Jacques Beauchamp/ SEDIMENTOLOGIE

Chapitre 3
 
 

L'ALTERATION DES CONTINENTS





1. PRINCIPAUX ASPECTS DE L'EROSION CONTINENTALE

La destruction du continent constitue la source principale des matériaux sédimentaires. Ce phénomène intéresse aussi bien les roches magmatiques que les roches métamorphiques et sédimentaires. Les êtres vivants y contribuent également. Les actions purement mécaniques des agents d'érosion produisent des fragments qui sont à l'origine des roches détritiques. Les phénomènes chimiques donnent des solutions de lessivage qui sont les sources des minéraux néoformés des roches d'origine chimique. Les roches érodées forment un manteau d'altération (éluvion) qui après lessivage peut donner des roches résiduelles riches en fer, en aluminium... La contribution des organismes à cette couche, sous forme d'humus, aboutit à la formation d'un sol dont la nature et l'épaisseur varie selon les climats. Les composants de cette pellicule d'altération sont déblayés à leur tour et transportés sous forme solide ou en solution. Ils peuvent se déposer temporairement dans des pièges continentaux (rivières, lacs) mais sont finalement remobilisés à plus ou moins longue échéance pour être déversés dans le milieu marin. Ces transformations, surtout chimiques, correspondent à une adaptation des roches aux conditions physico-chimiques de la surface.


2. LA DESAGREGATION MECANIQUE

Un certain nombre d'agents physiques produisent la fragmentation des roches. Les variations de température entraînent la dilatation ou la contraction des roches: soumise à des variations de volume incessantes, un roche se fissure puis éclate. La fissuration est importante dans les roches composées de minéraux différents n'ayant pas le même coefficient de dilatation: des microfissures apparaissent à la limite entre les minéraux. L'eau qui pénètre dans les fissures et les pores puis gèle avec augmentation de volume ajoute son effet. Les cristaux de glace s'accroissent perpendiculairement à la surface de la fente et augmentent son ouverture: la roche est gélive, elle éclate sous l'effet du gel (exemple, la craie). La désagrégation mécanique est particulièrement importante sous les climats désertiques où les variations de température peuvent dépasser 50 °C entre le jour et la nuit. Elle est également grande sous les climats humides dont la température varie autour de 0 °C (action du gel et du dégel). Elle est responsable de l'accumulation des manteau d'éboulis caractéristiques des zones désertiques et des montagnes. La cristallisation du sel ajoute son action le long des littoraux et dans les zones désertiques. Près des côtes, les embruns salés pénètrent dans les pores des roches. Les cristaux de sels s'y développent et produisent des craquelures. Les sulfates de Na et Mg sont les plus efficaces. Enfin, le transport par l'eau, et accessoirement l'action du vent, use les matériaux et produit des éléments plus fins: limons, poussières...


3. ROLE DE L'EAU DANS L'ALTERATION

Une des caractéristique les plus importante de la surface de la Terre est l'abondance de l'eau, tant sous forme liquide que solide ou gazeuse. Les molécules d'eau sont chargées electriquement et se comportent comme des dipôles; cette propriété est dûe à la liaison covalente asymétrique qui unit les atomes d'hydrogène à l'oxygène. Les deux atomes d'hydrogène sont placés d'un seul coté et engendrent une faible charge. La nature polaire de la molécule d'eau permet l'établissement de liaisons hydrogène entre les molécules qui se disposent en groupes tétraédriques. Les propriéts de l'eau découlent de cette structure. L'eau est un trés bon solvant car les extrémités positives ou négatives de la molécule peuvent s'attacher aux ions négatifs ou positifs. Le groupement des molécules d'eau en tétraèdre explique la forte tension superficielle et la capillarité, et la large plage de température selon laquelle l'eau est à l'état liquide. L'abaissement de température diminue l'agitation thermique des molécules et favorise les liaisons hydrogène: les molécules se groupent et la viscosité de l'eau augmente. L'abaissement de température produit également l'augmentation de la densité, jusqu'à 4°C; en dessous, les molécules se réarrangent progressivement en structure hexagonale (glace) et la densité diminue jusqu'à atteindre un minimum à -22°C. Les molécules d'eau s'ionisent en H+ et OH-.. La concentration des H+ définit le pH. A la température ordinaire, il y a seulement 10-7 moles par litre d'ions hydrogène (et autant de OH-) dans l'eau pure: le pH est neutre (pH=7). L'apport d'ions hydrogène diminue le pH; cette acidité est produite notamment par le CO2 et les acides humiques du sol.

