VIDANGE DES BARRAGES EDF:

IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT

par

Christophe CATHELINE (*)


L’impact sur l’environnement des ouvrages hydroélectriques se situe à deux niveaux : d’une part il y a un impact directement lié à la présence même du barrage, et d’autre part il y a un impact associé au fonctionnement de l’installation, c’est-à-dire associé aux vidanges. Nous ne traiterons ici que l’impact lié aux vidanges des barrages. Cet impact peut simplement être visuel ou concerner les cours d’eau, au niveau quantitatif et/ou qualitatif, pouvant perturber la vie aquatique faunistique et/ou floristique.

1 IMPACT VISUEL

L’impact visuel lié aux vidanges des barrages concerne principalement la réapparition des anciennes vallées, auparavant verdoyantes, mais qui sont désormais réduites à des déserts de pierres et de rochers (BIGOT, 1998). La photographie ci-dessous temoigne de l’impact visuel présent lors des vidanges et du phénomène d’envasement des retenues d’eau.


2 PERTURBATION DES COURS D’EAU

Construire des retenues sur des rivières ou à proximité, c’est se donner les moyens de stocker l’eau pendant un certain temps pour la redistribuer. On opère un transfert en volume d’eau d’une période de l’année pendant laquelle il y a abondance à une autre où il y a pénurie, ou d’une année à l’autre pour satisfaire des besoins et usages nationaux, régionaux, locaux qui sont parfois antagonistes dans la gestion des ressources en eau, en lissant ainsi les aléas saisonniers et climatiques de la météorologie (DUBAND, 1989). Les différents usages de ce stock d’eau peuvent être :

- production d’énergie électrique (consommation industrielle et domestique) - irrigation (agriculture), - soutien des étiages (agriculture, eau potable), - alimentation en eau potable, - écrêtement des crues (sécurité), - loisirs nautiques (tourisme), - pollution accidentelle (sécurité), - hydrobiologie (environnement).

Il est évident que ces aménagements en rivières, qu’ils soient de petite ou de grande capacité, ont une incidence sur le régime d’écoulement puisqu’ils peuvent modifier plus ou moins temporairement l’hydrologie naturelle des cours d’eau. Les modifications ne concernent pas seulement les aspects quantitatifs mais aussi les aspects qualitatifs : les matières en suspension, les sédiments, l’évaporation, les paramètres physico-chimiques, tels que la température de l’eau, l’oxygène dissous..., la vie piscicole, la flore et la faune aquatique, en observant que chaque fois un nouvel équilibre s’instaure.

2-1 DANGER LIE A LA MONTEE DES EAUX

Lors de la vidange des barrages ou simplement lors de simples lâchers d’eau liées à l’exploitation des ouvrages hydroélectriques, le niveau de l’eau à l’aval des barrages monte rapidement, pouvant mettre en danger les personnes qui s’y trouveraient.

Ce sujet nous rappelle le terrible accident du Drac en décembre 1995, au cours duquel six enfants et une accompagnatrice, surpris par la montée des eaux dans le lit du Drac, ont trouvé la mort (ROUSSEL et coll., 1996 et DIFFRE, 1996).

Au-delà des dispositions prises immédiatement, le Ministre de l’Intérieur, le Ministre de l’Environnement et le Minsistre de l’Industrie, de la Poste et des Télécommunications ont demandé à leurs services qu’une réflexion de fond soit menée pour définir des mesures permettant d’améliorer la sécurité en aval des barrages et des aménagements hydrauliques. Au terme du travail entrepris, un certain nombre de mesures ont été prises :

a) En premier lieu, le Ministère de l’Industrie a demandé à EDF et aux autres exploitants un recensement des sites de barrages hydroélectriques concédés, pouvant présenter des risques pour la sécurité des personnes. Il est nécessaire d’étendre cet inventaire aux autres barrages susceptibles de présenter des risques analogues. Ce recensement mettra en évidence les conditions de fréquentation à l’aval de ces ouvrages et l’impact des différentes manoeuvres d’exploitation, sur les débits, dans le lit des rivières.

