LA POLLUTION DES EAUX SOUTERRAINES EN PICARDIE

par

Aurélie DESBORDES (*)


Les pollutions chimiques minérales

Les micro-polluants métalliques

Le cadmium : dans la nature, le cadmium est généralement associé au zinc. Il est utilisé pour le revêtement électrolytique des métaux, dans certains alliages, pour la fabrication d’accumulateurs, de peintures et de matières, et dans l’industrie nucléaire. Les eaux ne contiennent en général que quelques microgrammes de cadmium par litre (la limite étant de 50 (g/L). Lorsque des teneurs élevées de cadmium sont rencontrées dans les eaux des nappes phréatiques, son origine doit être recherchée dans des effluents industriels (galvanoplastie,  en particulier). Le cadmium peut être entraîné par les pluies à partir des fumées industrielles. De plus, la présence de cadmium comme contaminant dans les engrais et les boues de station d’épuration utilisées en agriculture peut contribuer à la pollution de l’aquifère.

Le chrome :  le chrome pur est assez peu employé dans l’industrie, mise à part la fabrication des aciers spéciaux. Par contre, ses dérivés sont très utilisés : les industries chimiques utilisent les dichromates. Les sels de chrome s’emploient comme mordants pour les teintures et comme colorants (vert de chrome, rouge de chrome, etc). Le chrome est présent en petite quantité dans la nature et se concentre préférentiellement dans les roches basiques, à la différence des roches siliceuses. Sa solubilité est faible vis-à-vis des phénomènes de lessivage du sol. Le chrome est amphotère et peut exister dans l’eau sous plusieurs formes : l’état de cation se retrouve dans les eaux naturelles à pH acide. Le chrome est un élément étranger à l’eau : sa présence est liée aux rejets des ateliers de galvanoplastie. L’oxydation des composés chromeux étant instantanée, le chrome peut se trouver à l’état trivalent (chromites) ou hexavalent (chromates et dichromates).
 

Cas de la nappe de la craie de la vallée de l’Aronde (Oise) : une langue de pollution ponctuelle par le chrome hexavalent (de 2 km de long sur 200 m de large) a contaminé un captage public, suite aux rejets des eaux de rinçage et de bains par une usine de chromage dans un bassin et un puisard. Les concentrations en ce métal lourd variaient de 3,5 mg/L en amont à 0,8 mg/L en aval. Après cinq ans de pompage de dépollution, les valeurs au captage ont chuté de 0,4 mg/L à 0,005 mg/L.
 
Le mercure : la pollution par le minerai s’explique par sa présence dans les rejets de certaines activités industrielles : raffinerie, cimenterie, sidérurgie, traitement des phosphates, raffinage du mercure, combustion des hydrocarbures fossiles et du charbon, industries de la pâte à papier, etc.

Le mercure  entre dans la fabrication d’appareillages électriques (lampes, batteries), d’instruments de contrôle (thermomètres, baromètres, interrupteurs), de peintures marines et de certains fongicides employés dans l’agriculture. Le mercure à l’état métallique est pratiquement insoluble dans l’eau ; il donne deux séries de sels : monovalents (la plupart insolubles) et divalents (la plupart solubles). D’une façon générale, la teneur en mercure des eaux souterraines n’excède pas 0,1(g/L.
 

Exemple du site de la Sté Elf Atochem à Villers St Paul (Oise) : cas d’une décharge interne avec dépôt (sur 50 000 m3) très toxiques tels que des déchets de synthèse et autres opérations de chimie organique, des déchets de traitement de dépollution et de préparation d’eau, surveillance des eaux souterraines (4 fois par an) avec des analyses en concentration en arsenic, mercure, ammonium, phénols, manganèse, solvants halogénés et non  halogénés, inutilisation possible du sol, du sous-sol et de la nappe.
 
Le nickel : il entre dans la composition de nombreux alliages en raison de ses caractéristiques de dureté et de résistance à la corrosion.  Il est aussi utilisé pour la protection des pièces métalliques et dans le traitement avant chromage. Associé au cadmium, il entre dans la fabrication d’éléments de batteries. Son emploi comme catalyseur dans l’industrie chimique est important. Dans les pollutions d’origine industrielle, on le retrouve généralement associé aux cyanures, au mercure, à l’arsenic, au chrome, etc. Le fait que le nickel ne soit généralement pas retrouvé dans les eaux souterraines ou en quantités très faibles indique que la présence de ce métal est principalement liée aux activités humaines. Le nickel est susceptible de provoquer des corrosions dans les circuits de distribution d’eau potable.

