Jacques Beauchamp/ révision 2006

MAINTIEN DU TRAIT DE COTE ET ACCES AUX PORTS SUR LE LITTORAL PICARD.

Coastline maintenance and access to ports in Picardy. (*)

Jacques Beauchamp

Laboratoire de Sédimentologie et Géochimie Littorale, Faculté des Sciences, 80039 Amiens cedex

Résumé

Le Sud de la côte picarde est en situation d’érosion aussi bien au niveau des falaises crayeuses que du cordon littoral avec menace d’incursion marine dans les Bas-Champs de Cayeux. L’érosion des plages et dunes sableuses est également préoccupante au Nord. En revanche la sédimentation dans les estuaires (Baie de Somme, Baie d’Authie) rend problématique l’accès aux ports. A la suite de nombreuses mesures en nature accomplies ces dernières années, des modèles ont été élaborés afin de prédire l’évolution du littoral au cours des prochaine années. Des modèles numériques ont été également réalisés. La politique d’aménagement adoptée par les autorités locales privilégie (1) le maintien du trait de côte actuel par des enrochements, des recharges en galets et des épis, (2) la préservation des accès aux ports de la Baie de Somme par des digues et des bassins de chasse.

Abstract

The southern coastline of the Picardy Region is heavily eroded by waves action and the natural pebble barrier must be always repaired to protect polders from flood. Since a long time, the Somme river Estuary (Somme Bay) and Authie river estuary are filled by sand coming from the sea and their surfaces get more and more reduced. This slow evolution is interpreted as a consequence of the present marine transgression, but it has been exagerated by land reclamation since the Middle Age. Access to small harbours within the Somme Bay becomes difficult even for small boats. An analogic modelization has been ordered by the local administration to forcast the sedimentary evolution of the Bay within the next 20 years and to test new works to maintain the access to ports.

Mots-clés: érosion, sédimentation, littoral, risque, aménagement



PRESENTATION DU LITTORAL PICARD

La façade maritime de la Picardie s'étend sur près de 40 km, depuis Mers-les-bains, au Sud, jusqu'à la baie de l'Authie, au Nord (Figure 1). La morphologie de la côte est variée. Au Sud, c'est le prolongement des falaises crayeuses du Pays de Caux qui s'ennoie au delà d'Ault. Lui fait suite une vaste plaine maritime, les Bas-Champs, bordée d'un cordon de galets doublé au Nord d'un cordon dunaire. La large et profonde entaille de l'embouchure de la Baie de Somme sépare les Bas-Champs de la côte sableuse du Marquenterre ourlée de dunes qui sont fixées par la forêt de pins à l'intérieur. L'embouchure de la rivière Authie met fin à ce domaine. Cette portion de côte très plate a été conquise par l'homme et reste exposée à l'invasion marine à chaque conjonction des forts coefficients de marée et des tempêtes. Elle rappelle beaucoup la morphologie des côtes néerlandaises dont elle reprend localement la zonation (slikke, schorre).

L'échancrure de la Somme a déterminé depuis longtemps l'installation d'aménagements portuaires en dépit de la gène provoquée par le colmatage naturel de l'estuaire. Bien que des navires aient remonté le fleuve jusqu'à Abbeville encore au début du siècle, le principal établissement maritime de la Baie fut celui de Saint Valery; c'est de là que partit pour l'Angleterre Guillaume le Conquérant; dès le XIIIème siècle, le trafic y était important pour atteindre une pointe à la fin de la première guerre mondiale; une centaine de bateaux de commerce y entrait encore en 1979. Depuis lors, conséquence des difficultés d'accès et de la concurrence des autres ports de la Manche, l'activité s'est ralentie et Saint Valery s'est transformé en port de plaisance.

Sur l'autre rive de la baie se trouve le port du Crotoy, implantation romaine qui connu une période faste au cours du Moyen-Age. Mais les travaux d'aménagement du chenal de la Somme, au siècle dernier, mirent fin à son activité commerciale. C'est de nos jours un petite port de pêche qui s'est également reconverti à la navigation de plaisance. A l'entrée de la Baie, le port de pêche du Hourdel est une implantation plus récente justifiée par sa meilleure accessibilité.