H2 O + CO2 ------> H2 CO 3-------> H+ + (HCO3) -

Les ions hydrogène sont responsables de la destruction des réseaux silicatés: ils déplacent les cations métalliques qui se recombinent avec les OH- (hydrolyse).


Figure 3-1: Structure de la molécule d'eau


4. LES REACTIONS CHIMIQUES DE L'ALTERATION

4.1 Exemple d'un profil d'altération

L'altération d'une grano-diorite à été étudiée aux Etats Unis (Boulder, Colorado) sur une épaisseur de 30 m. Les résultats sont portés sur la figure. La roche est d'abord décolorée puis colorée en rouge à la surface. Le quartz et, en une moindre mesure, le microcline sont stables. Les plagioclases, la biotite et l'amphibole sont détruites. De nouveaux minéraux apparaissent comme les minéraux argileux et les oxydes de fer. L'analyse chimique montre un enrichissement en Al2 O 3, Fe 2 O 3 et K2 O, un appauvrissement en Si O 2, Fe O, Ca O et Na 2 O.


Figure 3-2: Profile d'altération d'une grano-diorite.




4.2 Principales réactions d'altération

L'altération chimique des roches se fait en présence d'eau; elle a lieu essentiellement en climat humide. Les réactions sont des hydrolyses, accessoirement des oxydations, des hydratations, des décarbonatations pour les roches calcaires. Les éléments solubles sont lessivés. Les parties insolubles restent sur place, se recombinent et forment des minéraux de néoformation, principalement des argiles. Les organismes peuvent intervenir à tous les stades de ce processus. Ils fournissent en particulier des matériaux minéraux ou organiques.

a) Dissolution

Ce processus physique simple intéresse les roches salines: sel gemme, potasse et gypse.

b) Oxydation et réduction

Les oxydations intéressent surtout le fer qui passe de l'état fereux à l'état ferrique.

Les réductions sont plus rares; elles interviennent dans les milieux hydromorphes et produisent en particulier le passage du fer ferrique au fer ferreux soluble.

c) Hydratation

C'est une incorporation de molécules d'eau à certains minéraux peu hydratés contenus dans la roche comme les oxydes de fer; elle produit un gonflement du minéral et donc favorise la destruction de la roche.

d) Décarbonatation

Elle produit la solubilisation des calcaires et des dolomies généralement sous l'action du CO2 dissous dans l'eau:

        Ca CO 3 + CO 2 + H 2 O ------> Ca (CO 3 H) 2 soluble

e) Hydrolyse

Les hydrolyses, c'est à dire la destruction des minéraux par l'eau, sont les principales réactions d'altération.

* L'hydrolyse est totale lorsque le minéral est détruit en plus petits composés possibles ( hydroxydes, ions).

Cas d'un feldspath sodique, l'albite:

(Al2 O3, 3 H2O) Na Al Si 3 O 8 + 8 H 2 O -----> Al (OH) 3 + 3 H 4 SiO 4 + Na +, OH -

Les corps résultants peuvent ensuite réagir entre eux et donner des minéraux argileux.

* L'hydrolyse est partielle lorsque la dégradation est incomplète et donne directement des composés silicatés (argiles). Ces composés diffèrent selon les conditions de milieu. L'hydrolyse partielle de l'albite donne soit de la kaolinite, soit des smectites. (1) Formation de kaolinite:

Na Al Si 3 O 8 + 11 H 2 O-------> Si 2 O 5 Al 2 (OH) 4 + 4 H 4 SiO 4 + 2 ( Na+, OH -)

(2) Formation de smectite

2,3 Na Al Si 3 O 8 + H 2 O ---> Si 3,7 Al 0,3 O 10 Al 2 (OH) 2 Na 0,3 +3,2 H 4 SiO 4 + 2 ( Na+, OH- )

Cette 2ème réaction reste assez théorique car d'autres ions y participent, en particulier le Fer (Fe 3+).
 