Son achèvement permettra aux préfets de déterminer les sites méritant une action prioritaire de réduction des risques.

b) Dans certains cas, la multiplicité des intervenants sur le même site et le manque de coordination entre les actions sont un facteur d’accroissement du risque. Le préfet pourra alors les réunir au sein d’une commission consultative du site. Cette réunion assurera l’information réciproque des participants sur leurs actions et leurs projets, et permettra au préfet de coordonner leurs interventions pour ce qui concerne la sécurité publique.

c) Trois types d’actions seront menées pour améliorer la sécurité :

- la fréquentation des sites en aval des ouvrages doit être plus rigoureusement réglementée par les maires ou par l’Etat, lorsque cette fréquentation expose à des dangers ;

- les prescriptions applicables à l’exploitation doivent être mieux définies, quand l’exploitation peut avoir des conséquences sur la sécurité : une « consigne d’exploitation » approuvée par le préfet, ou un « règlement d’eau », définira les modalités des lâchers d’eau et fixera les règles d’information et d’alerte des autorités. En particulier les lâchers devront être effectuées avec une progressivité d’augmentation du débit lâché ;

- des actions d’information du public doivent être menées par les exploitants des ouvrages en ce qui concerne la nature et l’importance des dangers rencontrés en aval. Outre les phases d’exploitation des barrages, provoquant une montée rapide du niveau des eaux à l’aval de l’ouvrage, il faut également tenir compte du risque du rupture de l’un des barrages et des conséquences que cela pourrait entrainer.

Afin de savoir dans quelle mesure la rupture d’un barrage aurait des conséquences dommageables pour les populations situées à l’aval, le CEMAGREF (*) a développé des méthodes qui permettent de calculer certaines caractéristiques de l’onde de submersion (PAQUIER, 1993).

Les risques liés à la rupture d’un barrage concernent essentiellement les zones, situées à l’aval, qui pourraient être inondées ; dès que le niveau des crues naturelles est dépassé, les dégâts peuvent être importants. En particulier, les ouvrages en travers de la rivière, tels que d’autres barrages, des ponts, ou des voies de communication, mais aussi des habitations ou des locaux collectifs peuvent être détruits.

L’objectif d’un calcul de propagation d’onde de rupture de barrage est donc dans un premier temps, de déterminer si la submersion peut toucher des personnes ; dans ce cas, il est nécessaire de connaitre l’étendue des zones submergées ou plutôt de déterminer dans la vallée à l’aval du barrage tous les points où des personnes pourraient se trouver et d’examiner si ces points sont submergés. Dans un second temps, si la probabilité est forte, on peut vouloir quantifier les risques. Pour cela, on regarde les hauteurs et cotes maximales atteintes, le débit maximal, la vitesse maximale et le temps d’arrivée aux points où un risque important existe.

Il faut noter que le temps d’arrivée de l’onde de submersion ne joue que pour les barrages importants ; en effet, pour les plus petits barrages, les risques sont à proximité de l’ouvrage et dans ce cas, les temps d’arrivée sont de quelques minutes, ce qui rend une éventuelle évacuation très difficile.

Différentes méthodes de calcul de propagation d’onde de rupture de barrage existent et permettent d’obtenir des résultats à la précision souhaitée. Néanmoins l’interprétation des résultats doit être effectuée avec prudence d’autant que des incertitudes demeurent toujours du fait soit de la méthode utilisée, soit d’une relative méconnaissance de certains facteurs tel que la topographie locale.

2-2 CARACTERISTIQUES PHYSICO-CHIMIQUES DE L’EAU

Comme nous l’avons vu dans la première partie, les vidanges décennales des barrages ont pour objectif d’assurer la sécurité de l’ouvrage par visite des parties immergées. La vidange consiste à retirer tout ou partie de l’eau stockée par ouverture des vannes de fond du barrage. Cette opération remet en suspension dans l’eau une partie des couches superficielles des sédiments déposés dans le lac depuis sa mise en eau (GOSSE, 1991). Les concentrations de matières en suspension (MES) augmentent alors temporairement dans la rivière, en aval du barrage, en y provoquant des déficits d’oxygène dissous et en y apportant des éléments indésirables en excès (ammoniac, fer, manganèse, phosphore, parfois métaux lourds et pesticides). Cet ensemble de changements des caractéristiques physico-chimiques du milieu est de nature à gêner certains usages de l’eau, comme par exemple la production d’eau potable.