Le cuivre :  il est présent dans la nature sous forme de minerais de cuivre natif, de minerais oxydés ou sulfurés. En métallurgie, il entre dans de nombreux alliages comme le laiton (cuivre et zinc), le bronze (cuivre et étain), le maillechort (cuivre, nickel et zinc). En raison de ses propriétés de bon conducteur de la chaleur et de l’électricité, les usages du cuivre sont très répandus. Les sels de cuivre (sulfate, acétate, dérivés organiques) sont utilisés comme fongicides ou algicides en agriculture, pour les traitements chimiques de surface, la fabrication de peintures et de céramiques. Le cuivre peut se retrouver dans certaines eaux à des teneurs inférieures à 1 mg/L sous forme ionique ou de complexes (cyanures, ammoniaque, produits organiques, etc). En dehors des pollutions industrielles ou de traitements agricoles, ce métal provient habituellement de la corrosion des tuyauteries de distribution (0,5 à 1 mg/L).
 

Exemple du site de la Sté Tréfimétaux à Sérifontaine (Oise) : stockage de déchets (917 t) de battitures dans des containers métalliques non étanches reposant à même le sol. Les eaux pluviales ruisselant entraînent une pollution des sols par du cuivre, zinc, nickel, plomb à très forte concentration.
 
Le zinc : le zinc est employé dans de nombreux alliages, pour la galvanisation des pièces métalliques, dans la fabrication de pigments de teinture, de vernis, comme raticide et dans la fabrication de produits phytosanitaires. Dans l’eau, la solubilité des chlorure et sulfate de zinc est importante, leur hydrolyse conduit à une diminution de pH. En présence d’excès d’hydrogénocarbonate, la solubilité du zinc est contrôlée par la solubilité du carbonate qui est relativement soluble et de l’hydroxyde qui l’est peu. Le zinc retrouvé dans les eaux de distribution à des teneurs pouvant dépasser 1 mg/L provient des canalisations de laiton ou de fer galvanisé, attaquées par les eaux agressives ou riches en chlorures et sulfates.
 
Exemple du site de l’ancienne décharge Louyot à Bornel (Oise) : cas d’une décharge industrielle avec dépôt de déchets laitiers, de scories, de crasses (10 000t) avec pollution dans les sols en cuivre, zinc, nickel et étain et suivi des teneurs dans la nappe, qui est encore utilisable pour l’alimentation humaine et animale en eau.
Le plomb : il peut être présent sous forme de carbonates (cérusites), de phosphates (pyrophosphites), mais surtout de sulfure (galène). Ce dernier sel, très peu soluble, peut cependant se transformer en hydroxyde ou en carbonate, après avoir été oxydé en sulfate. La présence de plomb à des teneurs plus élevées que la normale, qu’il soit solubilisé ou fixé sur les matières en suspension dans les eaux de surface, doit être relié à une cause externe. Ce métal est en effet si répandu et si utilisé dans l’industrie que les possibilités de pollution sont extrêmement nombreuses et variées. Les activités humaines (emploi de plomb tétraéthyl dans les carburants comme antidétonant, utilisation de combustibles fossiles) entraînant la formation d’aérosols plombifères constituent, actuellement, la principale source de plomb dans l’hydrosphère. Les causes de dépassement des concentrations autorisées en plomb au robinet du consommateur peuvent être liées à la présence de tuyaux en plomb ou de brasures de plomb.

La solubilité du plomb dans l’eau potable est régie par la cinétique des réactions et par des facteurs reliés aux conditions d’équilibre du système. La chimie du plomb dans l’eau étant de nature très complexe, d’autres paramètres sont à considérer : la température, le pH, le temps de stagnation, la surface de contact ou le diamètre des canalisations.

L’arsenic : cet élément, non métallique, est largement réparti dans la biosphère : les roches ignées en contiennent, par exemple, de 1 à 9 mg/kg, les phosphates naturels 20 mg/kg. Il se présente sous forme de sulfures, réalgar (As2S2) ou orpiment (As2S3). L’arsenic est employé dans la métallurgie (alliages) et en électronique (fabrication des semi-conducteurs). Les dérives arsenicaux (anhydrides arsénieux et arseniques, arséniures, arsénites, arséniates) sont utilisés dans les tanneries, dans la fabrication de peinture, de fleurs artificielles, de papiers peints, par la coloration des verres ainsi qu’en agriculture (raticide, anticryptogamiques, etc). Sa présence dans l’environnement, et par voie de conséquence dans l’eau, est à relier à un certain nombre de pollutions : rejets d’eaux résiduaires industrielles, traitement de minerais arsenicaux (cuivre), combustion de charbon ou de déchets, utilisation d’engrais phosphatés, d’herbicides, d’insecticides et de détergents. Dans les eaux minérales, l’arsenic d’origine naturelle atteint parfois des teneurs de 10 mg/L.
 