4.3 Minéraux formés

Les nouveaux minéraux formés sont en général des phyllosilicates. Ces minéraux proviennent soit de la transformation d'un phyllosilicate pré-existant, soit d'une néoformation à partir d'un silicate non en feuillet à la suite du réarrangement de la structure cristalline. Les réactions ont lieu surtout dans le sol. Les phyllosilicates formés sont des minéraux argileux de deux types:

* type 1/1: le feuillet comporte 1 couche à tétraèdres SiO 4 et 1 couche à octaèdres AlO6

* type 2/1: le feuillet comporte 3 couches, à savoir 1 couche octaèdrique comprise entre 2 couches tétraèdriques. Lorque les nouveaux minéraux argileux sont formés à partir des micas (muscovites, biotites et chlorites), le réseau cristallin est plus ou moins conservé, on parle de transformation. Lorsqu'ils sont formés à partir de silicates qui ne sont pas en feuillets (feldspaths, amphiboles, olivine...), le réseau cristallin du minéral d'origine est complètement détruit, on parle de néoformation.


Figure 3-3: Structure des phyllosilicates des argiles.

* Muscovite

Elle est assez stable. Sa fragmentation donne des petites paillettes de même composition chimique appelées séricite. Son altération chimique se fait par perte progressive d'ion K+; elle donne de l'illite, puis des argiles de 2 types selon les conditions de drainage du milieu: la kaolinite en milieu lessivé, les smectites en milieu confiné. Les minéraux intermésiaires formés sont les vermiculites et les interstratifiés. Corrélativement, la distance inter-réticulaire, qui sépare les feuillets d'argiles, augmente et passe de 10 A° (muscovite, illite) à 14 A° (smectite) ou 7 A° (kaolinite; en fait on peut admettre que 2 feuillets de kaolinite sont obtenus à partir d'un d'illite, soit 2 x 7 = 14 A° également). Les ions K+ assurent la cohésion des feuillets argileux. L'altération se manifeste par l'exfoliation des feuillets, bien visibles au microscope électronique, qui produit des particules de plus petites taille, qelques 0,1 microns, et augmente la surface de contact du minéral et la capacité d'échange des cations avec les solutions du milieu.

* Feldspaths

Bien qu'il s'agissent de tectosilicates, leur altération est comparable à celle de la muscovite (voir également paragraphe 4.2).

* Biotite

Sa résistance à l'altération dépend de la teneur de Fe++ dans le cristal; son état d'altération est exprimée par la quantité de K+ extraite du réseau. La biotite peu oxydée (surtout à Fe++) est trés altérable et se comportent comme les autres minéraux ferro-magnésiens (pyroxènes...); elle donne en particulier des vermiculites et smectites et de l'oxyde ferrique qui précipite. La biotite plus oxydée (Fe+++ surtout) est plus stable.

* Autres ferromagnésiens

Leur altération est semblable à celle de la biotite peu oxydée; ils donnent de la vermiculite, des smectites, des chlorites ou des argiles magnésiennes si le milieu est trés confiné.

4.4. La complexolyse

C'est une variante de l'hydrolyse en présence de matière organique. Les composés organiques de l'humus extraient les cations métalliques des réseaux cristallins. Les minéraux sont détruits; les cations sont fixés sur les composés organiques en donnant des complexes organo-métalliques. Les cations se liant aux grosses molécules organiques de l'humus sont surtout les ions Al 3+, Fe 2+ et Fe 3+.


5. FACTEURS CONTROLANT L'ALTERATION

5.1 Résistance d'un minéral à l'altération

L'énergie de liaison varie selon le type d'ions concernés. Le K+ est faiblement lié à l'oxygène, le Fe++ et le Mg++ le sont moyennement; le Si 4+ établit au contraire des liaisons trés fortes. On comprend ainsi que le quartz, tectosilicate ne comportant que des liaisons fortes entre le silicium et l'oxygène, résiste mieux à l'altération; l'olivine en revanche, contenant des cations moins liés (Fe++ et Mg++) a un réseau cristallin plus fragile. GOLDICH (1938) a établi l'ordre de résistance des minéraux à l'altération:

Labile olivine ...................................................................plagioclases Ca

Résistant......................................quartz

On remarque que cet ordre évoque les suites de BOWEN: ce n'est pas un hasard. Dans un magma, l'olivine cristallise à haute température, elle est donc particulièrement instable dans les conditions de surface; elle est la plus labile. Le quartz, en revanche est formé à une température moins élevée, il est plus stable. Le type de réseau cristallin intervient dans la stabilité du minéral en surface. Les phyllosilicates, comme la muscovite, résistent mieux à l'altération. Des travaux récents ont permis d'évaluer la vitesse d'hydrolyse d'un minéral silicaté en mesurant la vitesse de libération de la silice issue du minéral dans le milieu . Cette vitesse est fonction de la surface de contact du minéral, du pH et d'une constante de vitesse de libération "K" propre au minéral qui est mesurée en mole/m2/an; voici quelques valeurs de K:

On retrouve plus ou moins l'ordre établi par GOLDICH.
 

