SILVANTIC
Archéologie forestière et écologie historique de la forêt de Compiègne


Objectif
Comprendre pourquoi la forêt de Compiègne du XXIème siècle est telle qu’elle est (relations sol-végétation) et dans quelles proportions elle est le résultat des activités humaines du passé. A partir d’un exemple concret (forêt de Compiègne), reconstituer l’implantation humaine et l’aménagement d’un territoire, la mise en place et l’évolution d’un massif forestier, l’exploitation et la gestion des ressources naturelles.

 

Pour le grand public, la forêt domaniale de Compiègne est une forêt très ancienne, surtout rattachée à l’image des chasses royales et impériales et aux aménagements associés (laies, carrefours en étoile, poteaux indicateurs…). Dépassant cette image, les recherches scientifiques récentes prouvent qu’une grande partie du massif, qui s’étend aujourd’hui sur près de 14 500 ha pour sa seule partie domaniale, n’était pas forcément boisée dans les siècles passés, mettant à mal le mythe d’une forêt immémoriale. Dans certains secteurs, les études de sols peuvent retrouver des phases très anciennes de sables soufflés qui témoignent d’épisodes d’érosion en lien avec une grande ouverture des couverts, ainsi que de périodes de mise en culture ou de pâturage (cf. figure 1). Contrairement à l’idée reçue, César n’a pas rencontré localement les paysages d’une Gaule « chevelue », couverte de forêts, puisqu’avant même les Gaulois, la présence de civilisations préhistoriques est attestée sur le site, en continu depuis le Mésolithique. Durant la romanisation, l’actuelle ville de Compiègne n’existait pas et l’essentiel du peuplement était concentré bien plus au Sud, le long de la voie romaine dénommée plus tardivement « Chaussée Brunehaut ». Les recherches archéologiques, passées ou en cours, ont répertorié plus de 300 sites gallo-romains, principalement au Sud et à l’Est du massif, à proximité des points d’eau, preuve qu’une grande partie de l’actuelle forêt n’était pas du tout boisée. On y trouvait alors des villae et des agglomérations (vici), des mares d’habitat, mais aussi des établissements industriels tels que des fours verriers ou des forges (cf. figure 2). Le paysage « forestier » devait davantage s’apparenter à une savane tempérée, parcourue par de grands animaux tels que les aurochs, jouxtant les pacages et champs des paysans gallo-romains. Les recherches historiques ont montré que le boisement s’est fait ensuite de manière progressive depuis le Haut Moyen Age, période où commence seulement à se développer la ville de Compiègne. C’est surtout sous l’impulsion royale, dans un but cynégétique, que le boisement a pu s’étendre au fil des siècles, de manière spontanée à partir des noyaux de forêts anciennes (accrues), ou dirigée (plantations). A l’époque médiévale, l’occupation du sol paraît encore très diversifiée, avec des parcs de chasse, des garennes et des terres cultivées au beau milieu de la forêt (cf. figure 3). C’est aussi l’époque des implantations monastiques (abbatiale de Saint-Jean aux Bois et prieuré de Saint-Nicolas de Courson au XIIe siècle, prieuré de Saint-Pierre en Chastres au XIIIe siècle par exemple), qui contribuent à façonner le paysage forestier, et aménagent champs et étangs. Le développement des boisements comme le remodelage du réseau de circulation et l’ouverture de nouvelles mares paraissent se renforcer à partir du XVIe siècle, avec l’essor des chasses royales puis impériales. La pratique de la chasse à courre, principalement de la vénerie et du vautrait, conduisent à restructurer progressivement l’ensemble des voies de circulation à partir de la création du carrefour du Puits du Roi (vers 1521), premier carrefour en étoile connu en France. La pratique de la chasse au faisan amène la création de la Faisanderie, puis de parquets et de tirés, du règne de Louis XV à celui de Napoléon III. Le Premier Empire conduit aussi à renforcer le lien entre le château et la forêt, avec l’ouverture de la perspective des Beaux Monts. Au XVIIIe et au XIXe siècle, plus de 6 500 ha de plantations, sur des terres agricoles et des landes, ont permis de compléter la dynamique forestière. C’est peut-être aussi de cette époque que date l’introduction de Prunus serotina, à titre ornemental ou comme couvert à gibier. En résumé, la forêt actuelle est parfois assez récente et s’étend sur de multiples sites d’habitat, d’anciens étangs, des terres de culture antiques et médiévales, d’anciens domaines de chasse, et un réseau viaire fossilisé.

