Extraits de textes présentée à l’Agence de l’Eau de Douai en 1998

+ mise à jour : décembre 2008 



LA GUERRE DE L'EAU





LE CAS DE LA TUNISIE
 

Traditionnellement, 80 % des ressources en eau du pays étaient utilisées pour l’irrigation. Mais, en moins de vingt ans, l'usage de l’eau s'est considérablement transformé.

Aujourd'hui, la Tunisie doit pouvoir alimenter les villes -dont le rythme de croissance est très élevé-, les sites touristiques comme Hammanet ou les sites industriels regroupés notamment autour de Gabès.

D'importants transferts d'eau ont été opérés du sud et de l'ouest du pays vers les zones littorales. Ils se sont faits au détriment des terres agricoles dont les surfaces ont diminué de 18 % depuis 20 ans.

Si ces transferts se poursuivent à ce rythme, les experts estiment qu'en 2040, les villes côtières de Tunisie pourraient utiliser la totalité des réserves d'eau du pays. Ce qui compromettrait alors toute possibilité d’agriculture irriguée.


IRRIGATION
 
 

«  Les conditions climatiques et une pression démographique grandissante ont amené une très forte croissance de l'irrigation dans les pays arides et semi-arides. On estime que la superficie des terres irriguées a été multipliée par cinq à l’échelle mondiale depuis le début du siècle (240 millions d'hectares aujourdh'ui).

Mais la plupart des pays irriguants utilisent encore des techniques ancestrales d'irrigation gravitaire. Conséquence : la majeure partie de l’eau utilisée pour l'agriculture ne profite pas aux cultures (taux d'efficacité inférieur à 40 %).

Qui plus est, l’irrigation massives des zones arides entraîne, par l'intensité de l'évaporation, la remontée et l'accumulation de sel à la surface, (réduisant ainsi la production agricole de 25 à 30 %), ainsi que la pollution des eaux superficielles et souterraines notamment du fait des nitrates et des pesticides... »


DEMOGRAPHIE ET URBANISME
 
 

« La pression sur l'eau est intimement liée à la croissance démographique et urbaine dans le monde. Les experts envisagent une population de 8 milliards d'habitants d’ici l'an 2025 (contre 2,5 milliards en 1950). Cette population sera extrêmement concentrée dans les grandes villes : quarante mégapoles regrouperont chacune plus de dix millions d'habitants et on comptera six cent cinquante agglomérations de plus d'un million d’habitants. Plus globalement, les deux tiers de la population mondiale sera urbaine. Ses besoins en eau seront conséquents et indispensables. »
 


LES SEUILS DE PENURIE
 
 

Il est généralement admis, par les spécialistes des questions de géopolitique, que deux seuils caractérisent le niveau de pénurie en eau :

¨ Le seuil d'alerte, évalué à moins de 1 700 m3 d’eau par an et par habitant.
C'est la situation d’environ 80 pays aujourd’hui, soit 40 % de la population mondiale. En comparaison, la moyenne des Etats-Unis est de 10 000 m3 par habitant et par an (mais avec de fortes différences selon les états, notamment pour la Californie, au climat semi-aride).
Si rien n’est fait, d’'ci l’an 2025, la moitié de la population du bassin méditerranéen (600 millions d’habitants) devra faire face à de graves et régulières pénuries d’eau.

¨ Le seuil de pénurie chronique, inférieur à 1 000 m3.
Cette situation de pénurie régulière et générale touche 28 pays à ce jour, soit 335 millions d’habitants (et parmi eux : Somalie, Rwanda, Burundi, Kenya....). Ils devraient être une cinquantaine d’ici 2025 (soit près de 3 milliards d’habitants). Sont menacés : le Maroc, l’Algérie, la Lybie, la Syrie, la Jordanie, mais aussi l'Egypte, l'Iran, l'Ethiopie, la Tanzanie...

Plus nuancé, Jean Margat, consultant au Bureau de Recherche Géologique et Minière (France), définit l'état de pauvreté en eau lorsque les ressources par habitant sont inférieures à 1 000 m3/an et l’'ndice d’exploitation des ressources de 50 % (ce qui génère des pénuries locales ou conjonctuelles). L'état de pénurie en eau absolue correspond à des ressources par habitant inférieures à 500 m3/an, avec un indice d'exploitation proche de 100.

Sur cette base, il a comptabilisé, en 1995, 23 pays en situation soit de pauvreté, soit de pénurie en eau
( ce qui correspond à 125 millions d’habitants). Les projections à l'an 2025 font grimper ces chiffres à 35 pays, soit 1 145 millions d’habitants.


UNE NOTION DIFFICILE A IMAGINER POURTANT DEJA UNE REALITE
 

¨ Singapour achète une partie de son eau à la Malaisie, sous forme de contrats commerciaux.