Exemple du site de l’usine Rhône Poulenc à Chauny (Aisne) : cas de pollution industrielle à l’arsenic, au cadmium, au chrome, au cuivre et au plomb sur un site d’une surface de 12 ha où des activités chimiques se sont exercées de 1820 à 1985 : analyse en concentration des divers polluants dans les nappes avec une surveillance des eaux souterraines deux fois par an, aucune utilisation possible du sol (agriculture, terrain de jeu, …), aucune utilisation du sous-sol, aucune utilisation de la nappe (pour alimentation humaine ou animale, captage AEP, IAA).


 L’aluminium : métal non lourd blanc et brillant, il ne s’altère pas à l’air en raison de la   formation d’une couche protectrice d’alumine. Lorsqu’il est en solution et en milieu acide, il existe sous forme Al3+ ; dans une solution dont on élève le pH progressivement, il précipite sous forme de trihydroxyde Al(OH)3 qui se dissout sous forme d’aluminate AlO2-.

Cette liste d’éléments traces métalliques n’est pas exhaustive : les micro-polluants métalliques comprennent également le bore, le cobalt, le molybdène, le sélénium, le thallium, le magnésium, le fer, le manganèse (ces deux derniers éléments faisant partie des paramètres de la qualité naturelle des eaux souterraines).
Les pollutions engendrées par la présence de métaux en quantité importante dans les eaux souterraines sont dues généralement aux activités industrielles par rejets d’effluents, lessivage des produits stockés sur un sol : ces pollutions sont donc ponctuelles et ne concernent qu’un seul élément trace métallique, dans la plupart des cas.
Certains de ces métaux peuvent être toxiques, tels que l’arsenic, le cadmium, le chrome, le mercure, le plomb, le molybdène, le nickel, le plomb, le sélénium, soit directement, soit par accumulation dans l’organisme.
D’autres éléments sont considérés comme indésirables et peuvent présenter des inconvénients au consommateur d’ordre organoleptique : goût, saveur, coloration. C’est le cas pour le cuivre, le zinc, le fer, le manganèse, l’aluminium.

Remarques : certains éléments traces toxiques ne sont pas des métaux (arsenic et sélénium). Les éléments traces métalliques comprennent le cadmium, le cobalt, le chrome, le cuivre, le manganèse, le nickel, le plomb, le thallium, le zinc.
 

Cas de pollution par les micro-polluants  dans le Vimeu  (Somme) :
La région du Vimeu est située à l’ouest de la Picardie dans le département de la Somme sur le plateau crayeux entre Abbeville et Le Tréport. Le Vimeu a vu se développer depuis la fin du 18ème siècle une industrie essentiellement axée sur le travail des métaux (fonderie, décolletage) et sur l’activité du traitement de surface dont le but est de décorer ou de conférer des propriétés chimiques, mécaniques ou électriques aux pièces métalliques (passivation, protection contre la corrosion, chromage, nickelage). Ces ateliers de traitement de surface, jusqu’aux années 1970, faute d’avoir un cours d’eau, ont déversé leurs effluents bruts, non détoxiqués, dans la nappe de la craie par l’intermédiaire de puits anciens ou de puisards. Durant de nombreuses années, la nappe de la craie s’est progressivement contaminée de sorte qu’en 1973 des traces de chrome hexavalent et de zinc avaient été détectés dans certains captages d’eau potable du Vimeu : il a été dénombré par l’Agence de l’Eau Artois-Picardie, en 1974, que 53 ateliers de galvanoplastie connus déversaient une pollution de 615 kiloéquitox/jour, soit 22% de pollution toxique de l’ensemble du bassin. Depuis une dizaine d’années, les actions de lutte contre la pollution a pour objectif  « zéro métal »  soit environ 1 à 2 mg/L de métaux totaux. Ces rejets liquides sont acheminés vers les unités d’épuration industrielles et/ou collectives qui infiltrent les eaux épurées en nappe.
Le champ captant d’Embreville a montré qu’une pollution métallique non négligeable a décru suite à la remontée des nappes, bien qu’il soit difficile de cerner l’évolution des panaches de pollutions diffuses en micro-polluants dans ce secteur à cause de la variation du niveau de la nappe et du déplacement des lignes isopiézomètriques.
Pour l’alimentation en eau potable, l’absence de connaissance précise du mode de propagation de ces polluants conduit à envisager une restructuration du réseau de distribution pour l’ensemble des 15 000 habitants du secteur à partir de ressources lointaines.
 

