REeFoRe

Le projet ReFoRe est un projet porté par l’INRA de Nancy.
Edysan est partenaire.

 

 

 

 

Le nord de la France montrent une érosion régulière de la surface forestière depuis 2 siècles, en opposition à la plupart des autres régions françaises : taux de boisement de plus de 10% sur la carte de Cassini (décennies 1750 et 1760), 8,9% d’après le cadastre napoléonien (date moyenne 1829), actuellement de 7,7% à 8,6% selon les sources et les dates. Mais en raison de la présence de nombreuses zones de recolonisation forestière depuis le XVIIIe siècle, l’érosion des surfaces de forêt ancienne (toujours restées boisées depuis une certaine date, que l’on fixera dans ce projet à au minimum la première moitié du XIXe siècle) est encore plus rapide que ne le laissent apparaître les chiffres globaux de taux de boisement de la région. Par rapport à la carte de Cassini, les forêts actuelles de la région NPC ne contiennent plus que 54% des forêts de 1760. Cette situation est d’autant plus critique que le taux de boisement des forêts de la région NPC est le plus bas de France. Ces forêts anciennes, qui présentent une diversité biologique particulière et une valeur patrimoniale plus importante que celle des forêts récentes, ont vocation à faire partie des noyaux des trames vertes en cours de constitution. Compte tenu de l’évolution spatiale des forêts dans la région NPC, il est donc nécessaire pour cela de cartographier leur emplacement. Nous proposons de nous baser sur les minutes de la carte d’Etat-Major, établie de 1824 à 1835, à la même date que le cadastre napoléonien, et qui en est souvent une copie réduite. La vectorisation de ces minutes, au 1:40 000, est une tache réalisable en un temps limité, beaucoup plus que la vectorisation du cadastre napoléonien, difficilement envisageable.

De nombreux travaux ont établi l’importance de l’ancienneté de l’état boisé sur la composition des communautés d’espèces de plantes supérieures (Hermy et al. 1999). Quelques indices montrent qu’il pourrait aussi y avoir un impact des changements anciens d’usage des sols sur la flore fongique (Diedhiou et al. 2009). Les forêts anciennes ne contiendraient pas la même diversité fongique que les forêts récentes, apparues depuis. Or, les communautés fongiques contiennent a priori plus d’espèces et jouent un rôle fonctionnel probablement plus important (décomposition des litières et du bois mort, agents pathogènes et symbiontes des arbres) que les communautés phanérogamiques. Il reste aujourd’hui à confirmer que la flore fongique diffère réellement entre forêts récentes et anciennes.

Ces différences de colonisation entre forêt ancienne et forêt récente peuvent être dues, lorsqu’on est sous une même essence forestière, soit à des différences de composition des sols induites par l’agriculture ancienne dans les forêts récentes, soit à des limitations par la dispersion, même à courte distance, soit éventuellement à des phénomènes de compétition après installation. Afin d’apporter des éléments de compréhension sur ces différentes causes, il faut établir des plans d’échantillonnage adéquats, en échantillonnant des sites en forêts récentes à des distances croissantes de la forêt ancienne la plus proche. Cette question est particulièrement importante dans le cadre des trames vertes : y a-t-il limitation par la distance de la colonisation des champignons dans les forêts récentes ?

Alors que la typologie des stations forestières est intégrée depuis plusieurs décennies comme un outil nécessaire de la gestion forestière, la prise en compte de l’ancienneté de l’état boisé n’est apparue que plus récemment comme préoccupation du monde de la gestion forestière. Alors que les résultats scientifiques sur son rôle majeur dans l’explication des variations de la biodiversité, de la productivité, de la qualité des sols forestiers s’accumulent, un écart se creuse petit à petit avec la connaissance qu’en ont les propriétaires et gestionnaires forestiers. Nous proposons donc comme un volet spécifique de ce projet la mise à disposition de cette connaissance auprès des gestionnaires forestiers. La question se pose avec plus d’acuité en forêt privée que publique. En effet, alors que la forêt publique, et en particulier domaniale, française est très largement une forêt ancienne, les forêts privées contiennent une plus grande variété d’ancienneté de l’état boisé. En Lorraine par exemple, où nous avons cartographié l’ensemble des forêts anciennes (à la date moyenne de référence de 1830), 90% des forêts domaniales sont anciennes, alors que 49% seulement des forêts privées le sont.

