LA REUTILISATION DES EAUX USEES URBAINES

QUELQUES EXEMPLES

Claude PUIL (*)


1- La réutilisation des eaux usées épurées dans le monde

La réutilisation des eaux usées épurées est une pratique très répandue dans le monde et essentiellement dans les régions affectées par des pénuries de ressources en eau.

1.1- Le continent américain

Aux Etats-Unis, 34 Etats disposent de réglementations ou de recommandations relatives à l’usage agricole des eaux usées [14]. Dans ce pays, les réglementations sont souvent très strictes. Par exemple, en Californie, la norme imposée pour l'irrigation par aspersion des cultures à consommation humaine et l'arrosage de zones où un contact corporel est possible avec la végétation (parcs, terrains de jeu, pelouses d'écoles...) était en 1993 de 2,2 coliformes totaux par 100 millilitres. Les grandes réussites de réutilisation des eaux usées traitées sont ceux de Bakersfield et Orange County en Californie et Manatee County en Floride . A Bakersfield, 64000 m3 par jour d’effluents primaires et secondaires issus de trois stations d’épuration sont utilisés pour l’irrigation de coton, de luzerne, de maïs, d'orge et de betteraves à sucre. A Orange County, 800 hectares d'espaces verts urbains sont arrosés et 400 hectares de terres agricoles sont irrigués. Enfin, à Manatee County, 79000 m3 par jour sont utilisés pour irriguer des terrains de golf et des parcs et 3000 hectares de cultures agricoles et de pépinières sont irriguées .

La réutilisation aux fins d'agrément est pratiquée depuis 1955 aux Etats-Unis. Outre l'arrosage de parcs, de parcours de golf et de jardins publics, on peut souligner comme exemple singulier la création de lacs artificiels alimentés en tout ou partie par des eaux usées épurées. Par exemple, en 1961, le lac Santee en Californie a été mis en eau et alimenté par des eaux épurées et désinfectées. Après quelques études, l'autorisation de baignade a été donné en 1965. En 1990, l'alimentation des lacs artificiels à usages récréatifs par des eaux urbaines traitées représente 3% de la réutilisation en Californie . Des études publiées en 1994 ont indiqué que les traitements poussés des eaux usées par des procédés à membranes étaient appropriés pour respecter les réglementations . Pour illustrer les avancées techniques des Etats-Unis dans le domaine de la réutilisation, on peut aussi citer le cas particulier d'une station de traitement des eaux usées urbaines à Santa Monica. Situé sur le lieu même de la réutilisation, les eaux issues de ce traitement sont destinées à l'irrigation d'espaces verts et à l'alimentation d'un lac d'agrément. Le système de traitement est compact et inclu un réacteur biologique à membrane, une ultrafiltration, une filtration sur charbon actif granuleux, une désinfection U.V. et une chloration .

Sur le continent américain, cette pratique est également réalisée dans plusieurs pays d’Amérique du Sud ainsi qu’au Mexique . Par exemple, la ville de Mexico utilise les effluents traités par ses 16 stations d'épuration pour l'irrigation des parcs, des jardins publics et des équipements de loisirs. Il faut souligner que seulement 6% des eaux usées brutes sont épurés. En 1996, les eaux usées brutes de Mexico étaient encore utilisées en irrigation agricole et notamment dans le cadre du plus grand plan d'irrigation du monde (irrigation de 85000 hectares de maïs, d'orge et de tomates). Mais les critères sanitaires de la législation mexicaine concernant l'utilisation des eaux usées en agriculture ont été modifiés et reprennent désormais les recommandations de l'OMS (reprises également par le CSHPF). Cette législation adopte cependant une norme plus souple concernant l'irrigation des produits consommés cuits (œufs d'helminthes <5/litre). Ces eaux subiront désormais un traitement physico-chimique poussé suivi d'une désinfection suivant les cas d'irrigation . Cette modification est heureuse vu l'étude épidémiologique réalisée dans cette région montrant la corrélation entre l'irrigation par les eaux usées brutes et l'augmentation des maladies intestinales.