5.2 Mobilité des ions

La mobilité d'un ion dépend de son rayon et de sa charge ionique.

* Rayon ionique:

La taille des ions détermine leur arrangement cristallin; le nombre de coordination d'un ion par rapport à l'oxygène est le nombre d'ions oxygène qui peuvent se disposer autour de l'ion considéré:

* Charge ionique :

la charge Z d'un ion est égale à 1+, 2+, 3+...

* Potentiel ionique:

c'est le rapport Z/r; il détermine le comportement des ions. La classification établie par GOLDSCHMIDT distingue 3 groupes d'ions d'après la valeur du potentiel ionique:

La répartition des charges électriques à la surface de l'ion explique son comportement vis-à-vis de l'eau.

* oxyanions solubles: leur potentiel ionique est grand, leur surface est fortement chargée. Ces ions dissocient les H+ des molécules d'eau et s'associent avec les O--: les ions soufre donnent des ions sulfates (SO4)2-, les ions carbone des carbonates (CO 3)2-, les ions phosphore des phosphates (PO4)3-...

* hydrolysats: la dissociation de l'eau est partielle en H+ et OH-. Les cations s'unissent aux OH- et forment des hydroxydes insolubles (Fe2 O3, Al2 O 3...)

* cations solubles: leur potentiel ionique et leur densité de charge de surface sont faibles. Ils n'ont pas d'action sur la molécule d'eau et restent dispersés.


Figure 3-4: classification des ions par Goldschmidt.

La valeur du potentiel ionique permet donc d'expliquer l'association de certains métaux dans les minéralisations (par exemple la paragénèse plomb-zinc), le lessivage des cations solubles et des oxyanions comme le potassium, les sulfates, l'immobilité relative des hydrolysats comme l'Al (OH)3 (gibbsite).
 

5.3 Facteurs externes contrôlant l'hydrolyse

Ce sont les facteurs physico-chimiques qui participent notamment à la définition du climat:

* la concentration en SiO2 exprimée en concentration d'acide silicique H 4 SiO 4,

* la concentration en cations basiques (Na+, Ca++, K+),

* le pH déterminé en particulier par les acides organiques,

* la température dont l'augmentation régit la vitesse des réactions et la possibilité de dissolution des ions dans l'eau,

* la vitesse de circulation de l'eau dans le milieu (drainage) exprimant les conditions de confinement ou de lessivage.

5.4 Cas du Fer

La solubilité du Fe dépend de la stabilité du système Fe2+ / Fe3+. De plus, l'hydroxyde ferrique, hydrolysat insoluble, peut être solubilisé par ionisation en pH acide.

Figure 3-5 : stabilité du système Fe2+ / Fe3+ en fonction de l'Eh et du pH pour une solution diluée à température de 25°C et pression atmosphérique.


Figure 3-6 : solubilité du Fe3+ en fonction du pH de la solution.

On voit que dans les conditions naturelles, l'état d'oxydation du fer dépend du pH: le fer ferreux est stable à pH acide, le fer ferrique à pH basique. Dans les milieux à l'abris de l'air (sol, fond de marécage...) le fer est à l'état ferreux ; il passe à l'état ferrique au cours de l'altération à l'air. Il est lessivé en partie par l'eau de pluie légèrement acide et transporté par les rivières. Arrivé dans l'eau de mer à pH basique, sa solubilité diminue fortement et il précipite.