 

Questionnement scientifique

La diversité taxonomique des champignons d’un site est très difficile à caractériser par des relevés de carpophores, en raison principalement du caractère très irrégulier de leur apparition. En effet, de nombreuses espèces fongiques ne fructifient pas, ou restent difficilement détectables, comme les espèces hypogées ou celles formant des « croûtes ». On se propose donc ici de compléter les relevés de carpophores réguliers avec un inventaire systématique des champignons du sol par une approche de génomique environnementale (Buée et al. 2009). Dans ce dernier cas, il s’agit d’exploiter l’ADN fongique présent dans ces sols forestiers pour décrire, par une approche moléculaire (amplification d’un code-barre génétique), l’ensemble des espèces fongiques des sites étudiés. Un troisième objectif est donc l’étude des complémentarités entre ces deux approches très différentes du point de vue de l’estimation de la richesse en espèces, de la composition de la communauté, et de la variabilité entre sites.

La comparaison, dans des plans d’échantillonnages identiques (en particulier à surface d’échantillonnage identique), entre richesse et variabilité des communautés de champignons et de plantes n’est quasiment jamais faite. On utilisera donc le même dispositif pour l’étude, en parallèle, des variations de richesse et composition des communautés de plantes supérieures et de champignons.

Si la chorologie est largement répandue en phytosociologie, les études relatives aux mécanismes qui expliquent la distribution des espèces fongiques restent plus parcellaires, compte tenu des difficultés à appréhender l’ensemble de la communauté fongique. Les outils d’écologie moléculaires, et en particulier les nouvelles technologies de séquençage, offrent de nouvelles perspectives dans l’évolution de cette discipline, avec un nouvel éclairage sur les règles d’assemblages des espèces et l’application des théories de distribution des espèces pour les champignons. De manière descriptive, ce projet permettra de répondre aux questions suivantes :

  • les espèces fongiques sont-elles impactées par l’agriculture ancienne ?
  • existe-t-il une limitation par la dispersion pour certaines de ces espèces lors de la recolonisation des forêts récentes ? Pour quelles espèces ?

Mais les résultats attendus devraient porter au-delà d’une réponse simplement binaire, ou de la production d’un simple inventaire, en mettant en lumière de potentiels bio-indicateurs fongiques des modes d’usage des sols. Ce travail permettra également d’améliorer nos connaissances sur le volet patrimonial des services écosystémiques fournis par les forêts. L’accent sera particulièrement porté sur l’équilibre des grands groupes écologiques, en particulier symbiotiques et décomposeurs. Enfin, de manière plus cognitive, les données acquises de manière systématique dans cette étude scientifique vont offrir une nouvelle vision de la distribution des espèces fongiques, à l’échelle régionale, dans les milieux forestiers du Nord de la France.

D’un point de vu méthodologique, l’approche pluridisciplinaire proposée et la multiplicité des partenaires devraient donner des éléments de réponses originaux aux questions suivantes :

  •  les relevés de champignons par notation de la présence de carpophores sont-ils biaisés ou complémentaires par rapport à ce qu’indiquent les analyses moléculaires ? Inversement, quelles sont les limites des approches moléculaires au regard des relevés de carpophores ?
  • quelles sont les méthodologies de relevés de champignons optimales ?
  • quelles sont les diversités comparées des communautés de champignons et de plantes ?

Objectifs du projet

  • contribuer à la réalisation de la carte des forêts anciennes de la Région NPC
  • caractériser et comparer les flores fongiques des forêts anciennes et des forêts récentes (=étudier les communautés de champignons liées aux forêts anciennes et récentes). Préciser la nature (traits de vie) des espèces fongiques qui dépendent de l’usage ancien des sols.
  • comparer les résultats de deux méthodes d’inventaire des communautés fongiques : inventaires des carpophores et caractérisation moléculaire à partir des ADN du sol et des litières.
  • comparer la richesse de la flore fongique avec celle des communautés de plantes supérieures. Comparer les structures de communauté et leur degré de dépendance à l’usage ancien des sols.
  • tester le rôle de la limitation par la dispersion chez les champignons en étudiant le rôle de la distance à la lisière de forêt ancienne la plus proche.
  • en déduire des recommandations dans l’établissement des trames vertes.
  • sensibiliser les acteurs forestiers régionaux, en particulier privés, à cet aspect (existence d’une différenciation entre forêts anciennes et récentes) méconnu de la gestion de la biodiversité.