1.2- Le bassin méditerranéen

La réutilisation agricole des eaux usées a toujours existé et est aujourd’hui une pratique largement répandue sur le pourtour sud de la Méditerranée, de l’Espagne à la Syrie. En effet, le bassin méditerranéen est une région où la pénurie en eau est particulièrement ressentie. C’est aussi l’une des régions où la réutilisation agricole des effluents urbains est la plus pratiquée. Cette réutilisation est parfois l’objet d’une politique nationale comme en Israël. Dans ce pays, environ 20% des eaux usées sont infiltrées et rechargent les nappes souterraines dans la région de Tel-Aviv . La réglementation y est très stricte et inspirée du modèle californien. La région Dan en Israël est concernée par un projet de très grande ampleur de réutilisation indirecte des eaux usées. L'eau à traiter provient de la ville de Tel-Aviv et des municipalités voisines. Ce projet concerne 1,3 millions de personnes. La méthode de recharge des eaux souterraines, développée et pratiquée avec succès dans le projet de la région Dan, est apparentée à un traitement par infiltration dans le sol. Selon Kanarek, ce traitement devrait être considéré comme une partie intégrale des procédés de traitement des eaux municipales. En effet, cette infiltration permet une purification de l'eau et conduit à un stockage saisonnier et pluriannuel. Les principaux procédés de purification qui ont lieu dans le système d'infiltration sont : la filtration lente sur sable, l'adsorption, l'échange d'ions, la dégradation biologique, la précipitation chimique, la nitrification, la dénitrification et la désinfection. D'après les résultats de Kannarek, en matière de qualité microbiologique de l'eau, les coliformes totaux et thermotolérants ainsi que les entérovirus n'ont pas été détectés après infiltration. L'excellente qualité de l'eau traitée obtenue convient à de nombreux usages tels que l'irrigation agricole de produits consommés crus, les utilisations industrielles ou encore les utilisations municipales (alimentation des chasses d'eau, arrosage des pelouses). En 1996, la réutilisation de l'eau usée urbaine en Israël concerne uniquement les projets d'irrigation.

En Tunisie, si la demande en eau ne devrait théoriquement rejoindre les disponibilités qu'en 2015, on constate déjà que certains endroits souffrent d'une pénurie. De plus, les ressources en eau témoignent souvent d'un degré notable de salinité. Dans ce pays, la réutilisation entre dans le cadre d’une politique nationale . Les eaux usées de Tunis sont utilisées depuis le début des années 60 pour l’irrigation à la Soukra de culture de citrons. En effet, les eaux du sous-sol contaminées par des intrusions d’eau salée n'étaient plus de qualité suffisante pour l’irrigation de ces cultures. Ainsi, la réutilisation avait permis de sauver 600 hectares de cultures. Basé sur l’expérience de La Soukra, une ambitieuse politique de réutilisation des eaux usées est mise en place depuis les années 80. La Tunisie est le premier pays de l’Ouest Méditerranéen à avoir adopté des réglementations en 1989 pour la réutilisation de l’eau. Ce sont le Ministère de l’Agriculture et l’autorité sanitaire (ONAS) qui ont en charge la recherche de moyens pour améliorer l’efficacité de la politique nationale de réutilisation de l’eau. Des 6400 hectares répertoriés pour l’irrigation des eaux usées traitées en 1993, 68 % sont situés autour de Tunis. Les réalisations les plus importantes sont Cebela, La Soukra, Mornag, Nabeul, Sousse, Monastir, Sfax et Kairouan. Une analyse technico-économique a conclu qu'à la vue des conditions locales, les bassins de maturation devrait être préférés aux rayonnements ultraviolets, à la chloration et à la filtration comme traitement de désinfection.