Le couvert forestier et les sols cachent donc de multiples sites archéologiques, certains valorisables auprès du public, d’autres très vulnérables. Dans les zones les moins soumises à l’anthropisation, les fragments de très anciennes forêts peuvent aussi présenter une valeur patrimoniale inestimable sur le plan écologique. La patrimonialité du massif de Compiègne ne réside donc pas seulement sur son histoire récente mais sur des héritages pluriséculaires, souvent méconnus du grand public, où patrimoine archéologique et patrimoine naturel sont inextricablement liés. Ces héritages en font incontestablement la richesse et l’originalité, marque d’une « forêt d’exception ». Au total, ces éléments militent pour l’élaboration d’un diagnostic patrimonial très détaillé, sur des bases scientifiques précises, avec des outils adaptés.

Le système LIDAR
Le système LIDAR (Light Detection and Ranging) est une technique de télédétection par laser aéroporté, qui permet, sous certaines conditions, d’obtenir la hauteur du sol sous végétation (avec une résolution centimétrique) et une discrétisation de la structure des peuplements forestiers. Cette technique est particulièrement adaptée dans le cas de forêts s’étendant sur des sites anciennement peuplés, avec de fortes potentialités archéologiques (cf. figure 4). Elle a été notamment utilisée en archéologie en forêt de Bade et en forêt domaniale de Haye (cf. figure 5), avec des résultats particulièrement significatifs. Elle peut être de surcroît utilisée pour les inventaires forestiers. Technique particulièrement novatrice, elle peut être un atout incomparable en termes d’analyse patrimoniale, comme de communication auprès du public.

Cette technique a été déjà mise en œuvre sur une petite partie de la forêt de Compiègne par le Service régional de l’Archéologie de Picardie, dans un but exclusif d’inventaire archéologique. Notre unité se propose d’étendre la couverture à l’ensemble de la forêt de Compiègne, bordures incluses. Les données seraient exploitées de manière beaucoup plus large en vue d’un diagnostic exhaustif du patrimoine archéologique, historique et environnemental, directement applicable aux opérations d’aménagement comme aux opérations de sauvegarde du patrimoine et de communication auprès du public.

Un instrument de diagnostic scientifique
En aboutissant à un modèle 3D restituant les micro-reliefs à 7-8 cm près, sous la végétation forestière, y compris la strate herbacée, le LIDAR permet de mettre en évidence les sites archéologiques, les modelés indicateurs d’anciennes mises en culture, les reliefs dunaires potentiellement révélateurs de sables soufflés, les anciens réseaux viaires. Il pourrait éventuellement permettre de révéler l’ancienneté des boisements (par l’analyse de la rugosité surfacique) ou le caractère naturel ou anthropique des mares (par l’analyse des micro-reliefs environnants). Ces données devraient être croisées avec les données historiques, pédologiques, pédo-anthracologiques et botaniques acquises ou en cours d’acquisition par l’unité EDYSAN (UPJV) ainsi qu’avec les données archéologiques collectées par le laboratoire TRAME (UPJV), pour aboutir à une meilleure connaissance de l’histoire à long terme de l’ensemble du massif, de l’évolution des différents usages de l’espace (axe 4) et des conséquences actuelles sur la végétation et la biodiversité, en vue d’un diagnostic patrimonial détaillé (axe 3). Cette démarche aboutira  à une première grande synthèse de l’ensemble des recherches menées sur le massif. Ce diagnostic patrimonial s’étendrait donc à la fois au patrimoine archéologique et historique, mais aussi au patrimoine naturel : identification des zones de boisement les plus anciennes, caractérisation des milieux ouverts et des conditions de leur maintien par exemple.

