L’État des économistes. La science économique face à la puissance publique (XXe-XXIe siècles), Politix, n°134, vol.34, 2021

Classé dans : Publications | 0

Gouarné Isabelle, Hauchecorne Mathieu, Monneau Emmanuel, Vion Antoine (dir)
Editeur : Éditions de Boeck supérieur
Sommaire
Résumé :
Paraît dans ce numéro de Politix la seconde partie du dossier consacré aux relations entre les économistes, les savoirs qu’ils produisent et l’État telles qu’elles se sont établies et reconfigurées tout au long du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui. Alors que le premier volet du dossier (n° 133) se centrait sur la contribution des savoirs économiques à la construction et à la définition du rôle économique de l’État, c’est davantage ici la question de l’expertise économique et de ses rapports avec la puissance publique qui est au cœur des contributions.
Celles-ci examinent, à partir de différents terrains centrés sur le cas français, les transformations qu’a connues le champ de l’expertise en France durant ces dernières décennies et les concurrences qui le caractérisent alors que le monopole de l’État sur l’information économique est remis en cause. Franck Bessis et Paul Cotton, à partir de leur enquête sur les usages des modèles de microsimulation dans les années 1990 et 2000, analysent les modalités et les effets de cette redistribution des pouvoirs d’évaluation, jusqu’à ses développements les plus récents, dus à l’ouverture des données administratives et à la reconnaissance d’une fonction d’évaluation des politiques publiques au Parlement. Catherine Comet se penche sur un autre aspect majeur de ces transformations, à savoir le développement, à partir des années 1980, des think tanks, en montrant comment ce phénomène aboutit à une privatisation accrue de l’expertise économique et renforce le contrôle que certaines fractions des élites économiques sont susceptibles d’exercer sur la parole experte relayée dans le champ du pouvoir. Mathieu Hauchecorne revient sur la circulation, au sein de l’expertise d’État, des réflexions sur la justice sociale issues de la pensée de John Rawls ou Amartya Sen, en s’attachant à reconstituer les chaînes de médiation au fil desquelles circulent et se redéfinissent ces productions, des espaces savants aux lieux de « décision ». Jean-Michel Chahsiche analyse, quant à lui, l’organisation des prix de livres d’économie délivrés par le ministère des Finances, étudiant comment par ce dispositif et depuis les années 2000, l’État exerce des fonctions non seulement idéologiques de certification et de consécration des idées économiques mais aussi des fonctions latentes de socialisation, renforçant l’entre-soi des différentes fractions des élites, politico-administratives, économiques et académiques.
Ces différents articles offrent des éclairages complémentaires sur le fonctionnement de l’univers de l’expertise économique. Même si l’État continue à exercer un contrôle important, cet espace apparaît aujourd’hui bien plus diversifié et concurrentiel que celui constitué dans la configuration « planiste-keynésienne » des années 1950-1970, sans que les mécanismes de démocratie sociale et représentative en sortent pour autant renforcés.
Dans le prolongement des analyses développées dans le volume 1 par Nadine Levratto et Michael Zemmour sur les transformations en cours de la politique économique, à la suite de la crise du Covid, est ici publié un entretien avec l’économiste Bruno Théret : il propose une réflexion sur les analyses que ce spécialiste des relations entre l’économie et la politique a auparavant consacrées au néolibéralisme et aux reconfigurations de l’État social, en les confrontant à la situation actuelle de gestion de la crise sanitaire et à ce qu’elle révèle, produit ou pourrait faire advenir dans l’ordre socio-économique et politique.
Enfin, en conclusion de ce dossier, Frédéric Lebaron, qui a fortement contribué à la constitution d’un champ de recherche consacré à la sociologie des économistes depuis les années 1990, revient sur les développements importants que ce domaine a connus ces dernières années. Sur la base de ces travaux, il propose une première conceptualisation d’une histoire croisée des formes de l’État et de la trajectoire de la science économique.
Les coordinateur.rice.s sont particulièrement reconnaissant.e.s au comité de rédaction de Politix pour les échanges dont ils ont pu bénéficier et pour le travail d’évaluation des articles de ce dossier. Ils remercient tout particulièrement Nadia Belalimat pour l’editing de ces deux volumes ainsi que pour ses précieuses relectures et suggestions.