La réglementation de 1989 spécifie que l’utilisation des effluents secondaires traités est autorisée pour irriguer tous les types de cultures mis à part les légumes, qu’ils soient consommés cuits ou crus. Les eaux usées traitées sont donc utilisées pour irriguer les arbres fruitiers (citrons, olives, pêche, pommes, poires...), les vignobles, les fourrages (sorgho, luzerne), le coton, le tabac, les céréales, les terrains de golf (Tunis, Monastir, Hammanet, Sousse) et des jardins d’hôtel à Jerba et Zarzis. Le contrôle de la qualité des eaux réutilisées concerne les paramètres physico-chimiques une fois par mois, les éléments traces tous les six mois et les œufs d’helminthes toutes les deux semaines. En 1992, le taux d’utilisation des eaux usées traitées en Tunisie est relativement bas. En effet, seulement 40 % de l’espace susceptible de concerner le réutilisation est irrigué. De plus, l’irrigation n’a lieu que pendant six mois par an et le stockage de l’eau est extrêmement peu utilisé. On peut citer l'exemple de Nabeul où les effluents secondaires qui ne sont pas utilisés pour l’irrigation en hiver sont infiltrés et stockés dans l’aquifère. De cette façon, les volumes utilisables en irrigation par les agriculteurs sont plus importants en été. Selon Bahri et Brissaud, le stockage saisonnier des eaux usées traitées dans des réservoirs profonds serait la méthode la moins coûteuse pour augmenter les ressources en eau. C’est pourquoi, cette pratique est envisagée comme une perspective à long terme. Les mesures techniques, les investissements et les réglementations devraient développer davantage la réutilisation des eaux usées traitées. Mais l'efficacité de la politique tunisienne dépend du développement du secteur agricole. Celui-ci se met progressivement à jour, ce qui augmente la demande en eau.

En Grèce, la ville d’Athènes a développé en 1996 une stratégie de réutilisation des eaux usées traitées. La réutilisation est une solution particulièrement attractive vu les difficultés d’approvisionnement en eau rencontrées ces dernières années. Les différentes alternatives étudiées sont celles les plus fréquemment appliquées dans les programmes de réutilisation des eaux usées urbaines à travers le monde. Les bassins Thriassio, Megarida et Salamis sont situés autour d'Athènes et font partie intégrante de l'étude de réutilisation.

Parmi les réutilisations favorisées, l'irrigation des cultures est largement prédominante (71%). L'estimation de l'usage des eaux usées urbaines dans les industries est particulièrement basse par rapport aux niveaux de réutilisation dans les autres centres urbains industrialisés (5.2%). Ceci est localement dû à la dispersion géographique des industries fortement consommatrices d'eau. L'estimation de l'utilisation des eaux usées traitées pour l'alimentation des chasses d'eau ne devrait pas voir sa part progresser (6.2%), étant donné les coûts pour la réalisation d'un réseau parallèle de distribution et la réticence des populations. Enfin, on peut noter que le nettoyage systématique prévu de toutes les routes a pour but l'amélioration globale de l'environnement local. La qualité de l'eau suggérée est de 12 coliformes fécaux par 100 ml dans 80 % des échantillons. Les méthodes de traitement recommandées après la filière biologique sont la filtration sur sable et la désinfection au chlore gazeux. Le but de cette réutilisation est d'induire une réduction de la pollution dans le Golfe Saronique en rapport avec la diminution des rejets des effluents riches en nutrients. De plus, la qualité des eaux souterraines devrait s’améliorer. En effet, en bord de mer, le pompage excessif des eaux souterraines conduit à des intrusions salines dans la nappe. Enfin, cela devrait permettre une promotion des espaces verts à Athènes car les ressources existantes ne sont généralement pas suffisantes pour de tels usages .

Les autres pays du pourtour sud de la Méditerranée, de l’Espagne à la Syrie, réutilisent le plus souvent leurs eaux usées urbaines sans traitement. L’arrosage de cultures maraîchères n’y est pas exceptionnel. L’Espagne se dote néanmoins progressivement, région par région, d’une réglementation et améliore la qualité des eaux réutilisées . Les réutilisations sont alors l’occasion d’un effort pour répondre à des standards sanitaires existants ou en cours d’élaboration. C’est le cas pour l’arrosage des parcours de golf ou d’espaces verts aux Canaries, à Majorque, en Catalogne espagnole . Ainsi, furent publiés en 1991 les résultats et les conclusions d’un suivi d’une réutilisation d’eaux usées urbaines épurées et traitées par le chlore dans le cadre de l’irrigation d’un parcours de golf à Castell Platja d’Aro sur la Costa Brava .