Un instrument d’aide à l’aménagement
Ces données, traitées en développant des outils adaptés aux problématiques de terrain et cartographiées au sein d’un système d’information géographique (SIG), peuvent être un outil efficace d’aménagement, en vue de la préservation et de la mise en valeur du patrimoine historique et naturel, mais aussi de l’optimisation de la production forestière. Elles peuvent mettre en évidence le patrimoine historique en élaborant une carte des potentialités archéologiques et en différenciant les sites valorisables auprès du public des sites sensibles et vulnérables (aux travaux forestiers, aux pillages…) (axe 1). Elles permettent de localiser avec davantage de précision les fragments de très anciennes forêts et les fragments les plus récents, données à mettre en relation avec la diversité floristique et entomologique, ou la vulnérabilité aux espèces invasives (Prunus serotina par exemple). Elles permettent d’établir un lien plus direct entre les usages anciens des sols et la productivité forestière. D’un point de vue strictement sylvicole, le LIDAR peut être un outil d’inventaire forestier, qui permet d’obtenir les valeurs dendrométriques usuelles, mais peut aussi aboutir à une modélisation de la canopée. Ces données pourraient par exemple évaluer la vulnérabilité au risque de chablis, en relation avec les données pédologiques (structure, hydromorphie, superficialité des sols). Il est aussi possible d’envisager une cartographie des traces de passages d’engins, avec une réflexion sur le tassement potentiel et la protection du capital-sol (axe 3). Les instruments et outils d’analyse développés à cette occasion pourraient ensuite être valorisés sur d’autres massifs.

Un instrument de communication auprès du public
La démarche, particulièrement innovante, de télédétection par laser aéroporté, peut être un formidable outil de communication, et ce dès le début du projet. Le survol de la forêt à basse altitude, les images 3D obtenues, souvent spectaculaires, permettent rapidement de communiquer dans les médias régionaux, nationaux, voire européens, autour de la patrimonialité du massif forestier de Compiègne. A plus long terme, les images traitées peuvent être valorisées de nombreuses manières, dans un objectif de communication très large auprès du grand public et des scolaires. En sélectionnant les sites patrimoniaux les moins sensibles à la fréquentation, les images peuvent d’abord être mises en ligne en les confrontant de manière régressive à des images satellites actuelles, des photographies aériennes anciennes, des cartes anciennes et des commentaires sur l’évolution et la patrimonialité de la zone (axe 4). Cette démarche  permettrait au public d’intégrer de manière ludique l’histoire de certains sites dans la longue durée, l’invitant à les parcourir sur des itinéraires déterminés. Sur le terrain, les données archéologiques, historiques et paléobotaniques collectées pourraient partiellement figurer dans le balisage, par exemple en indiquant sur des panneaux l’histoire des chemins empruntés ou croisés, sur les itinéraires de randonnée (axe 2). L’idée serait de réaliser un ou plusieurs parcours forestiers thématique(s) sur le passé du territoire de la forêt et son empreinte dans le paysage actuel. De manière plus ambitieuse, l’unité d’archéologie préventive Univ’Archéo de l’UPJV a les compétences et l’expérience pour mettre en place un parcours de réalité augmentée (visualisable avec une tablette numérique, un Smartphone ou des Google glasses), telle qu’elle l’a récemment développée pour la citadelle de Cherbourg. Ces parcours pourraient se dérouler autour, par-exemple, du tracé de la voie romaine. Pourraient être alors proposés en plusieurs étapes clés d’une randonnée pédestre de quelques kilomètres : des paysages de dunes éoliennes en paysage glaciaires, de plateau de steppes à mammouths, puis la conquête du paysage par les forêts du début de l’Holocène, l’arrivée des premiers agriculteurs et les sites métallurgiques de l’Âge du Fer, l’exploitation intensive de la zone à la période gallo-romaine suivie de la reconquête forestière, les chasses mérovingiennes à l’auroch, capétiennes du cerf,  puis impériales au faisan, les vicissitudes des deux conflits mondiaux et la clairière de Rethondes, et enfin la période actuelle avec les mutations en cours des écosystèmes forestiers.

L’objectif clairement affiché serait de renforcer l’attractivité du massif sur certains espaces bien déterminés, en attirant des publics français et étrangers, comme en accueillant davantage de scolaires, pour proposer une lecture ludique des archives vivantes de la forêt à la découverte de l’histoire d’un patrimoine d’exception.

 

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