 Les nitrates et autres composés azotés
 

Toutes les formes d’azote (azote organique, ammoniaque, nitrites, etc) sont susceptibles d’être à l’origine des nitrates par un processus d’oxydation biologique.
Les nitrates (azote minéral azoté) sont très solubles. Une bonne part des nitrates vient des usines d’engrais qui fixent l’azote minéral de l’air pour fabriquer de l’ammoniac, ultérieurement oxydé. Quand les nitrates sont épandus sur sol nu ou gelé, ils s’infiltrent avec les pluies ou sont lessivés en surface. Au contraire, épandus au printemps et à la bonne dose, ils sont absorbés par les plantes cultivées.
 Dans les eaux naturelles non polluées, le taux de nitrates est très variable (de 1 à 15 mg/L) suivant la saison et l’origine des eaux. Sauf cas particuliers, les teneurs en nitrates des eaux de distribution sont peu élevées. Par contre en zone rurale, certains puits à usage familial peuvent avoir des concentrations importantes.

L’explosion démographique et le développement de l’agriculture et de l’industrie, depuis quelques décennies, ont modifié le cycle biogéochimiques de l’azote vers une production accrue de nitrates qui sont entraînés vers les eaux souterraines. Depuis quelques années, il a été observé une élévation lente mais inexorable et sans amorce de stabilisation de la teneur en nitrates des eaux souterraines et superficielles de certaines régions ;  celle-ci est souvent liée au développement des élevages, à une fertilisation excessive des zones agricoles par les engrais, les fientes, fumiers (déjections+litières) et lisiers (déjections seules) divers, voire les boues de stations d’épuration (oxydation de l’azote organique et ammoniacal en nitrates).
 La migration des nitrates est nettement plus rapide sur les surfaces cultivables laissées à nues pendant l’hiver. Les rejets des collectivités et occasionnellement de certaines industries (engrais chimiques azotés, engrais chimiques azotés, oxydants) peuvent aussi concourir à l’enrichissement des eaux en nitrates.

La présence d’ammonium dans les eaux souterraines résulte à un contamination de surface liée essentiellement aux rejets d’effluents domestiques et industriels ou un phénomène de réduction naturelle des nitrates. En nappes libres, les cas critiques correspondent aux eaux de captage situés en plaine alluviale à proximité de zones urbaines et industrielles, et dont la qualité est tributaire de celle de la rivière. Dans les nappes captives, la présence d’azote ammoniacal est le résultat de la réduction des nitrates par des bactéries ou par les ions ferreux présents dans ce type de nappe. L’ammonium présents dans les nappes à régime libre sont généralement issus de la dégradation incomplète de la matière organique : c’est un marqueur de pollution organique et de contamination microbiologique.

Les nitrites, qui dans le cycle de l’azote s’insèrent entre les nitrates et l’ammoniaque, sont très peu stables et par conséquent, très peu présents dans les eaux souterraines sauf en cas d’une pollution de surface proche : les nitrites sont donc des bons indices de contamination organique et bactériologique.

En Picardie, les rivières apparaissent le plus souvent comme des drains naturels des grands aquifères. Les nappes contaminées par les nitrates peuvent également contribuer à la pollution  des cours d’eau.
En milieu crayeux, les vitesses moyennes de transfert dans la zone non saturée varieraient entre 30 et 75 cm/an.
De nombreuses publications, traitant de la répartition des teneurs en nitrates des eaux souterraines et de leur évolution dans le temps, aboutissent aux conclusions suivantes :

la quasi-totalité des nappes libres est atteinte par cette pollution azotée ;
les régions de grandes cultures présentent des teneurs moyennes observées beaucoup plus importantes ;
les  fortes teneurs observées ponctuellement sur un captage résultent de sources de pollution localisées à proximité (rejets en puisards d’eau de drainage des champs agricoles, problèmes d’assainissement domestique) ;
les bilans dressés entre 1992 et 1996 montrent une évolution défavorable de la concentration en nitrates au niveau des captages, malgré toutes les mesures prises pour assurer la conformité des eaux distribuées aux exigences réglementaires ;
 
 La situation régionale demeure préoccupante : 51 unités de distribution continuent à fournir à 22 224 habitants une eau non conforme à l’exigence sanitaire (50 mg/L), et plus de la moitié (53,6%) délivrent à 982 863 habitants une eau dont la teneur en nitrates est comprise entre 25 et 50 mg/L .
Dans la Somme, très peu d’unités (3,4%) délivrent une contenant plus de 40 mg/L de nitrates, alors que cette situation concerne 21,8% des unités de distribution dans l’Aisne et 18,6% des unités de distribution dans l’Oise .

 L’appréciation de la qualité réelle des nappes ne peut pas se faire à partir des seuls captages d’eau potable actuellement en service, étant donné d’une part que les captages les plus pollués ont été abandonnés, et d’autre part que les captages d’eau potable sont implantés dans des secteurs sélectionnés pour leur bonne qualité.