Parmi les exemples de réutilisation indirecte des eaux usées urbaines non traitées, on peut citer les Marcites milanaise qui sont des prairies arrosées avec les eaux du canal Vettabia recevant une part importante des eaux usées brutes de Milan . La réglementation italienne est pourtant très stricte en matière d'irrigation. En 1996, les seules références législatives sont une loi de 1976 nommée “ Normes pour la protection des eaux contre la pollution ” et un texte réglementaire ministériel en découlant. Ce dernier établit les normes pour une réutilisation agricole (coliformes < 20/100ml sur une moyenne de sept jours pour les produits consommés cuits, coliformes < 2/100 ml sur une moyenne de sept jours pour les produits susceptibles d'être consommés crus) . Selon Legnani, les limites établies par la législation italienne pour l'irrigation agricole sont trop restrictives comparées aux recommandations internationales et même pratiquement inapplicables dans le cadre de la réutilisation. Ceci n'a d'ailleurs pas empêcher certains débordements. En effet, dans les journaux, on a accusé les horticulteurs des Pouilles d’avoir utilisé des eaux prélevées dans des fossés où circulaient des eaux usées brutes. Ces eaux ont servi pour arroser des légumes qui, vendus au marché et consommés crus, ont contribué à une forme de choléra au mois d’octobre 1994 dans la ville de Bari .

1.3- L'Europe du Nord

L’Europe du Nord a elle aussi, avec ses fermes d’épandage, une tradition longue de plusieurs siècles de réutilisation des eaux usées.

En Grande Bretagne, cette technique qui était sur le point de disparaître dans les années 50, a retrouvé une part de son importance passée. Dans ce pays, la recharge de nappe par des eaux usées constitue une autre forme indirecte et très répandue de recyclage . L’Allemagne est également concernée par l’irrigation avec des eaux usées urbaines. On retrouve cette pratique notamment en Basse Saxe, en Rhénanie-Westpalie, en Hesse et en Bavière. On y pratique l’irrigation de céréales, de betteraves, de pommes de terres ou de prairies. On peut aussi citer l’exemple de la Hongrie où 200 millions de mètres cubes d’eaux usées sont utilisées en 1991 pour l’irrigation de diverses cultures, de prairies, de rizières et de peupleraies.

1.4- Le Japon

Malgré une moyenne de précipitation annuelle haute (environ 1730 mm par an), le Japon connaît certains problèmes d'approvisionnement en eau en raison d'une forte densité de population sur un territoire restreint. De ce fait, plusieurs projets de réutilisation des eaux usées ont vu le jour dans les grandes métropoles. Contrairement aux régions arides ou semi-arides du monde où l'irrigation agricole et des espaces verts constitue le mode le plus développé (cf. figure n°7 (Californie)), la réutilisation des eaux usées au Japon est prédominante dans le cas des usages urbains tels que l'alimentation des chasses d'eau dans les immeubles, les usages industriels ou encore dans la restauration et l'augmentation des débits des cours d'eau urbains aménagés.