La pêche à pied est une activité traditionnelle pratiquée dans la Baie. Les gisements naturels de coques en constituent la principale ressource mais leur surface diminue progressivement suite au comblement de la baie. En 2006, la récolte ne se fait plus qu'à l'embouchure de La Maye et le tonnage n'atteint que le 1/10 de celui réalisé au début des années 1990; l'implantation d'une station d'élevage avait d'ailleurs été projetée le long de la côte du Marquenterre. Sur les fonds vaseux, la récolte des vers pour la pêche (Arenicola) constitue une autre source de revenu. La mytiliculture est pratiquée en bouchots plantés sur l’estran sableux de la côte du Marquenterre et le nombre de pieux se compte en dizaines de milliers. La pêche au large se pratique au chalut pour les crevettes et les poissons, comme les merlans, les mulets et les poissons plats. Elle se fait au filet dérivant pour les harengs et à la drague pour les coquillages.

Un autre aspect de l'activité économique est représenté par l'exploitation des galets. Un premier secteur de prélèvement est situé sur le coté interne du cordon au Sud de Cayeux, une seconde extraction exploite les cordons anciens s'alongeant au Nord du Crotoy ainsi que les accumulations actuelles sur l’estran. Ces galets, provenant de l'abrasion des silex de la craie, sont utilisés tels quels comme matériaux de construction et de décoration. Les galets parfaitement ronds et homogènes sont destinés aux broyeurs industriels. Une autre partie est broyée. Les granulats clairs obtenus sont employés à la confection des enrobages bitumeux des routes et de certains bétons. Les poudres servent à la filtration et à la fabrication de toiles et papiers abrasifs. La poudre siliceuse calcinée entre dans la composition des céramiques, des peintures...

(cliquez sur le titre de la figure)

Figure 1: Morphologie du littoral picard. The coasts of Picardie.

L'activité rurale a profondément modifié le paysage. L'histoire de la plaine maritime picarde n'est faite que d'une succession d'endiguement (renclôtures) visant à récupérer une surface agricole toujours plus grande au dépend du domaine marin. Ces polders, ou Bas Champs, convenablement drainés constituent des terres de culture et des zones d'élevage qui s'étendent jusqu'au schorre (moutons de pré salé). Les Bas Champs de Cayeux couvrent une surface de plus de 4000 ha (Figure 2 et figure 3).


Figure 2: Les Bas Champs de Cayeux et le cordon de galets (schéma de C. PETIT d’après la carte IGN St Valery à 1/50 000). Polders (« Bas-Champs ») of Cayeux and pebble barrier.

Figure 3: Esquisse géologique des Bas-Champs de Cayeux (d’après BROQUET et BEUN, 1980). Geological sketch of Bas Champs.

La vocation touristique de cette côte s'est révélé récemment. La vogue des bains de mer à la fin du siècle dernier a déterminé d'abord l'urbanisation de la côte rocheuse, à Mers et Ault-Onival. Puis les villégiatures se sont étendues à Cayeux et ont gagné la baie et la côte sableuse septentrionale: développement de St Valery et Le Crotoy, implantation de Quend-plage et Fort Mahon. Plus que la baignade proprement dite, limitée en saison à moins de la pratiquer en espace couvert ("Aqualand" de Fort Mahon), ce sont les sports de plein air qui ont les faveurs des visiteurs: équitation, golf et tous les "sports de vent" (char à voile, cerfs volants, planche à voile, kite surf) qui sont pratiqués été comme hiver sur la côte septentrionale. La densification du réseau autoroutier met désormais la côte picarde à proximité immédiate de l’agglomération parisienne. La nouvelle planification, réalisée dans le cadre de l’article 7 du Contrat de Plan Interrégional du Bassin Parisien, tient compte de l’afflux attendu de nouveaux touristes. Déjà, la construction de nouvelles résidences s’est amplifiée (lotissement de Belle Dune entre Quend et Fort Mahon). La halte que constitue la Baie de Somme sur le trajet des grandes migrations d'oiseaux a justifié la mise en place du parc ornithologique du Marquenterre et de la Maison de l'Oiseau, qui attirent plus d'une centaine de milliers de visiteurs par an, mais c'est l'activité de chasse qui bénéficie surtout de cette situation. La chasse au gibier d'eau s'effectue en particulier à l'affût dans des huttes, souvent très confortables, dissimulées à proximité d'un plan d'eau artificiel. La multiplicité de ces étangs modifie profondément la morphologie du schorre. Depuis 1995, une réserve naturelle est installée sur le domaine public maritime au Nord de la Baie de Somme; elle englobe le parc ornithologique et une partie du domaine boisé du Marquenterre. Dans cette Réserve Naturelle de la Baie de Somme peuvent être mieux protégées, outre les espèces d'oiseaux et de mammifères (cas de la petite population de phoques qui maintenant augmente régulièrement), les espèces végétales des mollières et des dunes.