¨ Malgré les tensions, Israël et la Jordanie essaient de mettre en place un système de compensation financière en échange d'un dépassement des quotas de pompage sur les eaux du  Jourdain.

¨ 30 % de la consommation en eau potable d'Israël provient du plateau de Golan. Mais ce plateau appartenait à la Syrie jusqu'en 1973. Israël serait prêt à payer une compensation financière pour l'eau pompée, sur la base d’un prix du mètre cube qui serait le même pour toute la région.

¨ L’Europe a proposé aux pays du bassin sud-méditerranéen d'oeuvrer pour une « communauté de l'eau et de l'énergie », de façon à ce que les ressources hydrauliques ne soient plus « une source de conflit mais de profit partagé ». Une sorte de partenariat où les pays du Nord, riches en eau, pourraient alimenter ceux du Sud en échange de ressources énergétiques. Mais cette proposition est refusée par nombre de pays dont l'Algérie et la Libye, qui estiment qu'un troc eau-hydrocarbure irait contre leurs intérêts....


CONTESTATION A PROPOS DU CAPTAGE DES EAUX DE L'EUPHRATE
 
 

Damas et Bagdad s'opposent aux choix hydrauliques d'Ankara.
 

La querelle sur le partage des eaux couve depuis le lancement par la Turquie, au début des années 80, d'un vaste programme hydraulique sur l'Euphrate. Elle a resurgi en novembre 1995, après l'annonce par Ankara d'un accord pour le financement de la construction d'un  barrage à Birecik, à moins de 50 kilomètres en amont de la frontière syrienne. Le nouvel ouvrage sera doté d'une centrale hydroélectrique. Inquiète des conséquences de la construction de ce nouveau barrage sur le débit de l'Euphrate, qui traverse la Syrie avant de rejoindre l'Irak, Damas a porté l'affaire en décembre devant la Ligue arabe et a averti les compagnies engagées dans la construction du barrage qu'elle les tiendrait pour responsables des éventuels dommages qui lui seraient infligés. « Il y a deux problèmes », affirme Abdel Aziz Almasri, ingénieur au bureau des eaux internationales à Damas. « D'une part, la Turquie, selon la loi internationale, ne peut établir ce quatrième barrage avant un accord tripartite turco-syro-irakien sur un partage équitable des eaux. D'autre part, l'eau que nous recevons aujourd’hui est si polluée que c'est une menace pour la population qui vit le long des terres irriguées ». Ces accusations ont été reprises par l'Irak qui, à son tour, s'est plaint auprès de la Ligue arabe. La Turquie affirme, pour sa part, qu'elle a toujours respecté le protocole temporaire signé en 1987 avec Damas, qui prévoit un débit de l'Euphrate de 500 m3 par seconde à la frontière syrienne.

Ankara s'en tient à un plan en trois phases : une étude ressources en eau du bassin Euphrate-Tigre, une étude des terres agricoles et donc des besoins en eau des trois pays et une évaluation des conclusions pour déterminer une distribution « raisonnable , équitable et optimale ». La Syrie se fonde sur un accord conclu en janvier 1993 avec la Turquie, qui prévoyait la « conclusion d 'un accord définitif fixant les quotes-parts en eau » des trois pays. Depuis, il n'y eut aucun progrès. Les comités mixtes tripartites, qui ont tenu seize réunions jusqu'en octobre 1992, ne se sont plus réunis. La querelle sur l'eau révèle en fait des différends d'ordre politique entre la Syrie et la Turquie, d'une part, la Syrie et l'Irak, d’autre part.
Bien qu’elle se défende d'établir un lien quelconque entre le terrorisme et les problèmes d'eau, il est évident que la Turquie, qui reproche à Damas son soutien aux Kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan, en lutte armée contre Ankara), utilise la question de l'eau comme un moyen de pression sur Damas. Ankara a récemment demandé aux Etats-Unis et à Israël de tenir compte du « soutien syrien aux terroristes du PKK » avant tout accord avec la Syrie. Bagdad a utilisé ce problème pour tenter un rapprochement avec Damas, avec laquelle elle n'entretient plus de relations diplomatiques depuis 1980. toutefois, la Syrie n'a pas accédé à la demande irakienne de créer un comité technique permanent, qui aurait signifié l'ouverture d'un point de la frontière entre les deux pays. En revanche, on n'exclut pas à Damas la possibilité d'une rencontre entre les deux ministres des affaires étrangères en mars au Caire, en marge d’une réunion de la Ligue arabe, qui débattra des plaintes syro-irakiennes contre la Turquie et dont la Syrie attend « une attitude ferme et un appui total », a indiqué M. Rifaï. Damas dispose déjà du soutien de l'Egypte et de six monarchies pétrolières du Golfe.
 