5.5 Solubilité de la silice

Elle est principalement sous forme d'acide silicique H 4 SiO 4; l'eau de rivière en contient environ 13 mg/l. Le pH a peu d'action sur sa solubilité dans les conditions normales (la solubilité de la silice augmente au delà de pH = 9 ). Il y a en fait relativement peu de silice transportée car les ions Al3+ réagissent sur elle pour donner des amas colloïdaux silico-alumineux peu mobiles. La figure 7 montre la solubilité du quartz en fonction du pH et de la température. L'axe des ordonnées indique la quantité de silice perdue par le cristal et passant en solution. Cette quantité est grossièrement multipliée par 10 entre 0 et 60°C; l'action du pH ne se fait sentir qu'au delà de pH = 9.


Figure 3-7: solubilité de la silice.

Les figures 8 et 9 montrent les champs de stabilité de quelques minéraux , dans les conditions de surface (t = 25°C, pression atmosphérique), en fonction de la concentration en silice et en cations. On voit que l'albite est stable pour des concentrations en Na+ et silice élevée; quand ces concentrations deviennent faibles, l'albite est totalement hydrolysée en gibbsite, hydroxyde d'aluminium de formule Al(OH)3 (ou Al2 O3, 3 H 2 0) ; pour des teneurs moyennes, elle est hydrolysée partiellement et se transforme en kaolinite ou en smectite sodique selon la teneur en ion Na+. Le même schéma est observé pour l'anorthite (plagioclase calcique); le champ de stabilité de la smectite calcique est plus vaste; ce minéral sera plus commun dans les produits d'altération.

Figures 8 et 9: champ de stabilité de quelques minéraux
.


6. MECANISMES DE L'HYDROLYSE

L'expérience classique de Frederickson et Cox, bien qu'effectuée à température et pression élevée, donne une bonne idée des mécanismes et des produits de l'hydrolyse des silicates. Elle a porté sur 3 tectosilicates, quartz, albite, anorthite. Dans les 3 cas, les auteurs ont obtenu des fragments de cristaux de taille colloïdale, de gros fragments (de l'ordre du micron) et des ions. Les expériences ultérieures, poursuivies dans les conditions physico-chimiques de surface, ont abouti aux mêmes résultats. Les auteurs en concluent que la structure d'un cristal ressemble à une mosaïque: des portions sont bien cristallisées et résistent mieux à l'altération; elles sont réunies par des zones moins bien cristallisées qui sont plus altérables et libèrent leurs ions. Ces derniers peuvent polymériser et former des amas colloïdaux et des chaînes silicatées. Frederikson a proposé d'expliquer l'action de l'eau sur un cristal silicaté comme un feldspath. La surface du cristal est chargée négativement car les tétraèdres SiO4 qui le composent ne sont pas saturés à la surface. Les dipôles d'eau se disposent à la surface du cristal du coté de leur charge positive (H+), les protons H+ pénètrent dans le réseau cristallin où ils entrent en compétition avec les cations comme Na+, K+, Ca+++ qui sont faiblement liés aux ions oxygène (voir paragraphe 3) alors que les H+ établissent des liaisons fortes. Les gros cations sont déplacés et passent en solution; le réseau cristallin est déstabilisé, certains oxygènes non coordonnés se repoussent et le cristal se fragmente en tronçons.


7. ROLE DES ORGANISMES DANS L'ALTERATION

7.1 Principaux effets des êtres vivants sur les roches

Les études ont porté notamment sur l'effet des organismes adhérant à une roche: algues vertes, diatomées, lichens, champignons, bactéries. Ceux-ci adhèrent à la surface grâce en particulier à des organes appropriés qui pénètrent dans les fissures et exfolient les minéraux lamellaires (hyphes de lichen exfoliant la biotite). Ils produisent une désagrégation et une microdivision de la surface de la roche ainsi qu'une attaque chimique par sécrétion d'acide oxalique produit par les lichens comme par les racines des végétaux supérieurs. Les cations des minéraux sont extraits par complexolyse. Sous les lichens adhérant à la roche est mise en évidence la formation de composés mal cristallisés à base de Si, Al et Fe, de nombreux composés à base de Ca et des gels organo-minéraux , résultats de la complexolyse et précurseurs du sol.

7.2 Rôle de la matière organique

Elle intervient dans la complexolyse (voir paragraphe 4.4. )


8. BILAN DE L'ALTERATION

Une réaction générale d'hydrolyse peut s'écrire:

Minéral Primaire + Réactifs en solution -------> Minéral Secondaire + Solution de lessivage

facteurs: composition chimique et minéralogique,température, pH , temps de contact ,concentration, drainage,granulométrie...