Le littoral picard apparait une zone en constante évolution et le bilan sédimentaire y est contrasté. Les côtes en cours d'érosion encadrent la baie de la Somme et celle de l'Authie où la sédimentation prédomine. Le trait de côte a tendance à se déplacer au dépend du domaine continental dans les zones en situation d’érosion, ou du domaine marin dans les zones en sédimentation.

L’érosion des côtes est sensible au Sud, le long des falaises crayeuses: la station d’Ault-Onival est menacée de disparition sans travaux de lutte contre la mer. Le cordon littoral de galets lui aussi subit les attaques marines; sa destruction partielle entraîne l’inondation des Bas-Champs, comme cela a été le cas au cours de la grande tempête de 1990. La protection des Bas-Champs demande ainsi un entretien régulier du cordon. Au Nord, c’est l’érosion du haut de plage au niveau des stations balnéaires de Quend et Fort Mahon qui pose problème.

Le colmatage des deux estuaires, et en particulier celui de la Baie de Somme, a également des conséquences préoccupantes sur la gestion de ces espaces. De vastes surfaces de zones tidale disparaissent chaque années; les schorres s’étendent au dépend des slikkes, les zones où prospèrent les coquillages, zones de nourriceries des oiseaux marins, s’amenuisent. Les chenaux desservant les ports se rehaussent, rendant l’accessibilité de plus en plus aléatoires (Figure 4).

La gestion de cette frange littorale demande une démarche globale et des choix d’aménagement qui s’appuient sur des connaissances précises et actualisées. Le Conseil Général de la Somme a décidé d’entreprendre depuis quelques années une série d’études hydrauliques et sédimentologiques dont les résultats puissent servir d’aide à la décision dans la politique à suivre et le choix des aménagements. C’est ainsi qu’il a été maître d’ouvrage dans une étude sédimentologique de la Baie de Somme qui a abouti à une modélisation analogique de son évolution sédimentaire dans les 20 années à venir. Le maintien des accès aux ports y est considéré. Une étude analogue a été conduite dans la Baie d’Authie afin de réaliser une modélisation numérique d’évolution. La protection des Bas-Champs a fait l’objet de plusieurs rapports, dont l’un commandé par le Conseil Régional; les solutions proposées portent essentiellement sur le confortement du cordon de galets. Enfin, au Nord, les mesures à prendre pour répondre à l’érosion des plages sableuses sont en cours d’inventaire.

A la suite de ces diverses études, et des impératifs du contexte politique local, la stratégie d’aménagement adoptée privilégie (1) le maintien du trait de côte actuel par des enrochements, des recharges en galets et des épis, (2) la préservation des accès aux ports de la Baie de Somme par des digues et des bassins de chasse. Le développement qui suit a pour prétention de faire l’état de la situation sédimentaire le long des différents tronçons de la côte picarde, de répertorier les réponses d’aménagement qui ont été proposées et d'évaluer la pertinence des installations mises en place .

Figure 4: Le littoral picard en chiffres (d’après rapports D.D.E. et SOGREAH). Some data about the Picardie coast.

SUITE


(*)

Cette étude a été présentée initialement au colloque INTERREG "Connaissance des milieux littoraux" qui s'est tenu à Cap Hornu en juin 1997.

Elle est publiée par l'Université de Picardie Jules Verne dans les "Actes du Colloques" . Elle a été  complétée et mise à jour en 2006.

Jacques Beauchamp