Certaines eaux dépassent le seuil admissible de potabilité fixé à 50 mg/L et excèdent parfois des teneurs supérieures à 100 mg/L (cas à la Ferté-Chevresis dans l’Aisne où les teneurs de la nappe de la craie atteignent 190 mg/L)  : ces taux sont des paramètres déclassants qui obligent à abandonner les sites de captage (40 dans le bassin Artois-Picardie).

Les teneurs en nitrates des eaux souterraines en Picardie se situent principalement dans la classe 25 à 50 mg/L. D’une manière générale, on note un enrichissement général des teneurs en nitrates des différentes nappes depuis les années 1970, date des premières analyses concernant les nitrates. Toutefois, un certain ralentissement de ce phénomène depuis les années 1980 a parfois été observé, mais non expliqué. Ce sont les nappes perchées des formations tertiaires qui présentent le plus fortes teneurs (souvent supérieures à 50 mg/L).

Il existe cependant une grande variabilité spatio-temporelle des teneurs en nitrates pour les différentes nappes qui dépend de l’hétérogénéité du milieu géologique, mécanismes de migration dans la zone non saturée et dans la nappe, variabilité des conditions climatiques, variabilité de la pression polluante.

La percolation des nitrates dans le sous-sol nécessitant des délais importants, la contamination des aquifères ne peut s’observer que quelques dizaines d’années plus tard lorsqu’il ne sera plus possible d’exercer une action curative efficace. Seule la prévention est donc possible pour améliorer la situation.

Les projections actuelles montrent que d’ici 30 à 60 ans, à pratiques agricoles comparables, les concentrations maximales admissibles de nitrates dans les eaux souterraines seront largement dépassées. Il s’agit de réagir rapidement et le plus efficacement possible avant que le front des nitrates gagne l’ensemble des aquifères et d’engager des recherches plus approfondies pour mieux appréhender leur toxicité.
 

 Les autres substances minérales
 

Les chlorures, les sulfates, le fluor (étant des paramètres de la qualité naturelle des eaux) et des éléments toxiques tels que le cyanure et l’arsenic sont des substances minérales issues de l’activité humaine et susceptibles de polluer les nappes de façon ponctuelle.
 


Les pollutions chimiques organiques

 Les agents de surface (surfactifs, tensioactifs, détergents)
 

Les produits tensioactifs d’origine synthétique sont employés en quantités de plus en plus importantes, tant pour le nettoyage industriel que domestique. Le détergent, dont le terme désigne toutes les substances possédant des propriétés de nettoyage importantes, est un produit complexe contenant un ou plusieurs agents de surface et des composés minéraux (carbonates, phosphates, polyphosphates, perborates), souvent associés à des matières organiques améliorantes (carboxyméthyl-cellulose, alkanolamides), à des enzymes hydrolysants et à des séquestrants (dérives de l’acide éthylènediamine tétracétique et de l’acide mitriloacétique). La biodégradabilité de ces substances est variable, même à l’intérieur d’une classe donnée : le composé est d’autant moins dégradable qu’il est plus ramifié et que le nombre de carbones de la chaîne est faible.

Dans les eaux souterraines, les détergents sont peu représentés sauf dans deux cas de figures :

dans les zones suburbaines, en liaison avec les puisards recevant les eaux usées ;
dans certaines nappes alluviales en relation étroite avec un cours d’eau pollué ;
L’inconvénient de ces détergents, peu toxiques, est de faciliter la dispersion des produits polluants, qui peuvent leur être associés comme les pesticides, par leur pouvoir mouillant.
 

 Les pesticides
 

Dans les années 1940, sont apparus les premiers pesticides de synthèse sur le marché, avec des résultats très positifs quant à l’augmentation des rendements agricoles.

Les produits phytosanitaires, utilisés pour combattre toutes espèces nuisibles ou concurrençant les cultures, sont apportés dans l’environnement par les grandes cultures, par le maraîchage agricole, par le traitement des forêts, par le traitement sur plans d’eau, par les traitements en zone urbaine (espaces verts, jardins, trottoirs, rues), par certains rejets industriels de conditionnement ou de fabrication, par le traitement des routes et des voies de chemin de fer.

Les pesticides, classés selon leur rôle biologique, regroupent les insecticides, les fongicides, les herbicides, les acaricides, les nématocides, les rodenticides, les corvicides, etc. Pour l’étude des problèmes liés à l’eau, les pesticides peuvent être répertoriés suivant leurs caractéristiques chimiques :

  En France, l’emploi agricole de certains pesticides (DDT, HCH, aldrine, chlorane) est interdit.

L’eau est le principal vecteur de migration des produits phytosanitaires et à ce transport par l’eau se greffent des processus d’adsorption/désorption et des processus de dégradation, qui peuvent freiner, ou parfois accélérer, la migration.
Si le principe de  la dose juste au bon moment n’est pas respecté, et si les sols n’ont pas une capacité de rétention suffisante, il est admis que les pesticides ont une grande probabilité d’être entraînés par les eaux pluviales vers les cours d’eau et les nappes d’eau souterraine.