La destruction des édifices cristallins silicatés produit des fragments de chaine silicatées qui, au moins dans un premier temps, restent sur place, et des ions solubles qui sont emportés par l'eau ou lessivés. L'importance respective de l'héritage, des transformations et des néo-formations est étroitement liée à l'intensité de l'altération et au lessivage. Pour une altération et un lessivage faible , les argiles 2/1 se forment. Avec l'augmentation de l'intensité de ces paramètres, ce sont des argiles 1/1,plus pauvre en silice, qui sont synthétisées. Pour un fort lessivage,les cations solubles sont entraînés et les phyllosilicates ne peuvent plus se former: il reste sur place le quartz et les oxydes de fer et d'aluminium.


9. FORMATION DES SOLS (pour plus de détail, voir le cours de pédologie)

9.1. Quelques définitions

Un sol est une pellicule d'altération recouvrant une roche; il est formé d'une fraction minérale et de matière organique (humus). Un sol prend naissance à partir de la roche puis il évolue sous l'action des facteurs du milieu, essentiellement le climat et la végétation. La pédologie est l'étude des sols. La pédogénèse est la formation et l'évolution des sols. Le sol apparait, s'approfondit et se différencie en strates superposées, les horizons pédologiques, qui forment le profil pédologique. Il atteint finalement un état d'équilibre avec la végétation et le climat. Les principaux horizons sont les suivants:

* Horizon A: horizon de surface à matière organique (débris de végétaux)

* Horizon C : roche peu altérée

* Horizons B: horizons intermédiaires apparaissants dans les sols évolués. Selon le type de formation et la composition, ils sont désignés par S, E, BT,  BP...

Les sols peu évolués ont un profil AC, les sols évolués ont un profil ABC. Les horizons B sont formés par l'altération de la roche ou par les mouvements de matière depuis A.

9.2. La fraction minérale du sol

La destruction des roches se fait (1) par désagrégation mécanique qui donne des fragments et (2) par altération chimique qui produit des ions solubles (cations, acide silicique...), des gels colloïdaux par hydratation et polymérisation des cations comme le fer et l'aluminium avec la matière organique (complexolyse) et des argiles, contituants fondamentaux du sol. L'ensemble constitue le complexe d'altération. L'altération demande de l'eau et une température suffisante; elle est moyenne en climat tempéré, elle est maximale sous climat équatorial. Elle se fait par hydrolyse pour les roches silicatées (voir ci-dessus), par décarbonatation pour les roches calcaires (solubilisation du carbonate par le CO2 contenu dans l'eau). La désagrégation mécanique caractérise les climats froids ou désertiques.

Le complexe d'altération comprend la fraction argileuse héritée, transformée en néoformée et d'autres constituants, cryptocristallins ou amorphes, comme les oxyhydroxydes de Fe, Al, Mn, Si, associés aux argiles et complexés avec l'humus.

Les oxyhydroxydes de Fer sont en particulier la goethite de couleur ocre (Fe OOH) en climat humide, l'hématite rouge (Fe2 03) en sol fersialitique. Ils assurent les liaisons entre argiles et humus. Les formes complexées évoluent vers des formes cryptocristalline puis cristalline.

L'aluminium est sous forme d'ion Al+++ hydraté responsable de l'acidité du sol. Comme le fer, ils assurent les liaisons argiles-matière organique et peuvent se fixer sur les feuillets de vermiculite pour donner une chlorite. Les formes cristallines de l'aluminium comme la gibbsite (Al OH3) et la bohémite (Al OOH) sont rares dans les sols des climats tempérés.

Le silicium est sous forme soluble (H4 Si 04) ou sous forme de silice amorphe de 2 origines possibles : - la bioopale des phytolithes (diamètre de 2 à 50 µm) ; - la polymérisation de l'acide silicique adsorbé sur des gels à base d'Al ou de Fe qui évoluent ensuite en argiles de néoformation (kaolinite, smectites).

En climat chaud et humide, l'hydrolyse est totale, elle se fait à pH neutre; les silicates sont hydrolysés en gibbsite; l'acide silicique et les cations solubles sont lessivés, il reste sur place le fer et l'aluminium qui constituent un sol ferralitique ou latéritique. Les oxydes de fer peuvent se concentrer en surface et constituer une croûte ferrugineuse, la croûte latéritique. La matière organique, oxydée, intervient peu. Les latérites en place ou remobilisées sont susceptibles d'être exploitées comme minerai de fer ou d'aluminium (bauxite). Les gisements de bauxite des Baux en Provence ont cette origine. Les minéraux néo-formés à partir des ions libérés sont la kaolinite et les smectites selon la qualité du drainage. Les lessivage, en éliminant les cations, augmente l'acidité du sol.