La réutilisation des eaux usées dans les grandes villes est perçue par la population comme un élément important du cycle de l'eau et comme une ressource particulièrement utile dans l'environnement urbain. En effet, les eaux usées traitées peuvent être utilisées dans les situations d'urgence engendrées par des catastrophes telles que les tremblements de terre. A Tokyo, la réutilisation est une pratique fortement encouragée. De nombreux immeubles sont équipés d'un second réseau de distribution pour l'alimentation des chasses d'eau. Les effluents épurés et traités notamment par filtration sur sable et chloration sont distribués jusqu'aux réservoirs de chaque immeuble concerné . L'inconvénient majeur d'une telle réutilisation est le coût financier pour élaborer un second réseau domestique de distribution et disposant de sécurités suffisantes pour éviter toutes interconnexions. Parallèlement à ces immeubles approvisionnés par les eaux usées des stations d'épuration, on peut souligner que d'autres immeubles recyclent les eaux grises pour l'alimentation des chasses d'eau. Cette alimentation constitue de 20 à 30% de l'eau utilisée dans un immeuble . Cette pratique concerne 33% des foyers installés en zone urbaine au Japon. La loi japonaise impose en fait la mise en place d'un réseau de recyclage de ces eaux grises pour toute nouvelle construction située en zone urbaine . A Tokyo, tout immeuble de plus de 30000 m² de surface de plancher ou susceptible de réutiliser plus de 100 m3 d'effluent traité par jour doit être équipé d'un double réseau de distribution. Comme autre exemple singulier de réutilisation des eaux usées urbaines, on peut citer l'alimentation d'un cours d'eau urbain asséché. Le cours d'eau Nobidome à Tokyo asséché du fait du détournement de la source en 1976 prenait de plus en plus l'apparence d'une décharge. C'est pourquoi, sa restauration a été initiée en y déversant 15000 m3 par jour d'effluents épurés et traités notamment par ozonation. Asano souligne dans son article et à travers cet exemple que le succès des projets de réutilisation et leur acceptation par le public est étroitement lié à la qualité de l'eau traitée.

1.5- L’Australie

L’Australie est l’un des continents les plus secs . L'intensité des précipitations est très variable dans l'espace puisqu'un quart du continent concentre 80% des précipitations. Depuis 1991, il y a eu un rapide développement des initiatives liées au recyclage de l’eau et notamment dans le cadre de la réutilisation des eaux usées urbaines. Ces initiatives ont permis de réduire les demandes urbaines et industrielles sur les ressources en eau. La population australienne (18 millions) est peu dense au regard d'un territoire vaste (8 millions de km²). Une forte proportion de la population vit dans les métropoles situées au sud du continent et favorisées par de forte précipitation. Dans ce continent, la réutilisation des eaux usées concerne l'irrigation des cultures, des prairies, des espaces verts ou l'usage industriel. Dans les zones tempérées de l'Australie, la réutilisation concerne essentiellement l'irrigation des cultures telles que la canne à sucre alors que dans les zones arides, c'est l'irrigation des plantations d'arbres qui prédomine. Parmi les initiatives industrielles, on peut citer l'usage de 4000 m3 par jour d'eaux usées épurées et traitées par microfiltration et osmose inverse provenant d'une station d'épuration urbaine proche de Newcastle. Ces eaux sont ensuite localement déminéralisées avant de servir comme eau de refroidissement. Des initiatives concernant l'utilisation d'eau usée pour alimenter les chasses d'eau ont débuté en 1996.

Ce n’est bien sûr pas une description exhaustive des cas de réutilisation dans le monde. On pourrait encore citer de nombreux exemples tels que la ville de Taif en Arabie Saoudite. Cette ville est équipée d'une station d'épuration traitant 70000 m3 d'eau par jour. C'est l'une des plus grandes stations au monde. La station est pourvue d'un traitement tertiaire comprenant des filtrations sur sable, une chloration en deux étapes ainsi qu'un passage sur des filtres à charbon actif agissant sur la couleur, l'odeur de l'effluent et adsorbant les molécules organo-chlorées. Les effluents ainsi traités sont utilisés pour l'arrosage des parcs, des jardins ou pour nettoyer les rues, les bus, les taxis. En matière d'irrigation, les normes les plus strictes sont de 2,2 coliformes totaux et 50 coliformes thermotolérants par 100 millilitres d'échantillon. D'autres pays du Golfe Persique, l'Afrique du Sud, la Chine.... pratiquent également la réutilisation des eaux usées. Par ailleurs, de nombreux pays en voie de développement tels que le Maroc, l'Inde, l'Indonésie réalisent encore trop souvent cette activité de manière sauvage.