Une étude sur la teneur en pesticides, au niveau des ressources exploitées, fut réalisée à partir de données collectées par la DDASS entre le 01/01/92 et le 31/12/96 en Picardie. 911 captages d’eau souterraine ont été examinés durant cinq années, soit 91,1% du parc régional picard : les analyses concernent plusieurs familles chimiques de pesticides : les organochlorés, les organophosphorés, les organoazotés.
Les contaminants détectés sont uniquement des herbicides : l’atrazine est la substance la plus souvent retrouvée. Les autres molécules identifiées sont la simazine (22 points), l’isoproturon (8 points), le diuron (6 points), le dinoterbe (4 points), l’alachlore (2 points), le linuron (1 point). Excepté quatre captages, ces produits accompagnent toujours l’atrazine.
 

Cas de l’atrazine : -  72,9% des captages sont indemnes de contamination
                             -   18,1% des captages présentent des teneurs en atrazine inférieures à 0,1 (g/L ;
                             -   14,5% des captages se révèlent plus ou moins fréquemment contaminés au-delà de 0,1(g/L par de l’atrazine ou de la simazine ;
                             -     1,0% des captages ont des teneurs maximales en atrazine de 5 (g/L ;
 

D’après la synthèse bibliographique traitant de la pollution des eaux souterraines et superficielles par des produits phytosanitaires dans le bassin hydrogéologique de la Serre (Aisne) réalisée par le BRGM, l’ensemble des analyses phytosanitaires, disponibles depuis 1990 et provenant de 34 captages d’eau potable, montre que seulement quatre molécules ont été détectées, appartenant à la famille des triazines : l’atrazine la plus fréquemment relevée, la déséthylatrazine (DEA) et la déisopropylatrazine (produits de dégradation de l’atrazine recherchées depuis 1997 seulement, la simazine). Les valeurs maximales avoisinent 0,4 (g/L. Des pesticides ont été trouvés au moins une fois sur 21 captages parmi les 34 analysés.
 

 Les teneurs enregistrées dans les nappes régionales sont inférieures aux seuils fixés par les normes de qualité de l’eau potable. Le suivi récent de certains polluants organiques dans les nappes révèle cependant des concentrations élevées en lindane et en atrazine, molécules résistantes à la biodégradation. Mais l’évaluation à long terme de ces polluants est complexe faute de connaître précisément le comportement de ces molécules dans le sol. De plus, chaque, 800 à 1000 nouveaux produits phytosanitaires sont commercialisés, augmentant ainsi la diversité des molécules utilisées    (environ 450 substances actives en France) et imposant de renforcer leur recherche dans les analyses des eaux et d’étudier leurs effets toxicologiques.

La recherche de composés organiques dans des échantillons de l’environnement est confrontée, hormis le coût que cela représente,  à deux difficultés majeures qui résident dans l’impossibilité de quantifier tous les toxiques en une seule analyse et dans la nécessité d’obtenir des limites détection aussi basses que quelques nanogrammes par litre d’eau. Il n’est toujours pas possible de pouvoir analyser, par des techniques chromatographiques en phase gazeuse ou en phase liquide, certains herbicides comme l’aminotriazole avec un seuil de détection inférieur à 100 ng/L.
 

  Les hydrocarbures
 

C’est un groupe de composés organiques constitués par des dérivés hydrogénés du carbone. Les hydrocarbures, exception faite du plus léger d’entre eux, le méthane, qui constitue le gaz naturel, se rencontrent essentiellement dans le pétrole, roche liquide qui est un mélange complexe de ces composés. On distingue trois grandes catégories d'hydrocarbures: les  hydrocarbures aliphatiques (molécules linéaires ou ramifiées en longues chaînes), les hydrocarbures aromatiques (constitués de cycles benzéniques et homologues supérieurs), les hydrocarbures hétérocycliques (cycles complexes renfermant un nombre différent de carbone).

Les hydrocarbures benzéniques (benzène, toluène, xylène, éthylbenzène)

Le benzène est le plus simple des hydrocarbures aromatiques : c’est un excellent solvant largement utilisé dans l’industrie chimique de synthèse. Etant donné sa toxicité, son usage industriel est réglementé. Les teneurs d’hydrocarbures benzéniques dans les eaux souterraines peuvent atteindre quelques dizaines de microgrammes par litre.

Ces pollutions ponctuelles d’origine accidentelle (ruptures de cuves de stockage d’essence, de fioul, de mazout, industrielles ou domestiques, rupture de pipeline, accidents de la circulation routière, …) ont des effets variants selon la viscosité du produit renversé et la perméabilité des terrains traversés.