Les visites décennales réglementaires ne sont pas l’unique cause de vidange : en effet certaines vidanges complètes sont réalisées, avec une périodicité inférieure à la décennie, dans des bassins versants à fort taux d’érosion (barrages de l’Isère et du Rhône par exemple). L’objectif essentiel est de limiteer l’envasement des réservoirs.

Dans le cadre d’une convention tripartite EDF - Ministère de l’Industrie - Ministère de l’Environnement signée le 1er juillet 1982, la Direction des Etudes et Recherches d’EDF a lancé un programme d’études pour mieux connaître l’impact des vidanges des réservoirs sur les écosystèmes aquatiques. Ces études ont permis d’identifier trois phases possibles de fortes concentrations de matières en suspension dans la rivière, à l’aval du lac vidangé (les teneurs en matières en suspension ont été mesurées suivant la norme AFNOR T90-105 : filtration sur filtre milipore AP-20 puis dosage par pesée après séchage à 105 °C) :

- la première, de courte durée, apparait parfois au moment de l’ouverture des vannes de fond, ce qui correspond à l’élimination du cône d’envasement proche des vannes.

- la deuxième, généralement de plusieurs heures, survient en fin de vidange proprement dite, lors de l’évacuation des toutes dernières réserves d’eau du lac.

- la troisième concerne toute la période qui suit, pendant laquelle le lac est à sec. Le débit entrant s’encaissant dans les vases déposées dans l’ancien lit et les pluies lessivant les sédiments mis à nu, la circulation de l’eau dans le lac est capable dans certains cas de provoquer épisodiquement des pics de matières en suspension dans l’eau de sortie. Un moyen de limiter l’importance de cette troisième phase est de se placer en période de faible hydraulicité, c’est-à-dire lorsque les débits d’entrée dans le lac sont faibles car, comme nous le montre le graphique ci-dessous, un fort débit d’entrée lié à une forte pluviosité provoque un important pic de concentration de matières en suspension à l’aval du lac.

Figure 1 : moyenne journalière des concentrations en M.E.S. (mg/l) dans l'eau à la sortie du barrage de Guerlédan entre le 26 août et le 15 novembre 1985 (d'après Gosse, 1991).

Le principal obstacle à la prévision de l’évolution des concentrations des matières en suspension dans une rivière à l’aval d’un barrage vidangé est l’inconnue sur leur niveau possible à la sortie du barrage (GOSSE, 1991). En effet cela supposerait l’utilisation d’un modèle d’érosion du lac vidangé, tâche difficilement réalisable actuellement, vu la complexité de certains processus : entrainement des vases et éboulement des bancs de dépôts mis hors d’eau lors de la vidange.

Parallèlement aux mesures de MES, on suit également la concentration en oxygène dissous, par une électrode électrochimique (norme AFNOR T90-106) en utilisant deux types d’appareils : des oxythermomètres enregistreurs PONSELLE fournissant des données en continu par impression d’une marque sur un rubant de papier gradué ; deux oxythermomètres « de poche » PONSELLE contrôlés deux fois par jour à l’aide de solutions étalon. Utilisés conjointement, ces deux derniers appareils ont permis de corriger les dérives appparaissant sur les oxythermomètres enregistreurs (GOSSE, 1991).

Du fait de la forte coloration de l’eau en fin de vidange, les processus de photosynthèse ne peuvent pas intervenir significativement dans le bilan en oxygène dissous : ainsi les mesures d’oxygène dissous aux différentes stations ne mettent pas en évidence de cycle nycthémère (*). L’ensemble des mesures effectuées a permis de réaliser les deux graphiques ci-dessous : ceux-ci mettent en évidence des concentrations en oxygène dissous très faibles, inférieures à 0,5 mg/l (POIREL et coll., 1993 et ROUX et coll., 1990), au moment du passage du pic de MES (alors que le taux de saturation de l’eau en oxygène dissous dans les conditions de température observées est d’environ 9,2 mg/l).

Figure 2: flux de M.E.S. (kg/s) à la sortie immédiate du barrage de Gherlédan en fin de vidange (origine des temps le 23/09/85 à 5 heures TU; d'après Gosse, 1991).