2- La réutilisation des eaux usées épurées en France.

En France, la réutilisation des eaux épurées est peu développée. Cela est essentiellement dû à l’abondance de nos ressources en eau. En effet, sur les parties du territoire les moins arrosées, la pluviométrie moyenne annuelle ne descend guère au dessous de 600 millimètres . De plus, ces régions et notamment le midi méditerranéen ont très tôt été desservies par de grands équipements hydrauliques (canal de Provence, canal du Bas-Rhône-Languedoc, barrages de Vinça et de Villeneuve de la Rao) satisfaisant leurs besoins en eau. En conséquence, à part quelques situations locales, il n’existe pas de véritable pénurie d’eau en France. Si certaines réalisations existent et apparaissent, c’est pour répondre à des nécessités locales. Comme nous l'avons précisé en introduction, les motivations inhérentes à ces projets peuvent être de deux ordres. D’une part, elles peuvent induire un accroissement des ressources en eau et d’autre part, supprimer ou au moins réduire les rejets d’eaux usées dans un milieu récepteur sensible. Ceux-ci peuvent concerner les eaux de baignade, les parcs conchylicoles, les nappes karstiques ou encore la proximité d’un captage. La réutilisation permet donc de minimiser mais aussi de valoriser la pollution produite par les agglomérations.

Les îles du littoral atlantique et de la Méditerranée offrent des exemples achevés de la réutilisation agricole des eaux usées. A Porquerolles, à Ars-en-Ré comme à Noirmoutier, la pression touristique croissante rend la gestion des ressources en eau toujours plus difficile. La satisfaction des besoins en eau potable est évidemment prioritaire et les possibilités d’irrigation se trouvent progressivement compromises. Or, le maintien du secteur agricole dépend bien sûr de l’irrigation et est aussi jugé indispensable à l’équilibre du milieu insulaire. De plus, le rejet d’eaux usées insuffisamment épurées dans les eaux littorales implique des risques sanitaires pour la baignade et à Ré et Noirmoutier pour la pêche à pied et la conchyliculture. Enfin, le rejet d’eaux usées insuffisamment épurées dans les eaux littorales de Porquerolles n’est pas compatible avec son statut de conservatoire botanique. A Ré, Noirmoutier et Porquerolles, les eaux usées, avant d’être réutilisées sont l’objet d’un traitement biologique complété par un lagunage et/ou un stockage, ce qui permet d’avoir une qualité microbiologique convenable. A Noirmoutier, l'irrigation est réalisé sur 220 hectares de pommes de terres et de courgettes. A Ars-en-Ré, l'irrigation par aspersion est effectuée sur des cultures de maïs, de tournesol et de pommes de terres. Les cultures maraîchères et les vergers (pêchers, amandiers) de Porquerolles sont arrosés à la raie ou par irrigation localisée. La surface d'irrigation concernée est de 30 hectares .

Sur le continent, la réutilisation agricole des eaux épurées a permis de soulager les ressources traditionnelles trop sollicitées par l'irrigation de cultures grandes consommatrices d'eau (maïs...). Ainsi, depuis 1996, un projet pilote européen de grande ampleur a été mis en service près de Clermont-Ferrand. Ce projet concerne l’irrigation de 650 hectares de maïs et de betteraves en Limagne Noire, par pompage d’une partie des eaux usées de la station d’épuration de l’agglomération clermontoise. Ce procédé offre un double avantage : il réduit l’impact des rejets de Clermont-Ferrand sur l’Allier et utilise une ressource alternative à l’eau du fleuve. En effet, des années de sécheresse ont contraint à rechercher de nouvelles pistes pour s'approvisionner en eau. L’eau en sortie de station d’épuration doit séjourner dans des lagunes tertiaires pour se débarrasser des micro-organismes pathogènes. C’est le premier projet européen de cette nature par son ampleur, les techniques mises en œuvre et le partenariat qu’il implique. Il est soutenu par des crédits du programmes européen LIFE chargé de promouvoir une meilleure prise en compte de l’environnement.