Le volume de produit, non piégé, dans la zone non saturée, atteint la nappe et s’étalera graduellement au toit de la nappe : une partie du produit va s’écouler de façon gravitaire au toit de la nappe, mais une autre partie va s’étaler dans la frange capillaire. A l’interface eau-hydrocarbures complexes, des phénomènes de dissolution vont se produire : les composés les plus solubles de la « galette » pétrolière se dissolvent progressivement dans l’eau, qui s’enrichira préférentiellement en BTEX (benzène, toluène, éthylbenzène, xylène) et en additifs oxygénés très solubles (MTBE) alors que la phase huile s’appauvrira corrélativement des ces composés. Le produit flottant est également susceptible de se disperser dans l’eau sous forme d’une fine émulsion. Leur récupération par le biais des opérations classiques d’écrémage est délicate et jamais totale : le produit se retrouve imprégné dans la tranche du battement de la nappe et peut, à long terme, constituer une source constante d’alimentation du panache de pollution dissoute.

Comme tenu de la faible biodégradabilité de ces produits et des importants volumes d’eau polluée qu’ils peuvent générer par dissolution même à dose infinitésimale, toute décontamination est impossible tant qu’ils existent des produits lourds (solvants halogénés) en phase. Une teneur diluée de 1/10 000 à 1/100 000 altère les propriétés gustatives de l’eau. Un litre d’essence souille entre 1 000 et 5 000 m3 d’eau.

L’inconvénient principal, qui est de développer des odeurs et des saveurs désagréables, permet de détecter rapidement les pollutions. Dans le cas de contamination de réservoirs, les modifications organoleptiques de l’eau peuvent persister longtemps après la pollution. Comme la plupart de ces produits sont faiblement oxydables et encore perceptibles à des dilutions de 1 partie par milliard, les nappes d’eau polluées pourront être inutilisables pendant de très longues années.
 

Les hydrocarbures chlorés aliphatiques

Les hydrocarbures chlorés aliphatiques, plus couramment connus sous le nom de solvants chlorés, n’existent pas naturellement. Ils sont le résultat d’une production industrielle très importante et la variété des produits obtenus est fonction des différents usages recherchés. Très largement utilisés comme solvants aussi bien pour le nettoyage que pour l’extraction et la séparation de certains produits, ils sont également employés comme réfrigérants (chlorofluorocarbone ou CFC). Du fait de leur large domaine d’utilisation, les solvants chlorés peuvent être rencontrés dans les effluents industriels, dans les eaux usées urbaines, leur emploi domestique étant aussi très répandu. Leur présence dans les décharges de tous types constitue un risque de pollution des nappes phréatiques car ils ne sont pas retenus par les argiles. Après percolation dans le sol, les eaux souterraines, près de zones urbaines ou industrielles (décharges industrielles) peuvent être contaminées par ces polluants très volatils, et par conséquent peu présents dans les eaux de surface. Peu dégradables, ils ont tendance à se déposer dans la partie basse de la nappe et à ainsi entretenir une pollution en fonction de leur solubilité. L’élimination de ces composés par floculation constitue un point délicat des traitements des eaux.
 

Les organochlorés volatils (haloformes, halométhanes) et les chloramines toxiques
 

D’une façon générale, ces produits ont un caractère rémanent et leur solubilité dans l’eau est variable. Les composés liés au traitement des eaux les plus identifiés sont les trichlorométhanes (le chloroforme, le bromodichlorométhane, le bromoforme, …). Les haloformes qui apparaissent au cours de la chloration de l’eau résultent principalement de la fixation d’atomes de chlore sur des polyphénols, des dicétones, des radicaux acétyls (acide humique, acide fulvique). Ces composés précurseurs sont peu présents dans les eaux des nappes, mais très souvent rencontrés dans les eaux de surface et dans les nappes alluviales.
 

  Les autres substances organiques
 

Divers autres polluants organiques sont quelquefois détectés dans les eaux souterraines, comme :

les polychlorobiphényles (PCB) et les polychloroterphényles (PCT) :

Les PCB et leurs impuretés PCT sont des mélanges congénères isomères obtenus par chloration du biphényl et du tertphényl ; leur teneur en chlore varie de 20 à 60%. Depuis 1930, ils sont largement utilisés dans les peintures, vernis, matières plastiques, résines synthétiques, encres, huiles de coupes, isolants électriques, liquides pour machines hydrauliques, etc. Leur présence dans l’environnement est liée aux rejets industriels, aux fuites dans les circuits ouverts, à la volatilisation par incinération. Ils sont identifiés à des teneurs proches du seuil de détection dans les eaux souterraines. Il s’agit de pollution extrêmement ponctuelle dont il n’est pas toujours facile de déterminer l’origine.

les phtalates ou esters phtaliques :

Ces produits sont de faible volatilité et très peu solubles dans l’eau. Ils jouent un rôle important comme plastifiants des résines cellulosiques et vinyliques (polychlorures de vinyle ou PVC) qui peuvent en contenir jusqu’à 60%. Ils sont aussi largement utilisés dans les peintures, les laques, les encres, … Mais bien que les phtalates soient fortement biodégradables, ils peuvent être détecter parfois dans les eaux souterraines en régime libre voire même captif.