En climat chaud et à saisons sèches et humides alternant, le lessivage et le confinement alternent, les solutions remontent à la surface en saison sèche, la matière organique est minéralisée rapidement et a peu d'action, des smectites se forment, la silice reste sur place. Le sol contient l'association Fe, Si et Al, c'est le sol fersialitique des pays tropicaux et méditerranéens. La concentration en surface des oxydes de fer produit le phénomène de rubéfaction.

En climat tempéré, les hydrolyses sont partielles. Les minéraux argileux sont hérités de la roche-mère (chlorites par exemple) ou transformés progressivement. Lorsque l'hydrolyse est neutre, comme sur roches calcaires, l'illite est dégradée en smectites (K+ remplacée par Ca++, Mg++). Pour une hydrolyse à pH acide, sous l'action des acides organiques (oxalique, citrique), l'illite est transformée plutôt en vermiculite par perte de K+ et ouverture des feuillets; la transformation en chlorite est également possible; des complexes organo-métalliques se forment par complexolyse. Les sols sont des sols bruns.

Sous climat froid et humide, milieu de formation des podzols, les acides organiques attaquent les illites et vermiculites et les dégradent en smectites; la kaolinite peut être néoformée.

Outre le climat, la nature de la roche-mère intervient sur les caractères de la fraction minérale. En climat équatorial, les granites altérés donnent de la kaolinite, alors que les roches basiques, plus riches en cations, donnent de préférence des smectites. La topographie a également un rôle important sur la qualité du drainage. Sur roches calcaires, se forme un type de sol particulier , les Rendzines.

9. 3 La fraction organique

La végétation fournit des débris végétaux qui constituent la litière de l'horizon Ao. Sa décomposition se fait sous l'action des microorganismes et produit l'humus et les composés minéraux de l'horizon A1. Les matières organiques sont d'abord dépolymérisées. Les monomères résultants peuvent suivre 2 voies :

Cet humus peut être ensuite minéralisé à son tour. Il comprend des acides fulviques et humiques extractibles à la soude (alcalino-solubles) et l'humine qui est totalement insoluble; les composés à fort poids moléculaire (100 000) sont polymérisés à partir de noyaux aromatiques (phénols) provenant de la destruction de la cellulose et de la lignine sous l'action microbienne, en particulier des champignons. Son type dépend des caractères de la végétation et du climat. En climat froid (boréal) et tempéré, il est riche en acides organiques trés agressifs qui produisent une complexolyse intense; en climat équatorial, il est trés évolué et peu actif.

La vitesse d'humification dépend de l'activité biologique conditionné par la température.

9.4. Structure et évolution des sols

En climat tempéré, lorsqu'une roche affleure, elle est progressivement altérée et colonisée par la végétation: végétaux inférieurs, plantes herbacées puis arbres; le sol se forme. Il s'établit d'abord un horizon d'humus sur la roche altérée (profil AC, sol jeune), puis un horizon de type B (profil ABC). La profondeur augmente et le profil pédologique devient de plus en plus évolué jusqu'à atteindre un état d'équilibre avec le climat et la végétation. Les matières circulent dans le sol dans le sens descendant, par infiltration des solutions, et dans les sens ascendant, par remontée capillaire et remontée biologique (lombrics, termites en climat tropical, racines).

La texture du sol est définie par la grosseur des particules qui le composent : % graviers, sable, terre fine...La structure est l'organisation du sol. Elle est conditionnée par les colloïdes : argiles, substances humiques hydroxydes. Les argiles favorisent la fragmentation du sol en produisant des fentes de retrait à la dessication. Elles peuvent enrober les autres particules et colmater les pores. Elles peuvent fixer des composés organiques par adsoption sur leurs feuillets par l'intermédiaire des oxyhydroxydes d'Al et de Fer qui forment un revêtement pelliculaire. Ces complexes organo-minéraux (ou argilo-humiques) sont aglomérés en agrégats incorporant des filaments mycéliens et des bactéries à polysaccharides.