La réutilisation peut également contribuer à la réhabilitation des cours d’eau menacés d’eutrophisation. On peut citer les exemple de Melle dans les Deux-Sèvres, du Mesnil-en-Vallée, du Fuilet dans le Maine-et-Loire ou encore de Saintes en Charente-Maritime . En effet, dans le cas de Melle, le cours d'eau La Béronne, dont le débit d'étiage est très faible, est affecté par les rejets de la station d'épuration. Un arrêté préfectoral interdisant les rejets pendant cette période, il est prévu que les effluents soient réutilisés pendant 6 mois de l'année pour irriguer des terres agricoles. Dans le cas de Saintes, la Charente est un cours d'eau sensible à eutrophisation démontrée ayant un débit très faible en période de sécheresse. En irriguant un parcours de golf en période d'étiage et sur une base de 1700 m3 d'eau traitée par jour réutilisés, c'est 40 % (soit pratiquement la moitié) des rejets d'effluents qui sont évités. La réutilisation des eaux usées a également été retenue comme solution compte tenu de l'éloignement, de l'insuffisance du réseau d'adduction d'eau potable et de la surexploitation de la nappe. Outre la protection des milieux sensibles à l'eutrophisation, la réutilisation peut être instaurée pour réduire les risques sanitaires relatifs à la baignade, à la conchyliculture et à la pêche à pied. C'est le cas du projet de réutilisation de Saint Armel dans le Morbihan .

En région méditerranéenne, deux des questions les plus difficiles auxquelles sont confrontées les collectivités locales sont la prévention des incendies de forêt et l’élimination des eaux usées. L’installation de Cogolin est la première tentative faite en France dans la valorisation des eaux usées par l’irrigation en forêt. Les eaux utilisées pour l’irrigation sont les effluents de la station de Cogolin qui ont subi un traitement par boues activées en aération prolongée ainsi qu’une double filtration (par tamis de 180 à 120 microns successivement). Les méthodes d’irrigation utilisées sont l’aspersion et la micro-irrigation (irrigation localisée). Ainsi, l’irrigation de la forêt méditerranéenne avec des eaux usées contribue à la résolution de deux graves problèmes. D’une part, elle induit une diminution de la pollution des eaux douces ou marines due aux effluents de la station d’épuration (problème particulièrement aigu en été où coïncident maximum de population et étiage des cours d’eau) et en favorisant la croissance rapide d’arbres préexistants ou plantés. Ceux-ci atteignent plus rapidement le stade où leur couvert est suffisamment élevé et sombre pour constituer un pare-feu arboré non combustible.

En matière d'usage, l’utilisation des eaux usées traitées pour irriguer les terrains de golf tend à se développer. On peut citer les exemples de Portes-en-Ré en Charente-Maritime (aspersion ou irrigation souterraine), Saint-Palais-sur-Mer en Charente Maritimes (aspersion) ou plus récemment Pornic en Loire Atlantique qui ont vu diminuer très sensiblement le coût de l’arrosage d’un terrain de golf. Dans la Somme, à Fort Mahon, un projet de réutilisation des eaux traitées par lagunage et pour l'irrigation d'un parcours de golf est à l'étude. A Saint-Palais-en-Mer, la réutilisation a presqu'essentiellement été mise en place pour des raisons économiques car la station n'est située qu'à seulement 800 mètres du parcours de golf . Par contre, la commune de Saint Pierre d'Oléron prévoit de transférer les effluents de sa station d'épuration vers un golf de la côte Est de l'île (10 kilomètres de canalisation). Ceci peut laisser penser que la réutilisation est une technique qui va probablement se développer au cours des prochaines années.


(*) extrait de:

PUIL C. (1998) - La réutilisation des eaux usées urbaines après épuration. Mém. D.U.E.S.S. "Eau et Environnement", D.E.P., univ. Picardie, Amiens, 62 p.

mise en forme:

jacques.beauchamp@sc.u-picardie.fr