Exemple du site de l’ancienne décharge de Villembray (Oise) : cas de dépôt (500 000t) dans une décharge de solvants halogénés et non halogénés, de sels minéraux résiduaires solides non cyanurés avec des analyses en concentration dans la nappe d’hydrocarbures, de PCB/PCT, de solvants halogénés et non halogénés, des chlorures.
 

 Les matières organiques
 

La présence dans une eau souterraine de produits issus de la décomposition incomplète, sous l’influence de microorganismes, de la matière organique, comme les nitrites, l’ammonium, le méthane ou l’hydrogène sulfuré devra suspecter une contamination microbienne ou autre. La matière organique résiduelle constitue un milieu nutritif favorable au développement des micro-organismes, notamment  pathogènes. L’inconvénient des matières organiques est de favoriser l’apparition de mauvais goûts, qui pourront être exacerbés par la chloration, et d’odeurs désagréables.

Les nappes circulant en milieu fissuré et les nappes alluviales sont les plus sensibles à la pollution organique. Lorsque des teneurs élevées sont observées sur un captage puisant dans une nappe en milieu granulaire, il faut en rechercher la source dans l’environnement immédiat du point d’eau.


Les pollutions microbiologiques

De nombreux microorganismes, virus, bactéries et protozoaires, voire des champignons et des algues sont présents dans l’eau. Les conditions anaérobies généralement rencontrées dans les eaux souterraines en limitent cependant la diversité. Les bactéries, virus et autres agents pathogènes rencontrés dans les eaux souterraines proviennent de fosses septiques, des décharges, des épandages d’eaux usées, de l’élevage, de matières fermentées, de cimetières, du rejet d’eaux superficielles. Ces pollutions peuvent être aussi dues à des fuites de canalisations et d’égouts ou à l’infiltration d’eaux superficielles.

La grande majorité de ces microorganismes nocifs, susceptibles d’engendrer des infections humaines redoutables, diffuse dans l’environnement hydrique par l’intermédiaire de souillures fécales humaines ou animales. Les pollutions microbiologiques se rencontrent surtout dans les aquifères à perméabilité de fissure (craie, massifs calcaires), dans lesquels la fonction épuratrice du sous-sol ne peut s’exercer et dans lesquels la matière organique est dégradée partiellement. Les émergences de type karstique avec des circulations souterraines rapides sont par conséquence très vulnérables à cette pollution.
 

Une contamination bactérienne en milieu granulaire, où ces conditions (absence de filtration, milieu oxygéné,  mauvaise dégradation de la matière organique) ne sont pas vérifiées, implique une source proche de pollution (puisard, défaut d’étanchéité du captage, rejet de station d’épuration, décharges,…).
En surveillance de la qualité microbiologique des eaux distribuées sont concernés les paramètres coliformes thermotolérants (Escherichia coli, Enterobacter cloacae, Salmonella, Yersinia enterocolitica, …), streptocoques fécaux (genres Enterococcus et Streptococcus ) et bactéries aérobies revivifiables à 22°C (germes saprophytes) et à 37°C (germes pathogènes ou plutôt hébergés par l’Homme et par les animaux à sang chaud).
 

D’après une étude réalisée par la D.R.A.S.S. à partir des données issues du contrôle sanitaire des années 1994, 1995 et 1996, la situation régionale n’apparaît pas totalement satisfaisante. Près de 95% de la population a reçu une eau de qualité microbiologique acceptable et aucune eau de mauvaise qualité n’a été distribuée. Mais pour plus de 5,5% de la population régionale, répartis dans 169 unités de distribution, l’eau a subi des contaminations passagères plus ou moins fréquentes : ces unités devront faire l’objet d’une attention particulière et de mesures appropriées en fonction de l’origine des contaminations (ressources et/ou système de distribution) afin de respecter durablement les exigences réglementaires de qualité. Par, il est surprenant de constater que la Somme, département où le recours à la désinfection est le moins important, les résultats des eaux distribuées sont bien meilleurs que dans l’Oise, département où, au contraire , les unités de distribution dotées d’un traitement de désinfection sont proportionnellement les plus nombreuses.
 


  (*) extrait de:

DESBORDES A. (2000) - Pollutions des eaux souterraines en Picardie. Mém. Maîtrise BG, Fac. Sciences, Amiens, 50 p. + annexes.