Figure 3: Evolution de la concentration en oxygène dissous (mg/l) à la sortie immédiate du barrage de Guerlédan en fin de vidange, pendant 90 heures. Origine du temps (t = o) le 23 septembre 1985 à 5 heures TU (GOSSE, 1991) :

Une étude de ROFES et coll. (1991), montre également la relation entre les MES et le taux d’oxygène dissous, mais cette fois exprimé comme un déficit d’oxygène. Lors de cette étude les mesures sont effectuées au niveau de deux stations (1 et 2) correspondant à des temps de transit respectifs de 40 et 110 minutes depuis le barrage. A l’issue de la période de mesures, les graphiques réalisés (ci-dessous) montrent que le déficit en oxygène dissous est plus important après un transit de 110 minutes qu’après un transit de 40 minutes, tout en restant proportionnel à la concentration de MES.

Figure 4: Relation entre le déficit en oxygène dissous et le taux de MES à la station 1 (ROFES et coll., 1991)

Figure 5: Relation entre le déficit en oxygène dissous et le taux de MES à la station 2 (ROFES et coll., 1991) :

D’autres types de substances proviennent de la décomposition de la matière vivante ou sont des composés fortement réducteurs issus de rejets industriels. La remise en suspension de telles substances se traduira par une forte demande en oxygène et le relargage d’ammoniaque, dont la forme non ionisée NH3 est très toxique notamment pour les poissons (POIREL et coll., 1993). L’équilibre de dissociation de NH4+ est fortement influencé par l’acidité du milieu, il convient donc de tenir compte à la fois de la concentration d’azote ammoniacal et du pH pour connaître la toxicité de ce composé. Un pH acide favorise la protonation de NH3 en NH4+, l’acidification du milieu au moment du passage du culot sédimendaire est donc un facteur de nature à limiter la toxicité du rejet.

L’étude du phosphore (DEMARE et coll., 1993), facteur clef responsable de l’eutrophisation (*) des eaux continentales, a été entreprise afin d’estimer les potentialités de relargage de cet élément dans la retenue eutrophe de Saint-Etienne-Cantalès (Cantal) et dans ses affluents. La présence de phosphore, particulaire ou dissous, peut se traduire par une accélération de l’eutrophisation du milieu recepteur. Cette accélération de l’eutrophisation (ou dystrophisation de fonctionnement) a pour conséquence de diminuer encore la teneur en oxygène dissous (utilisé pour la dégradation de la biomasse produite) de l’eau du réservoir et donc de l’eau de la rivière lors de la vidange.

Alors que le phosphore dissous est directement utilisable par les algues, c’est-à-dire biodisponible, le phosphore particulaire ne l’est pas toujours, mais il peut constituer une source de phosphore potentiellement relargable. La spéciation du phosphore particulaire, réalisée sur la fraction inférieure à 2 mm du sédiment, permet de distinguer plusieurs formes de phosphore : phosphore apatitique (PA), phosphore inorganique non apatitique (PINA), phosphore organique (PO), dont on peut préciser l’origine :

- le PA, d’origine détritique, est prépondérant dans les sédiments des affluents ; inerte, il ne contribue pas à l’augmentation de l’eutrophisation. - le PINA, d’origine anthropique, domine dans la retenue ; cette forme provient des eaux usées industrielles et domestiques et des rejets agricoles diffus.

Le PINA sédimenté est susceptible de repasser en solution si la teneur en oxygène dissous du fond devient trop basse ; il est donc responsable de l’accroissement de l’eutrophisation. Ce phénomène de relargage a été mis en évidence par la mesure d’un flux d’orthophosphates (PO4) de 20 mg/m2/jr à l’interface eau-sédiment, lorsque la teneur en oxygène au fond de la retenue est inférieure à 2 mg/l (DEMARE et coll., 1993). Une réduction des apports en phosphore n’est donc pas nécessairement suivie d’une diminution immédiate de l’eutrophisation, par suite de la présence, à côté des apports externes, d’une source interne de phosphore.

Mise à part le suivi en continu (oxythermomètre) de l’oxygène dissous et de la température, ainsi que des MES, NH4+ et pH en discontinu par prélèvements, la présence d’une station de production d’eau potable en aval d’un barrage nécessite le suivi particulier d’autres éléments, tels que le fer et le manganèse (ROUX et coll., 1990). Dans ces conditions, par mesure de sécurité, un seuil critique du taux de MES, au delà duquel les stations de production d’eau potable seront alertées, sera fixé en accord avec elles. Dans le cas d’un dépassement de ce seuil, des conditions particulières d’exploitation pourront être appliquées pendant la vidange, tels que le stockage ou l’arrêt momentané des captages en rivière pour éviter les problèmes de colmatage des champs captants. Un seuil est également fixé pour la teneur en ammoniac (NH4+) pour permettre le maintien de capacités de traitement satisfaisantes.