 

UN ENJEU DE TAILLE ENTRE ISRAËL ET LES PALESTINIENS
 
 

La question de l'eau et de sa répartition entre les 5 millions d’Israëliens et les 2,4 millions de Palestiniens des territoires autonomes et occupés est plus explosive que la douloureuse question des colons juifs en terre palestinienne, plus compliquée à régler que le sort définitif des deux secteurs de Jérusalem et plus lourde de conséquences que la grande affaire des 3 millions de réfugiés palestiniens « de l'extérieur ». Comment partager des nappes aquifères qui se moquent des frontières et prennent au contraire un malin plaisir à relier, sous terre, des entités opposées en surface ?

Inscrit, comme la question des réfugiés, dans le cadre de négociations multilatérales qui réunissent une vingtaine de pays dans diverses capitales, le problème de l'eau s’est brutalement posé aux deux parties, lorsque Israël a accepté de transférer à l'autorité palestinienne la responsabilité de l'agriculture. Trop de monde pour trop peu de sources. L'adéquation tient en quelques chiffres. Le potentiel d’eau potable est d'environ 10 000 m3 par personne dans un pays comme les Etats-Unis, il est de 260 m3 en Jordanie et de 460 m3 en Israël. Or, comme disait récemment Yaakov Tsour, ministre de l'Agriculture, l'Etat juif tire aujourd'hui plus du tiers de sa consommation d’eau potable, les 300 000 colons juifs inclus, de trois grandes nappes phréatiques partiellement ou totalement situées en Cisjordanie. Au total, selon le ministre, ces trois nappes produisent 650 millions de m3 par an. Bien que 130 millions seulement soient à l'heure actuelle destinés aux Palestiniens, le reste allant pour l’essentiel aux  Israëliens, Yaakov Tsour a été clair : « Nous n'allons certainement pas entrer dans une bataille de redistribution avec les Palestiniens ».

La plus grande première nappe phréatique part de la région palestinienne d'Hébron et s’étire, sous Israël proprement dit, jusqu'à la côte méditerranéenne. Plus de 350 millions de m3 y sont pompés chaque année. La seconde nappe s'étend de la ville arabe de Djénine jusqu’à la région israëlienne du mont Gilboa. Celle-ci a un débit de 140 millions de m3 par an. Enfin, la nappe dite « orientale » a une capacité de 170 millions de m3 et n'est pas entièrement utilisée. Israël a accepté que les Palestiniens puisent essentiellement dans la nappe « orientale » 90 millions de m3 supplémentaires par an, dont 50 millions seraient détournés vers la bande autonome de Gaza. C'est en tout cas cette nappe, si les deux parties se mettent d'accord, que les Palestiniens pourraient tirer l'eau qui manque si cruellement à leur agriculture (près de 60 % des Palestiniens, mais moins de 10 % des Israëliens, vivent encore de l'agriculture). Cette nappe orientale est située dans la vallée du Jourdain, région frontalière de la Jordanie, qui fait intégralement partie des territoires occupés, mais dont l’Etat juif entend conserver le contrôle exclusif, y compris, jusqu’au règlement définitif de la question israëlo-palestinienne.

« Regardez cent ans en arrière », conseillait récemment au National Geographic Jacob Bear, professeur d'hydrologie en Israël, « et vous verrez que c’est d'abord l'agriculture qui déterminera nos frontières ».
 
 Une mise au point récente est parue en novembre 2008 dans la revue "HYDROPLUS"  (voir référence).


RESSOURCES, PRECIPITATIONS ET ECOULEMENT DE L’EAU
 
 

« ...Les ressources ne sont que très imparfaitement définies par la répartition des précipitations. Les précipitations sont, si l'on veut, le revenu brut en eau, avant impôt. L’évaporation étant l'impôt, ce que le ciel reprend. Seuls les chiffres de l'écoulement nous donnent une idée du revenu net en eau disponible, moyennant effort, aménagement hydraulique...

D'un continent à l'autre, les variations dans les ressources en eau sont considérables. L'Europe, l'Amérique du Nord, ont ainsi un écoulement total qui représente plus du tiers des précipitations reçues. Avec un total de précipitations deux fois et demie supérieur à l'Europe, l'Afrique ne dispose pourtant que d'un écoulement total égal à 20 % de ses précipitations.

