulla volendi facultate posse assequi. At dicunt, si Deus vellet efficere, ut ea etiam perciperemus, majorem quidem facultatem percipiendi deberet nobis dare, sed non majorem, quam dedit, volendi facultatem; quod idem est, ac si dicerent, quod si Deus velit efficere, ut infinita alia entia intelligeremus, necesse quidem esset, ut nobis daret majorem intellectum; sed non universaliorem entis ideam, quam dedit, ad eadem infinita entia amplectendum. Ostendimus enim voluntatem ens esse universale, sive ideam, qua omnes singulares volitiones, hoc est, id, quod iis omnibus commune est, explicamus. Cum itaque hanc omnium volitionum communem, sive universalem ideam facultatem esse credant, minime mirum, si hanc facultatem ultra limites intellectus in infinitum se extendere dicant. Universale enim aeque de uno, ac de pluribus, ac de infinitis individuis dicitur.

Ad secundam objectionem respondeo negando, nos liberam habere potestatem judicium suspendendi. Nam cum dicimus, aliquem judicium suspendere, nihil aliud dicimus, quam quod videt, se rem non adaequate percipere. Est igitur judicii suspensio revera perceptio, & non libera voluntas. Quod ut clare intelligatur, concipiamus puerum, equum imaginantem, nec aliud quicquam percipientem. Quandoquidem haec imaginatio equi existentiam involvit (per Coroll. Prop. 17 hujus), nec puer quicquam percipit, quod equi existentiam tollat, ille necessario equum, ut praesentem, contemplabitur; nec de ejus existentia poterit dubitare, quamvis de eadem non sit certus. Atque hoc quotidie in somnis experimur, nec credo aliquem esse, qui putet, se, dum somniat, liberam habere potestatem suspendendi de iis, quae somniat, judicium, efficiendique, ut ea, quae se videre somniat, non somniet; & nihilominus contingit, ut etiam in somnis judicium suspendamus, nempe cum somniamus, nos somniare. Porro concedo neminem decipi, quatenus percipit, hoc est, Mentis imaginationes, in se consideratas, nihil erroris involvere concedo (vide Schol. Prop. 17 hujus); sed nego, hominem nihil affirmare, quatenus percipit. Nam quid aliud est equum alatum percipere, quam alas de equo affirmare? Si enim Mens praeter equum alatum nihil aliud perciperet, eundem sibi praesentem contemplaretur, nec causam haberet ullam dubitandi de ejusdem existentia, nec ullam dissentiendi facultatem, nisi imaginatio equi alati juncta sit ideae, quae existentiam ejusdem equi tollit, vel quod percipit, ideam equi alati, quam habet, esse inadaequatam, atque tum vel ejusdem equi existentiam necessario negabit, vel de eadem necessario dubitabit.

Atque his puto me ad tertiam etiam objectionem respondisse, nempe, quod voluntas universale quid sit, quod de omnibus ideis praedicatur; quodque id tantum significat, quod omnibus ideis commune est, nempe affirmationem, cujus propterea adaequata essentia, quatenus sic abstracte concipitur, debet esse in unaquaque idea, & hac ratione tantum in omnibus eadem; sed non quatenus consideratur essentiam ideae constituere; nam eatenus singulares affirmationes aeque inter se differunt, ac ipsae ideae. Ex. gr. affirmatio, quam idea circuli ab illa, quam idea trianguli involvit, aeque differt, ac idea circuli ab idea trianguli. Deinde absolute nego, nos aequali cogitandi potentia indigere ad affirmandum, verum esse id, quod verum est, quam ad affirmandum, verum esse id, quod falsum est. Nam hae duae affirmationes, si mentem spectes, se habent ad invicem, ut ens ad non-ens; nihil enim in ideis positivum est, quod falsitatis formam constituit (vide Prop. 35 hujus cum ejus Schol. & Schol. Prop. 47 hujus). Quare hic apprime venit notandum, quam facile decipimur, quando universalia cum singularibus, & entia rationis, & abstracta cum realibus confundimus.

Quod denique ad quartam objectionem attinet, dico, me omnino concedere, quod homo in tali aequilibrio positus (nempe qui nihil aliud percipit, quam sitim, & famem, talem cibum, & talem potum, qui aeque ab eo distant), fame, & siti peribit. Si me rogant, an talis homo non potius asinus, quam homo sit aestimandus? dico me nescire, ut etiam nescio, quanti aestimandus sit ille, qui se pensilem facit, & quanti aestimandi sint pueri, stulti, vesani, &c.

Superest tandem indicare, quantum hujus doctrinae cognitio ad usum vitae conferat, quod facile ex his animadvertemus. Nempe

Iº. Quatenus docet nos ex solo Dei nutu agere, divinaeque naturae esse participes, & eo magis, quo perfectiores actiones agimus, & quo magis magisque Deum intelligimus. Haec ergo doctrina, praeterquam quod animum omnimode quietum reddit, hoc etiam habet, quod nos docet, in quo nostra summa felicitas, sive beatitudo consistit, nempe in sola Dei cognitione, ex qua ad ea tantum agenda inducimur, quae amor, & pietas suadent. Unde clare intelligimus, quantum illi a vera virtutis aestimatione aberrant, qui pro virtute, & optimis actionibus, tanquam pro summa servitute, summis praemiis a Deo decorari exspectant, quasi ipsa virtus, Deique servitus non esset ipsa felicitas, & summa libertas.

IIº. Quatenus docet, quomodo circa res fortunae, sive quae in nostra potestate non sunt, hoc est, circa res, quae ex nostra natura non sequuntur, nos gerere debeamus; nempe utramque fortunae faciem aequo animo exspectare; & ferre: nimirum, quia omnia ab aeterno Dei decreto eadem necessitate sequuntur, ac ex essentia trianguli sequitur, quod tres ejus anguli sunt aequales duobus rectis.

IIIº. Confert haec doctrina ad vitam socialem, quatenus docet, neminem odio habere, contemnere, irridere, nemini irasci, invidere. Praeterea quatenus docet, ut unusquisque suis sit contentus, & proximo auxilio, non ex muliebri misericordia, partialitate, neque superstitione, sed ex solo rationis ductu, prout scilicet tempus, & res postulat, ut in Quartâ Parte ostendam.

IVº. Denique confert etiam haec doctrina non parum ad communem societatem: quatenus docet, qua ratione cives gubernandi sint, & ducendi, nempe non ut serviant, sed ut libere ea, quae optima sunt, agant.

Atque his, quae in hoc Schol. agere constitueram, absolvi, & eo finem huic nostrae Secundae Parti impono, in qua puto me naturam Mentis humanae, ejusque proprietates satis prolixe, & quantum rei, difficultas fert, clare explicuisse, atque talia tradidisse, ex quibus multa praeclara, maxime utilia, & cognitu necessaria concludi possunt, ut partim ex sequentibus constabit.