Remarque : L’oxygène dissous étant l’élément et l’indicateur principal de la qualité d’un cours d’eau, des mesures complémentaires de DBO (Demande Biochimique en Oxygène) pendant un, deux ou cinq jours à l’obscurité est un moyen peu coûteux d’amélioration de la description du bian en oxygène dissous (GOSSE? 1991), parallèlement aux mesures faites avec les oxythermomètres.

2-3 SEDIMENTATION ET RISQUES ECOTOXICOLOGIQUES

Il est indéniable que la création d’un plan d’eau à l’amont d’un barrage provoque un dépôt de sédiment et un envasement (DUBAND, 1989 et REMINI et coll., 1997). En effet, les rivières (affluents des retenues) transportent d’importantes quantités de sédiments qui alimentent en alluvions les plaines des basses vallées. L’importance de ce transport varie énormément selon la morphologie du bassin versant, et selon le régime des débits de la rivière car il dépend de la saison et de la variabilité interrannuelle des apports. Les cours d’eau transportent des matériaux grossiers (graviers, galets) et des sédiments fins (sable, argile) ; le mécanisme d’alluvionnement des retenues est fonction du type de retenue. Les sédiments grossiers sont le plus souvent transportés par charriage sur le fond, et ayant une vitesse de chute importante ils se déposent en queue de retenue. Le transport des sédiments fins est plus compliqué à appréhender selon l’écoulement amont est torrentiel donc susceptible d’engendrer un courant de densité et de transporter les vases jusqu’au pied du barrage, ou, que l’écoulement est fluvial avec une dispersion des vases dans toute la retenue. Les courants de densité sont les principales causes d’envasement des grandes retenues.

La principale difficulté, en exploitation, est l’appréciation des apports en matériaux solides à l’amont de la retenue, car il n’existe pas de relation directe entre le débit du cours d’eau et le flux de matières en suspension. Seule l’accumulation de données par retour d’expérience et la réalisation de modèles de sédimentation (CARLOS et coll., 1995), peuvent permettre d’améliorer les méthodes d’exploitation des retenues face à cette situation d’envasement.

Liés à la sédimentation des particules en suspension dans l’eau, certains éléments chimiques se retrouvent ainsi piégés (POIREL et coll., 1993 et ROFES et coll., 1991). Ces éléments chimiques, parfois toxiques pour le milieu (métaux lourds, pesticides), proviennent des redépositions atmosphériques et des nombreux flux polluants d’origine industrielle ou agricole situés en amont sur le bassin versant. Les concentrations mesurées lors des épisodes de vidanges sont certes élevées, mais restent bien souvent en deçà des concentrations susceptibles de provoquer des effets à court terme sur les populations vivant au sein du cours d’eau en aval. Ces polluants sont donc transférés à loccasion de la vidange après avoir été temporairement stockés dans la retenue. La gestion de ces pollutions doit donc se faire en terme de charge globale pour les écosystèmes en s’intéressant aux éventuels effets chroniques sur les communuautés vivantes.

Une étude menée sur les 5 retenues du secteur de la basse-Isère (EDF, AGENCE DE L’EAU RMC, 1993) a permis d’analyser des échantillons de sédiment prélevés en surface. Le programme analytique comprend le dosage de 9 métaux et métalloïdes, des solvants chlorés (chloroforme, etc...) et non chlorés (benzène, etc...), des pesticides chlorés (lindane, etc...), des chlorophénols, des chlorobenzènes, des PCB (polychlorobenzènes) et des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). Techniquement, il s’est avéré que le dosage des PCB posait des difficultés non résolues et les résultats correspondant ne sont pas pris en compte dans cette étude.