Le contraste entre les différentes régions climatiques est encore plus saisissant. Les zones arides ou semi-arides qui couvrent le tiers des terres émergées ne reçoivent que 6,4 % des précipitations et n'engendrent que 2 % des écoulements. Quelques fleuves « transclimatiques », comme le Nil, l'Indus ou le Colorado, corrigent heureusement un peu cette disparité de la nature, en transférant aux régions arides des écoulements formés en zone humide : cela double les ressources naturelles en eau des régions arides, mais n'élève leur part qu'à 4 % de l'écoulement mondial.

La faiblesse des ressources en eau des zones arides s'explique d'abord par l’'ntensité de l'évaporation subie. En zone tempérée, l'évaporation ne joue qu'une fois. Ce qui ne s'est pas évaporé après la pluie coule définitivement vers la mer. En zone aride, en revanche, l'évaporation joue deux fois. D'abord, immédiatement après la pluie, mais également lorsque les fleuves arrivent en plaine... »
 



 

L'EGYPTE ET LA LIBYE
 

« L’Egypte et la Lybie sont au premier rang des pays où la question des ressources en eau risque de se poser de façon cruciale dans les prochaines années.

Au début des années 70, l'Egypte a connu, grâce à la construction du barrage d'Assouan, une relative abondance en eau qui lui a permis de faire face à la hausse de sa consommation tout en maintenant une agriculture inondée traditionnelle mais très coûteuse en eau. La ressource d’'au disponible n'augmentant pas, l'Egypte, avec 86 millions d’habitants en l’'n 2025, risque de se retrouver dans une situation de pénurie d’eau. Le barrage d'Assouan n'aura été qu'un répit pour deux générations. Déjà, comme la Libye voisine, l'Egypte envisage de puiser dans ses ressources en eau souterraine pour faire face à l'accroissement de la demande.

Aujourd'hui, en effet, les 9/10 de l'approvisionnement en eau de la Libye proviennent non pas de l'écoulement superficiel mais du pompage direct dans les stocks d'eau souterraine du pays. Le rythme d’extraction y est actuellement si élevé que, dans moins de cinquante ans, la Lybie devra diviser par dix ses approvisionnements en eau souterraine. Les réserves d'eau ne seront pas pour autant réduites à zéro, il faudra simplement attendre, sans doute plus d'un siècle, pour que le niveau remonte suffisamment....

Ressource quasiment inépuisable, l'eau risque ainsi, au rythme d'une extraction intensive, de devenir, dans certains pays de la zone aride, une denrée non renouvelable à l'échelle humaine. Au Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite connaît, tout comme la Libye, la même surexploitation des stocks d'eau souterraine. Pour des raisons de prestige, l'Arabie Saoudite s'est lancé à grands frais, en plein désert, dans la culture irriguée du blé, provoquant là encore une chute inquiétante du niveau des nappes souterraines. Le niveau des nappes baisse en effet de plusieurs dizaines de mètres par an ... »
 


MAIS AUSSI...
 

¨ L’Afrique concentre d'autres lieux de tensions : autour du fleuve Congo et du lac Victoria (partagé entre l'Ouganda, le Kenya et la Tanzanie) ; entre l'Afrique du Sud et le Botswana (à propos du détournement du fleuve Zambèze), face au Mozambique et à la Zambie.

¨ En voulant exploiter les nappes aquifères fossiles du Sahara pour alimenter le nord du pays par une canalisation géante de 4 000 km, la Libye se heurte à la vive opposition des pays riverains : Tchad, Soudan, Niger et surtout Egypte. Il apparaît que les inquiétudes hydrologiques (abaissement du niveau du Nil et des autres nappes aquifères), par ailleurs peu fondées, soient exacerbées par des rivalités politiques très fortes.

¨ Contre l'avis de nombreux experts, de défenseurs de l'environnement, et même de la Banque Mondiale, la Chine s’est engagée dans la construction du plus grand barrage du monde sur le Yangzi Jiang. Un projet pharaonique lourd de conséquences : 21 villes et 4 500 villages engloutis, plus d'un million de personnes déplacées, un investissement estimé à 500 milliards de francs, 16 ans de travaux, risque d'assèchement du Huang He, danger potentiel en zone sismique, pollutions des eaux...

¨ Un conflit latent demeure depuis de longues années entre la Russie et la Chine autour du fleuve Amour.


La résolution des conflits générés par la gestion des ressources en eau devrait être faite dans un cadre international. Dans ce cadre, des études de cas ont été effectuées et des solutions proposées dans différentes régions du globe:

http://www.unesco.org/water/wwap/pccp/case_studies.shtml

fdd


REFERENCES:

Jacquetot V. de (2008) - Pénurie à Gaza et dans les territoires palestiniens. Hydroplus, 184, p. 16.

LIENS

Agence de l'Eau
Office International de l'Eau
Cahiers Sécheresse
http://www.unesco.org/water/

mise à jour: décembre 2008

Jacques Beauchamp