On distingue 3 grands types de structures :

Ainsi, la végétation fournit l'humus et assure la circulation ascendante des matières; elle protège ensuite la roche de l'érosion. La destruction de la végétation entraine celle des sols évolués, ou évolution régressive du sol. Les cycles évolution-régression des sols se succèdent à intervalles de temps courts (cataclysmes, action de l'homme) ou longs (pulsations climatiques).

Le rôle déterminant du climat dans l'altération des roches et l'élaboration des sols a donné lieu à la formulation de la théorie de la bio-rhéxistasie par ERHART. En climat humide, les conditions sont favorables à l'altération des roches, au développement de la végétation et à la formation des sols; la destruction des roches est limitée aux phénomènes chimiques qui libèrent essentiellement des ions solubles: cette période favorable à la vie est la biostasie. En période sèche, la végéta roches mises à nu sont soumises à la désagrégation mécanique qui produit des matériaux détritiques grossiers: c'est la rhéxistasie.

En climat tempéré, il faut environ 1000 ans pour former un horizon A1, plusieurs milliers d'années pour un horizon B et quelques heures à un homme pour détruire un sol.

 

CLIMAT
VEGETATION
et SOL
ALTERATION
ORIGINE des
ARGILES
MINERAUX
FREQUENTS
PRODUCTIVITE
EVOLUTION M.
ORGANIQUE
Glaciaire
Toundra
Désagrégation
mécanique
Héritage
Illite
Chlorite
nulle
Boréal
Taïga
Podzols
Complexolyse
Transformation
Héritage faible
Amorphes
Vermiculite
forte
Tempéré
Feuillus
Sols Bruns
Podzols
Complexolyse
hydrolyse + ou -
acide
Transformation
Héritage
Vermiculite
Interstratifiés
Illite, Chlorite
Smectites
forte
Méditerranéen
Subtropical
Steppe, savane
FerSialitique
Hydrolyse
neutre
Transformation
Néoformation
Héritage
Smectites
faible
Désertique
néant
Désagrégation
mécanique
Héritage
Illite
Chlorite
nulle
Equatorial
Forêt
Ferralitique
Hydrolyse neutre
totale
Néoformation
Gibbsite
Kaolinite
Maximale

Figure 3-10: Altération et type de sols selon le climat



Figure 3-11 : Pédogénèse suivant la latitude.



9.5. Principaux types de sols

* Sols peu évolués

* Sols calcimagnésiques : Rendzines sur roches calcaires, horizon A1 humifère à complexe argile - humus - Ca C03, épaisseur : 40 cm

* Chernozem sous climat froid et sec (steppe); défini en Ukraine; horizon A1 noir à structure grumeleuse, jusqu'à 60 cm d'épaisseur, B réduit : profil AC ; sol très fertile.

* Sols bruns : en climat tempéré; profil ABC; humus actif (mull), horizon B brun (association oxydes de Fe - argiles)

* Podzols sols à horizon cendreux de zones boréales (Taïga) et tempérées humides; Ao : mor noir A2 : cendreux, surtout du quartz; très lessivé sous l'action des acides organiques de l'humus. B coloré: accumulation de composés organiques et minéraux.

* Gleys sols hydromorphes, imbibés d'eau; le déficit d'oxygène ralentit l'humidification et réduit le Fe (couleur gris-vert), à l'extrème, une gley peut donner une tourbe.

* Sols rouges fersialitiques riches en oxydes de Fe; sous climats méditerranéens et subtropicaux.


Figure 3-12: Profils pédologiques


10. CONCLUSIONS

Sur le continent, une roche est soumise à l'action des facteurs physiques, chimiques et biologiques propres au climat. Elles est désagrégée et transformée. Ses minéraux non modifiés ou transformés, avec des minéraux nouvellement formés, constituent la fraction minérale de la pellicule d'altération. Les êtres vivants fournissent la matière organique qui réagit sur certains composants minéraux. L'ensemble fraction minérale et fraction organique constitue un sol. Toute modification de l'équilibre entre les facteurs pourra entraîner la modification ou la destruction du sol; dans ce dernier cas, ses constituants seront entraînés et contribueront à la formation de nouveaux sédiments.


11. PLANCHE PHOTOGRAPHIQUE

 

 
 
 
 

 révision: 08/2005