Ces analyses ont révélé la présence de :

- pollution métallique inférieure aux valeurs de référence pour le cadmium, le cuivre, le mercure, le plomb et le zinc. Un niveau de concentration supérieur à la normale est relevé pour l’arsenic, le nickel (toutes retenues) et le chrome (les 2 retenues les plus en aval). - pollution organique par les hydrocarbures aromatiques polycycliques uniquement sur 2 retenues.

Parallèlement à l’analyse des sédiments, l’étude a montré la présence chronique, en faible concentrations dans les eaux de l’Isère (devenant non décelable par très fort débit), de lindane et de solvants chlorés. Les composés organohalogénés totaux (TOX) sont également présents systématiquement à des concentrations plus importantes. Tous les autres éléments recherchés (mentionnés ci-dessus) n’ont jamais été décelés.

Cette étude des composés toxiques présents dans l’Isère a permis de mettre en évidence deux types de transferts de pollution dépendant de la nature dissoute ou particulaire des substances concernées.

La pollution dissoute se traduit par une présence chronique de solvants chlorés et de lindane. Ces composés ont peu d’affinité pour le support particulaire et ne sont pas fixés dans les retenues. Leurs concentrations dans l’eau sont cependant très faibles.

La pollution non dissoute correspond à des substances très liées au support particulaire et de ce fait leur transfert est très influencé par la présence des retenues ; le stockage au cours du temps du matériau particulaire conduit à une remobilisation importante de ces substances lors des crues et des vidanges de retenues.

A coté des deux types de pollution précèdents, une pollution bactériologique de l’eau n’est pas à exclure (BLANQUET et coll., 1996), compte-tenu de la forte mortalité des poissons lors des vidanges.

2-4 PERTURBATION DE LA VIE PISCICOLE

Les matières en suspensions :

Le rejet de sédiments à l’aval de la retenue, lors des vidanges ou des chasses, provoque une augmentation des taux de matières en suspension (MES) qui contiennent des matières réductrices organiques lesquelles s’oxydent au contact de l’eau et provoquent un déficit en oxygène dissous (DUBAND, 1989). Cette augmentation du taux de MES a une action directe sur les poissons en réduisant leurs possibilités de nage et en colmatant leurs branchies (d’où l’asphyxie des poissons), en réduisant leur résistance aux toxiques industriels, sels amoniacaux... provenant de l’amont et stockés dans les sédiments.

De même l’occurence d’un déficit en oxygène dissous accélère les mouvements respiratoires rendant sensible l’absorption par les poissons, de toxiques relargués après stockage dans les sédiments de la retenue, ce qui peut entraîner un taux de mortalité croissant ou des perturbations physiologiques. Tous ces effets dépendent du temps d’exposition. Il apparait que des concentrations inférieures à 2 mg/l d’oxygène dissous sont très dangereuses pour la faune piscicole et doivent faire l’objet d’un contrôle très strict si l’on souhaite éviter l’occurrence de mortalités massives pendant le passage du culot (POIREL et coll., 1993).

La détermination des cinétiques de mortalité de truites (poisson exigeant en oxygène dissous) a été réalisée expérimentalement au laboratoire d’écotoxicologie du CEMAGREF (POIREL et coll., 1993). On peut connaître après des données expérimentales à un modèle non linéaire approprié, la durée de survie d’une fraction d’une population de truites en fonction de la concentration en oxygène dissous dans le milieu. Il devient donc possible, en se fixant un seuil de mortalité maximum (par exemple 10 %), de déterminer la durée maximale d’un épisode polluant conduisant à une concentration déterminée en oxygène dissous. Cela apporte un outil de contrôle de la procédure de vidange utile notamment lors du pilotage à vue de l’ouverture des vannes pour laisser passer le culot.

A la suite de ces études de mortalité (à 10 %) des truites en fonction des teneurs en oxygène dissous et des matières en suspension, le graphe ci-dessous a été réalisé. Il présente la durée maximale d’exposition des truites à un couple (MES, O2) connu toujours pour un seuil de mortalité de 10 %.

Figure 6: isochrones pour un seuil de mortalité de 10 % des truites face au couple M.E.S. et O2 (d'après Poirel et al., 1993).


(*) extrait de:

CATHELINE C. (1998) - Vidange des barrages EDF: quels impacts sur l'environnement. Mém. D.E.S.S., univ. Picardie, Amiens, 66 p. + annexes.

adaptation: Jacques.beauchamp@sc.u-picardie.fr